Penser autrement à l’ère du Big Data

Luc De Brabandere

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Luc De Brabandere

Luc de Brabandere (Boston Consulting Group): « Il n’y a rien de plus difficile que d’inventer l’avenir. Les nouvelles idées naissent de la surprise, pas de la répétition de l’existant. »

Google, Facebook, Amazon et consorts nous confrontent à la toute puissance de nombreux algorithmes. C’est ce que l’on appelle le « Big Data » : une puissance de calcul et une mémoire sans précédent, associées à des technologies de pointe et de nouveaux médias. Cette combinaison appelle des modèles de pensée totalement nouveaux, explique Luc de Brabandere. Il s’est exprimé lors du congrès sur le marketing organisé au début du mois par STIMA et nous l’avons écouté pour vous. 

L’avènement du Big Data nous fait vivre une véritable révolution technologique, d’après le mathématicien et philosophe Luc de Brabandere. Il note cependant que cela nous donne l’opportunité de nous affranchir de modèles obsolètes. « On peut comparer cette évolution à l’essor des compagnies aériennes low cost, dit-il. En fait, elles font autant concurrence au bus qu’à d’autres transporteurs aériens. Ou à des discounters comme Colruyt. Elles se démarquent grâce à un nouveau business model. Les règles du jeu évoluent et nous avons besoin de nouveaux modèles de pensée. »

L’ère du Big Data est gouvernée par des algorithmes possédant une puissance de calcul et une mémoire phénoménales, associés à des technologies dernier cri et aux nouveaux médias. Luc de Brabandere avait prédit ce raz-de-marée dès 1985 dans son livre Les Infoducs. Il est absurde de réagir en proposant des solutions du passé. Une révolution technologique si radicale apporte des paradigmes totalement nouveaux : nous devons repenser notre secteur à la lumière de ceux-ci.

Tabula rasa

Google voulait devenir le meilleur moteur de recherche au monde. Aujourd’hui, sa technologie est si avancée que le géant de l’informatique caresse l’ambition d’administrer tous les savoirs du monde. C’est un nouveau paradigme. Un dérivé comme Google Earth n’a pas de rapport avec un moteur de recherche. « Quiconque veut développer une stratégie a besoin de prendre du recul et d’avoir la possibilité de considérer les choses de manière statique, ou "gelée". Le monde, lui, continue d’avancer à la vitesse de la lumière, écrit Luc de Brabandere. En naissent des demi-solutions. Prenons le secteur bancaire, par exemple. Très peu d’aspects ont évolué, malgré l’arrivée de l’e-banking. Les institutions bancaires se sont drapées d’une cape numérique, mais le client n’est pas au centre de leurs activités et l’organisation ne s’est pas adaptée pour fonctionner 24 h/24, 7 j/7. De nouveaux acteurs qui surgissent du web, comme le magasin CoolBlue, mettent, eux, le client avant tout. Ils se démarquent en offrant le meilleur service possible. Dans le domaine informatique, on a vu comment SAP a fait table rase du passé pour se réinventer dans la logistique et la gestion d’entreprise. Les patients d’un hôpital entendent dire qu’ils ont le rôle clé, qu’ils sont le point de départ, mais tout cela semble souvent bien loin de la réalité. » Il n’y a rien de plus difficile que d’inventer l’avenir. Les nouvelles idées naissent de la surprise, pas de la répétition à l’infini de l’existant.

Profils

Tout nous semble gratuit sur Internet. En réalité, nous payons avec notre profil, c’est-à-dire les informations que nous donnons à notre sujet. Et finalement, personne ne sait exactement ce qu’il en advient. « Il suffit de suivre les clics d’une personne pendant trois ans pour tout savoir sur elle, explique Luc de Brabandere. Nous devons comprendre cela. La voie est libre pour manipuler ces montagnes d’informations. Si je clique sans cesse sur des informations sur l’Italie, des offres de vols vers l’Italie apparaîtront soudain sur mon écran. Ce n’est pas un hasard. Je suis ainsi confronté à un "sentiment d’urgence" dès que je vois les prix grimper, de sorte que j’ai l’impression de devoir réserver sans plus attendre. »

Découvrir ou inventer

Les modèles statistiques se fondent souvent sur des hypothèses simples, qu’elles soient positives ou négatives, pour lesquelles on cherche la plus grande majorité possible. L’on peut penser, par exemple, au référendum sur le Brexit ou à la campagne de Donald Trump aux États-Unis. « Le Big Data permet de découvrir des modèles, nuance Luc de Brabandere. C’est comme l’astronome Johannes Kepler, qui décrivit les mouvements des planètes comme le Grec Apollonios de Perga l’avait fait deux mille ans auparavant. » Ou encore des scientifiques, à l’instar d’Adolphe Quetelet, qui théorisa l’indice de masse corporelle (IMC), ou bien Darwin qui, après des années d’observation de la nature, énonça la théorie de la « survie du plus apte ». Le Big Data aurait pu les aider mais, finalement, ce genre d’inventions est le fruit de la créativité de l’homme. « Prenez les nouvelles méthodes de segmentation, poursuit Luc de Brabandere. Le Big Data permet de mettre au jour des corrélations, mais cela ne suffit pas pour développer des méthodes de marketing révolutionnaires comme l’a fait en son temps Tupperware avec ses réunions à domicile. Il existe, soit dit en passant, d’innombrables génies – Steve Jobs, Picasso, et j’en passe – qui ont accompli leur travail sans le Big Data. »

Penser autrement

Luc de Brabandere en appelle à tout un chacun à examiner sa propre activité et à se demander comment celle-ci évoluera à l’ère du Big Data. Par exemple, comment va-t-on enseigner les mathématiques ou la musique à l’avenir ? Il ne s’agit pas là de faire la différence entre une voiture hybride et un diesel, mais bien d’esquisser une vision de l’automobile, voire de la mobilité. Il envisage également de grands défis pour le secteur de la communication, souvent bâti sur un modèle traditionnel, avec des account managers, creative directors, etc. Qui se sent de taille ?

 

Qui est Luc de Brabandere ?

 Luc de Brabandere est membre du Boston Consulting Group et enseigne à la Louvain School of Management ainsi qu’à l’École Centrale Paris. Il est coauteur de Thinking in New Boxes: A New Paradigm for Business Creativity (Random House, 2013) et d’autres livres, parmi lesquels The Forgotten Half Of Change (Kaplan, 2005). Il créa en 2000 Cartoonbase (www.cartoonbase.com). Destiné à servir de base de données sur la bande dessinée, le site est devenu une alternative à part entière aux présentations PowerPoint, à l’aide d’animations et de dessins. « Le mariage de la logique commerciale et du talent artistique », dit-il lui-même.