Un monde sans parole et sans écriture

Le début de ce texte va être brutal, car l’histoire est brutale, je m’appelle Sophie Sine, j’ai 34 ans, 33 en janvier 2022, nous en sommes à la XIEME vague de covid (j’ai arrêté de compter à ce stade) et je viens de boucler un gros projet pour le boulot après de nombreuses réunions en ligne durant des semaines. Je termine ma journée de télétravail chez moi, je vais courir et une amie m’appelle pour aller au cinéma, j’accepte, en plus c’est un film avec mon idole, Virginie Efira (#mégamix), je me sens bien, à part un léger mal de tête, survenu pendant la course, sûrement à cause de mes lentilles de contact que je ne supporte plus trop. Spoiler alert : ce n’était pas mes lentilles mais un AVC. Un AVC peut avoir des conséquences dramatiques et des séquelles variées. Dans mon cas, il s’agit d’hémiplégie du côté gauche (pratique quand on est une vraie gauchère. La parole n’a jamais été atteinte, j’ai juste mis un peu de temps à retrouver mon intonation de voix , mon expression qui faisait de moi, MOI. J’embarque presque directement dans le fabuleux train de la rééducation et du centre de revalidation à l’hôpital. Je sais communiquer oralement. À l’écrit c’est beaucoup plus compliqué à une main et avec la fatigue de la lourde opération que j’ai subie en urgence, j’ai aussi de gros problèmes de concentration, mais je m’aide grâce à la dictée vocale de mon téléphone, ce n‘est pas parfait mais la connexion est possible, le contact établi et maintenu, il me faudra deux ou trois mois pour maîtriser mon téléphone à une main et écrire des messages compréhensibles quand d’autres n’y arrivent jamais même après des mois de rééducation. La paralysie est une séquelle horrible de l’AVC mais l’aphasie (ne plus savoir parler) est insupportable, j’ai vu des patients lutter dans une sorte de combat invisible avec leur cerveau pour sortir un simple mot avec la frustration énorme d’être incompris. J’ai aussi vu des patients parler une sorte de langue étrangère, j’ai toujours su parler mais pendant des semaines je n’ai pas su communiquer par écrit, je ne sais plus écrire avec ma main gauche, je ne le pourrai peut-être plus jamais... Nous sommes un an plus tard, la mobilité revient peu à peu, la tête est là, l’envie aussi, je sais communiquer, mais j’ai vu le défi que représente un monde sans parole et sans connexion. Ce monde est invivable. Je m’appelle Sophie Sine, j’ai 34 ans et j’ai survécu à un AVC. Ma belle écriture me manque, ma vie me manque mais je suis vivante et faites-moi plaisir: regardez sur votre bureau prenez un post-it et écrivez votre to-do-list, appréciez ce moment et soyez reconnaissant de ce que votre cerveau et votre corps peuvent faire quand ils communiquent entre eux, profitez, vous pouvez communiquer, vous pouvez vivre.

Sophie Sine

Internal Community Manager - AG Insurance