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Kristine Verhelst et Birgitta De Smet


Kristine Verhelst est heureusement surprise – touchée, même – lorsqu’elle apprend que c’est Birgitta De Smet qui jouera le jeu de la journaliste pour cette toute nouvelle édition de Your Turn. Cela fait manifestement longtemps que les deux femmes ne s’étaient vues. Lors de leur rencontre, elles se serrent dans les bras l’une de l’autre et échangent quelques plaisanteries. La glace est immédiatement brisée et Birgitta peut commencer l’interview.
Kristine Verhelst, head of media & production chez Proximus, et Birgitta De Smet, CEO et partenaire de la régie Transfer, se retrouvent à Lamot Mechelen, un centre de conférence et de culture. Toutes deux peuvent se féliciter d’une carrière impressionnante dans les médias, la publicité et le marketing. Birgitta De Smet, qui mène l’interview, était directrice commerciale de IP Radio de 1984 à 1994 et general manager de VT4 Marketing & Sales de 1994 à 2002. En 2011, elle a lancé Transfer, une régie belge spécialisée dans la télévision et la vidéo thématique pour des chaînes telles que Fox Vlaanderen et Kanaal Z/Canal Z. Kristine Verhelst, l’interviewée, a occupé le poste de media manager Benelux chez Henkel de 1987 à 1998 avant d’être, de 1998 à 2000, deputy general manager chez Initiative. En juin 2000, elle est arrivée chez ce qui était alors Belgacom Group, dont elle a tenu la barre pendant sa transformation en Proximus. En bref, Kristine Verhelst et Birgitta De Smet sont des grands noms de leur domaine. Et c’est justement le sujet le plus important de cette interview surprise.
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D’apprenties à expertes

Kristine, comment es-tu arrivée dans cette branche ?
« Par mes études. Lors de mes études d’ingénieur commercial à la KU Leuven, j’avais choisi l’option marketing car c’était une matière qui m’intéressait beaucoup. Et comme j’aime beaucoup les maths, j’ai enchaîné sur une Licence spéciale en mathématiques appliquées à la gestion à la Solvay Business School. J’étais la seule Belge dans un groupe d’onze étudiants. Après mes études, j’ai fait mes premiers pas dans une agence d’études de marché, mais j’ai trouvé cet aspect moins intéressant. C’est pourquoi je suis passée chez Henkel dans le département marketing. J’y ai introduit la fonction de media manager. Ça fait déjà un bail ! (rires). »
Qu’aurais-tu fait si tu n’étais pas entrée dans notre secteur ?
« Aucune idée. Je ne suis pas quelqu’un qui planifie les dix prochaines années à l’avance. J’adore entreprendre. Et je travaille volontiers avec les gens pour atteindre un objectif spécifique… »
tant qu’il y a des chiffres …
« Il peut y avoir des chiffres, oui. En fin de compte, ils ont toujours leur importance. »
As-tu des ‘modèles’ dans le domaine ?
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« Pas vraiment, mais il y a beaucoup de gens que j’admire dans le secteur. Je ne veux pas me limiter à un seul nom. J’admire beaucoup notre CEO, Dominique Leroy. J’aime beaucoup la façon dont elle dirige une grande entreprise telle que Proximus à travers les remous, tout en gardant le sourire. Ce sont surtout les fe
mmes qui m’inspirent, parce qu’elles doivent combiner vie privée et carrière professionnelle. Je travaille volontiers avec des femmes – avec des hommes aussi, d’ailleurs. En fait, je préfère quand il y a un équilibre entre les deux. »
Et qui vois-tu comme tes apprentis ?
« J’essaie surtout d’être un exemple à suivre. J’ai déjà pu former plusieurs personnes de mon équipe, ainsi que dans les contacts quotidiens avec les agences. Bien évidemment, je n’adore pas entendre que je suis ‘dure’, mais j’aime bien entendre que je suis dure mais qu’ils ont beaucoup appris de moi. Ce n’est pas toujours facile de donner des leçons, mais par après, je suis heureuse d’entendre que les gens ont retenu quelque chose. »
Les AMMA t’ont nommée Media Advertiser of the Year en 2013. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
« Personnellement, je ne suis pas une grande fan des awards, mais on m’avait demandé de soumettre un dossier. J’ai participé parce que j’étais en quête de reconnaissance pour ma longue expérience. J’ai tout mis en œuvre pour ficeler un beau dossier et pour récolter des voix, car quand je décide de faire quelque chose, je le fais à fond. Les AMMA ont gardé le suspens jusqu’au bout. Je pensais que l’on me préviendrait à l’avance si j’allais gagner et j’ai donc été à l’événement sans grand espoir. La nomination a donc été une vraie surprise pour moi. Vraiment du style : ‘Wow ! C’est pas vrai ! Je ne rêve pas ?’ Et j’ai passé la soirée avec un sourire jusqu’aux oreilles : je me sentais vraiment très honorée. L’année suivante, j’ai pu présider le jury. C’était aussi une très belle expérience. J’ai pu profiter de cette récompense deux fois pour le prix d’une. »

