Peu d'infos sur l'info

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Newsmedia / Comment se porte l'actu en Belgique?

Au premier coup d’oeil, nous pourrions penser que les médias d’information ont la belle vie dans notre pays. Les titres ont l’air nombreux, les canaux variés et nous pourrions de ce fait supposer que les citoyens sont de grands consommateurs d’actu. Vrai? Faux? Et quelles évolutions à l’avenir? Etat des lieux de la question.

·        La pénétration des médias français brouillent la donne.
·        Manque de collaboration des entreprises du secteur.
·        Des résultats impossibles à croiser.
·        Un domaine en pleine déstructuration.

Des JT sur toutes les chaînes. Des journaux parlés sur toutes les stations. Des journaux papiers nationaux et régionaux, généralistes ou spécialistes. Des magazines qui traitent d’actu: Knack, Knack Weekend, Knack Focus, Le Vif L’Express, Le Vif Weekend, Le Vif Focus, Marianne Belgique et compagnie. Des émissions politiques, des reportages d’investigation, des documents et des interviews réguliers sur des questions qui concernent la société d’aujourd’hui. Et puis tous les sites via lesquels il est possible de s’informer. « C’est presque miraculeux que nous parvenions à faire cohabiter autant de titres sur un aussi petit territoire. Surtout que celui-ci est encore plus réduit lorsque l’on considère les bassins linguistiques, » concède François Heinderickx, professeur en communication à l’Université Libre de Bruxelles et Président-Elect à l’International Communication Association (ICA). A titre d’exemple, en 2012, La Une, La Deux et La Trois de la RTBF ont consacré ensemble 2.120 heures de programmes à l’info (via, entre autres, « Le 13 H », « le 19H30 », « le 12 Minutes », « le 15 Minutes », les éditions spéciales, « On est pas des pigeons! », « Devoir d’Enquête », « Revu et Corrigé », « Mise au Point », « Questions à la Une »,…)

De là à dire que la Belgique est un eldorado pour l’info? François Heinderickx tempère: « Si nos médias se donnent beaucoup de mal pour assurer une certaine diversité, il faut reconnaître que celle-ci ne s’accroît plus depuis quelques années. A part l’un ou l’autre projet exceptionnel comme le lancement de Marianne… » Et qui dit multiplicité de titres ne dit pas forcément multiplicités de contenus. Cependant, pour voir s’il ne s’agit pas de simples transpositions, il faudrait comparer ces derniers. « C’est flagrant en ce qui concerne internet: mis à part de rares initiatives commeApache.bequi produit son propre contenu, les sites news auxquels le public a accès ne sont que des déclinaisons des médias traditionnels, créés d’ailleurs par ces derniers. Pour le reste, nous ne disposons pas d’indicateurs. » Et c’est bien là que se trouve le problème: actuellement, il est toujours impossible d’évaluer l’importance donnée à l’information en Belgique. Ni d’ailleurs de savoir exactement comment se porte ce segment particulier. Et encore moins de faire le bilan de son audience. Le Belge est-il vraiment fan d’actu? La consomme-t-il spontanément ou ne peut-il simplement pas y échapper? S’il achète un journal, le lecteur n’en parcourt pas forcément toutes les rubriques. Et si l’audience semble être au rendez-vous au moment des JT, cela ne signifie pas automatiquement que le téléspectateur reste devant son écran, attentif à ce qui est dit. « Jusqu’à présent, toutes les théories quant à la consommation de l’info en Belgique sont basées sur de la spéculation. Rien ne nous permet d’affirmer quoi que ce soit. »
De la nécessité d’un organisme d’analyse
D’autant plus que les programmes d’actu des pays limitrophes viennent brouiller la donne. Si la population flamande privilégie les contenus produits à l’intérieur de ses frontières, les francophones ont l’air plutôt friands des journaux télévisés français. Et les sites de l’Hexagone spécialisés dans les news, comme Rue89.com ou Mediapart.fr, remportent eux aussi leur petit succès. « Mais les chiffres d’audience français nous sont complètement hors de portée, » fait remarquer Bernard Cools, deputy general manager de Space. D’ailleurs, quand on demande à l’agence média une analyse de l’audience des programmes news, elle se trouve vite dépourvue. Tout d’abord, cela n’est que difficilement réalisable pour la radio, aux grilles trop mouvantes. Ensuite, télévision et internet tirent leurs données de sources différentes, dès lors impossibles à réellement confronter. En outre, si la consultation de plateformes news apparaît plus importante au Nord qu’au Sud du pays, ce phénomène reste délicat à expliquer. Nous savons tout au plus que les indicateurs de performance sont influencés par le fait que la pénétration d’internet est plus forte côté néerlandophone. Rien de bien plus exhaustif quant à ce qui se passe côté TV. Apparemment, le Sud réagit mieux à l’ensemble de la catégorie « infos » (émissions et magazines compris donc) quand le Nord préfère les bulletins d’actu « purs » (cfr graphe).