Des FMCG aux télécomm’

Tu travaillais auparavant comme media manager dans le secteur des FMCG et tu es désormais à la tête du media & production dans le secteur des services. Vois-tu une différence ?
« Oui, ces deux expériences sont effectivement très différentes. Après ma carrière chez Henkel, je suis passée chez Initiative Media. Je suis passée d’une grande entreprise internationale vers une agence de taille plus modeste, mais qui faisait tout de même partie d’un groupe international. Ce n’est pas la même dimension. Chez Initiative, la moyenne d’âge tournait autour de la trentaine. Proximus, quant à elle, est une très grande entreprise belge qui prend toutes les décisions au sein de son propre pays. Je suis donc davantage concernée par les décisions. Et je ne dois plus jouer un rôle de coordinateur international qui doit tenir compte des intérêts internationaux de la boîte. Chez Proximus, nous mettons la priorité sur les consommateurs belges. »
En ce moment, tu travailles pour une entreprise publique. Vois-tu des différences avec une entreprise privée ?
« Selon le droit public, Proximus est une société anonyme. L’État en est l’actionnaire majoritaire, avec 53,5% des parts, mais pour le reste, je ne vois pas de différence. Nous fonctionnons tout à fait comme une entreprise privée. Dans mon travail, je ne rencontre pas de contrainte qui viendrait du fait que c’est une entreprise publique. »
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Quels sont les plus grands défis de Proximus à l’heure actuelle ?
« Nous travaillons sur un marché qui évolue à la vitesse de l’éclair, mais cela n’a rien de nouveau. Chez Proximus, nous devons conserver une longueur d’avance sur nos concurrents en matière de technologie. Nous avons un avantage car nous sommes actifs sur tous les marchés du quadruple play. Contrairement à d’autres entreprises, nous ne devons pas chercher de solutions dans des alliances, des joint ventures ou autre chose du genre. Ensuite, il y a évidemment les défis humains. Nous voulons participer à la digitalisation et nous voulons être un exemple dans ce domaine. »
Que signifie pour toi le management marketing et média ?
« Les nouveaux médias ne sont plus si nouveaux que ça. Ils font désormais partie du bouquet médiatique. Les médias numériques évoluent énormément et ce n’est pas toujours facile de trouver des spécialistes qui comprennent aussi le monde de la publicité. La combinaison entre technologie et communication ne va pas toujours d’elle-même. »
Quel a été votre plus grand défi lors du rebranding en une seule marque, Proximus?
« Nous quittions un monde constitué de deux marques, Belgacom et Proximus, qui avait chacune leurs fans. Elles avaient des profils très différents. Malgré les avantages apportés par l’introduction d’une marque unique, il était crucial de ne pas perdre l’affinité du public pour la marque Belgacom lors du rebranding en Proximus. L’avantage d’avoir une marque unique, Proximus, est bien sûr la clarté. Elle combine téléphonies fixe et mobile, qui sont de toutes façons déjà très liées. Cependant, lors d’un tel exercice de rebranding, il faut pouvoir toucher tout le monde, car l’objectif est justement d’être plus proche des gens. Ce n’est pas facile. Les clients de Belgacom sont tout à coup devenus des clients Proximus. Le rebranding est un travail de longue haleine, on n’atteint pas ses objectifs en quelques semaines. D’ailleurs, nous y travaillons encore. »
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Par rapport à vos concurrents, vous êtes très actifs en Belgique. Cela doit faire une belle différence.
« Absolument. Nous travaillons peut-être dans un seul pays, mais avec des cultures différentes. Au nord, nous avons affaire à Telenet, qui fait partie d’un groupe international, alors qu’au sud, notre concurrent c’est VOO. La concurrence est très différente dans les deux parties du pays. »
La révolution technologique ouvre des portes inouïes aux entreprises de télécommunication – avec l’avantage d’un drive vers une croissance rapide. En outre, la digitalisation oblige à évoluer. Quels sont les changements les plus radicaux dans ton environnement de travail ?
« Nous devons travailler avec encore plus d’incertitude. On entend souvent dire que la digitalisation permet de faire de meilleures mesures… »
... au profit de la transparence…
« … Et cela se vérifie. Mais lorsque l’on commence à travailler sur la digitalisation, on entre souvent en terre inconnue. Il s’agit alors de tester. C’est là la plus grande différence par rapport à avant : il faut toujours travailler avec quelque chose de nouveau. Ça avait commencé avec les banners. Entre temps, de nombreuses nouvelles formes de publicité sont apparues. Tout le monde regarde des vidéos sur son ordinateur portable, son smartphone ou sa tablette. Les choses évoluent très vite et il faut parvenir à suivre le rythme sans perdre les clients en cours de route. Il ne s’agit pas uniquement de choix médiatiques, mais aussi de création, de communication et de mise en œuvre. Il faut tenir compte de tout cela lors de la conceptualisation, ce n’est pas évident. »
Grâce aux réseaux sociaux, les clients prennent eux-mêmes les commandes de la communication. Comment réagissez-vous ?
« Ce n’est pas moi qui suis responsable du conversation management, mais cela fait effectivement partie de notre communication. Personnellement, je trouve cela très positif que les gens puissent donner leur avis facilement. Cela nous apprend des choses. Parfois, la remarque d’un seul client permet de mettre le doigt sur une chose que des centaines de clients avaient passée sous silence. C’est une chance énorme. »
Est-ce que cela facilite la communication avec les clients ?
« Non. »
Ça me surprend !
« Les choses n’en sont que plus compliquées. Vous avez le choix entre beaucoup plus de canaux de communication, mais vous devez rester cohérent sur tous les fronts. Il faut également tenir compte des particularités de chaque canal tout en essayant de tout coordonner. C’est un véritable défi. »

De la télévision au multimédia

Proximus gère l’un des plus gros budgets de communication du pays. C’est toujours vrai ?
« Nous restons un annonceur important. Mais l’un des avantages d’avoir une seule marque c’est que l’on peut concentrer tous les moyens et travailler de façon plus efficace. A l’heure actuelle, les chiffres de la Media Data Bank (MDB) pour le above the line ne reflètent pas assez la réalité car ils rendent trop peu les investissements en ligne. »
La télévision reste votre canal publicitaire de prédilection et récolte 35% de vos investissements média. Pourquoi ?
« Pourtant, par rapport à nos concurrents, nous ne sommes pas ceux qui investissent le plus dans la télévision. Ceci étant dit, une vidéo peut faire énormément, qu’elle passe ensuite à la télévision ou sur internet. On peut y raconter une histoire, susciter plus facilement des émotions et faire passer un message plus aisément. Les créatifs s’expriment mieux dans une vidéo que sur une feuille de papier. Mais nous sommes loin d’investir que dans la télévision. L’un renforce l’autre. C’est pourquoi nous sommes l’un des annonceurs les plus plurimédia du pays. »
La télévision reste le média auquel on consacre le plus de temps. Est-ce ton cas également ? Quelle est ton émission préférée ?
« J’aime regarder la télévision, mais ça n’arrive pas souvent. J’apprécie une bonne série comme Scandal, elle me captive. Il doit y avoir du suspens, mais aussi beaucoup d’émotions et d’action et un peu de sexe – ça ne peut pas faire de mal. Avec un tel cocktail, je peux passer pas mal de temps devant l’écran, me détendre et oublier le reste. »
Récemment, vous avez lancé un concours d’agence. Que peux-tu déjà nous dire à ce sujet ?
« Ce que je peux vous dire n’a en fait rien de nouveau. Cela fait huit ans que nous travaillons fructueusement avec OMD. Mais après tout ce temps, il faut passer en revue le marché et voir si d’autres agences pourraient nous aider encore mieux dans certains domaines. Nous avons désormais une shortlist de quatre agences et nous attendons avec grande impatience qu’elles remplissent notre brief’. »
Tu as toi-même déjà participé à des concours du côté d’une agence. À quel point est-ce difficile ?
« Les concours sont difficiles pour les deux côtés. Ils viennent s’ajouter au programme normal de la semaine. Nous n’organisons pas souvent de pitch, mais quand nous le faisons, nous essayons de les organiser le mieux possible. Nous les prenons très au sérieux et nous essayons de poser les questions qui nous permettront de faire les bons choix. De plus, nous avons approché le marché de façon large ce qui fait des dossiers volumineux. Pour le premier tour, nous avons étudié de nombreux dossiers de a à z. Lors du deuxième tour, les dossiers restent lourds : une agence doit pouvoir prouver qu’elle est le partenaire idéal. »
Crois-tu au potentiel de l’adressable tv?
« Bien sûr. Sur internet, de toutes façons, tout devient adressable. C’est parfaitement logique que la télévision devienne de plus en plus adressable, elle aussi. »
Telenet se présente aujourd’hui plutôt comme une entreprise de contenus que de télécommunication. Proximus reste-t-elle une entreprise classique de télécommunication, avec une combinaison téléphonie, internet, télévision ?
« Nous ne sommes pas une entreprise de télécommunication classique, nous sommes progressistes. Notre CEO, Dominique Leroy, dit de Proximus que c’est bien plus un aggregator qu’un content creator. Nous ne sommes pas concurrents des experts du contenu. Ce n’est pas notre angle d’attaque. »
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De dames à Mediamadammen