« Il faudrait absolument mettre en place une structure qui se penche sur ces interrogations, » propose François Heinderickx. « Un organisme qui serait capable d’apporter des éléments factuels, une photographie plus ou moins imparfaite, plutôt que de petits coups de sonde ponctuels que nous ne pouvons mettre en parallèle. » Le modèle en la matière, c’est le rapport « Excellence In Journalism » réalisé tous les ans aux Etats-Unis. « Il évalue tant les audiences que la production. Il est autant une source d’analyse que d’inspiration. Il pose un diagnostic. » Bien entendu, une telle organisation n’est pas imaginable dans notre petit royaume mais le principe est à suivre. « Idéalement, ce devrait être un projet qui vienne des pouvoirs publics. Il serait organisé par les milieux académiques afin d’assurer la neutralité de la démarche, mais ne pourrait avoir lieu sans la collaboration des entreprises médiatiques ou de presse. » C’est que lorsque que l’universitaire s’est lancé dans l’élaboration de « l'Etat des lieux des médias d'information » publié il y a deux ans pour le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il s’est heurté, avec son confrère Frédéric Antoine de l’Université catholique de Louvain, a un écueil de taille: le manque d’exactitude dans les montants publicitaires investis dans la presse. « Nous avons découvert des chiffres bruts, sans toutes les nuances – les ristournes notamment – qui existent dans la pratique. Je comprends que dans un secteur concurrentiel, les protagonistes n’aiment pas trop en dire… Mais il est impossible de prendre la température d’un marché si l’échelle du thermomètre est biaisée! Or, nous connaissons tous le rôle de la publicité pour la santé des médias et donc de l’information. » Bien entendu, chacune des entreprise – d’info ou de pub – procède à des analyses ou des tests en interne mais personne ne possède une vision globale de la situation.
Revoir les dispositifs de mesure
Autre zone d’incertitude: le nombre de journalistes actifs en Belgique, ceux-là même qui sont à la source de l’info. Ce principalement à cause de la complexité du statut entre détenteurs de la carte de presse, les indépendants, ceux qui exercent au titre d’activité complémentaire.

Et les audiences? « C’est vrai, il existe certaines études plus ou moins régulières sur le sujets. Toutefois, les dispositifs de mesure utilisés sont de plus en plus dépassés par l’évolution des pratiques. Il faudrait revoir les systèmes d’échantillonnage. Un vrai défi pour les sociétés d’études de marché, » prévient François Heinderickx. « Aujourd’hui déjà, certains soubresauts dans la consommation restent inexpliqués. Pourquoi, par exemple, le lectorat est stable mais les ventes baissent? Quid de la consommation multi-canaux? Les gens font-ils véritablement la différence entre ce qu’ils lisent dans un journal ou sur une page web? Quels écrans utilisent-ils vraiment? Le mobile ou la TV? Les auditeurs écoutent-ils la radio en direct ou en podcast? » L’ « Etat des lieux des médias d’information » révèle notamment que la pénétration cumulée des journaux télévisés (environ 45%) est quasiment égale à celles des journaux papier (50%). Seulement, puisqu’il s’agit de deux techniques de calcul différentes, ces résultats sont impossible à comparer. Des dispositifs beaucoup plus intégrés seraient donc nécessaires pour pouvoir prétendre à des observations constructives. « La segmentation change également. Alors que la presse écrite a toujours été le média des news en contexte et de l’analyse, quand la radio faisait dans l’instantanéité, désormais les journaux actualisent en permanence leurs sites web. Ils envoient des alertes, ils diffusent des vidéos comme la télévision… Les moyens d’évaluation doivent s’adapter à la totale déstructuration des systèmes que nous sommes en train de vivre. »

Ces questions deviennent effectivement de plus en plus pressantes avec l’émergence de nouveaux médias: les adultes de demain auront-ils pris l’habitude de lire uniquement sur tablette? Ne vont-ils pas se contenter de l’actualité partagée sur leurs réseaux sociaux? « Qui dit information dit aussi format. Les news à la télévision répondent à un certain conformisme immuable. Est-ce que cette stabilité de forme peut perdurer? Faut-il nécessairement passer à plus l’interactivité ou la TV est et restera le média de la consommation passive? » Des questions qui ne trouvent à ce jour toujours pas de réponse...