De quoi es-tu la plus fière ?
« Je suis très loyale, comme tu peux en déduire de mon cv. Je ne change d’entreprise que si cela me permet de grandir et de mieux travailler. Je suis d’ailleurs contente de ne pas avoir changé trop souvent. J’essaie toujours d’aller au fond d’un sujet et de faire tout ce qui est possible de faire. Je suis toujours restée fidèle à moi-même et je veux pouvoir continuer de me regarder dans un miroir. »
Sur le plan professionnel, qu’est-ce qui t’a le plus occupée ces dernières années ?
« La maîtrise efficace des différents canaux de communication et la motivation de mes collègues et des clients par rapport à cette communication. Les gens – moi-même y compris – préfèrent rester dans leur zone de confort, mais j’essaye d’en sortir et d’en extirper mon équipe. »
Tu n’es évidemment pas seule.
« En effet, je ne suis pas seule. Seul, on ne peut pas viser l’impossible. Il faut travailler avec les collègues. »
Tu fais partie des Mediamadammen. Conseillerais-tu à d’autres femmes de faire du networking de cette façon ?
« Absolument. Nous avons lancé Mediamadammen (un réseau professionnel de femmes occupant des positions dirigeantes dans les médias, ndlr) il y a une dizaine d’années. De nombreuses femmes sont intéressées par notre réseau, mais elles n’ont pas de temps libre le soir, puisqu’elles doivent trouver un équilibre entre carrière et vie privée. C’est aussi mon cas, mais je suis quelqu’un qui fait des choix et qui s’y tient. Si je choisis de faire quelque chose, je le fais à fond. »
Un réseau tel que Mediamadammen est-il nécessaire pour lutter contre d’éventuelles discriminations ?
« Je ne le vois pas du tout comme ça. Je n’ai jamais été discriminée en tant que femme. Moi-même, je juge les gens à la seule aune de leurs capacités. Il y a énormément de différences entre les gens et elles ne sont pas uniquement liées à l’âge ou au sexe. Certains sont hyperactifs, d’autres préfèrent travailler discrètement derrière un écran, mais les discrimine-t-on pour ça ? On les apprécie ou non. Personnellement, je n’ai travaillé que dans des entreprises où ça n’était pas un problème. Les Mediamadammen ne sont pas du tout là pour des questions de discrimination. Nous voulons surtout passer plus de temps entre nous. »
Pour terminer, je me demande si tu conseillerais à tes enfants de travailler dans notre branche.
« Je ne veux surtout rien imposer à mes deux filles. L’une d’entre elles a fait des études d’ingénieur commercial mais je ne l’ai jamais poussée dans cette direction. Elle a récemment commencé dans une grande entreprise internationale de consultance. Mon autre fille vient de commencer les sciences biomédicales à l’université. »
On ne sait jamais, des gens de tous domaines atterrissent dans notre branche, c’est ce qui la rend si intéressante.
« C’est vrai. Je n’avais moi-même jamais imaginé travailler dans la publicité. Dans le marketing oui, mais pas dans la publicité. »
Merci beaucoup pour ta collaboration.
« C’étaient de très bonnes questions ! »