Prenez soin de vous, en quelques lignes...

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Prenez soin de vous ! Et si cette injonction présente sur tous nos écrans depuis le début de la pandémie, à tel point que nous ne la voyons même plus était finalement une partie de la solution ? En tout cas, c'est le titre du troisième livre du Journaliste, Community Manager, et Professeur invité à l'IHECS, Vincent Liévin, qui paraîtra en janvier 2022.

La pandémie a-t-elle eu un impact sur la santé mentale de la population ?

La pandémie que nous traversons est venue frapper une population déjà très marquée par le stress quotidien. Celle-ci a par ailleurs rendu certains moyens de défense contre l’anxiété inutilisables ou insuffisants. Ce que nous constatons dans la clinique quotidienne, notamment celle de la crise que je pratique, ce ne sont pas des plaintes concernant des difficultés directement liées aux contraintes liées à la pandémie, mais plutôt une remise en question, une recherche de sens, des questions quant à son utilité dans ce monde ou à la façon de se construire un avenir dans une société divisée et marquée par l’opposition d’opinions parfois irréconciliables. Ces interrogations sont évidemment particulièrement marquées ces nos jeunes, privées de tout un pan de leur vie sociale pendant due longs mois, au bénéfice d’autres générations plus enclines à souffrir de la maladie liée au Covid-19.

Comment le stress impacte-t-il notre cerveau ? Et comment y réagissons-nous ?

Le système physiologique de stress est le fruit d’une longue évolution biologique. Il est d’une grande utilité non seulement pour assurer la survie, en permettant de mobiliser ses forces rapidement pour répondre à une menace, mais aussi pour assurer une vie sociale et évaluer les potentialités de l’environnement à différents niveaux. Ce système est bien connu anatomiquement, les zones du cerveau concernées s’articulent autour du locus ceruleus, comportent des neurones à catécholamines, gèrent les effets physiologiques via l’axe hypothalamo-hypophysaire et le cortisol, et sont modulées par différentes hormones.

Au-delà de ce système biologique, nous avons également un système d’adaptation au stress cognitif et comportemental, qui nous permet d’anticiper les éventuels stimuli stressants et d’aménager des réponses adaptées, selon le psychologue Richard Lazarus. Schématiquement, ce qu’on appelle les « stratégies de coping » sont divisées deux grandes catégories. La première catégorie et tournée vers l’extérieur et a pour objectif de moduler les relations entre l’individu et son environnement, par exemple en recherchant des informations susceptibles de nous aider à faire face, ou en essayant de diminuer les ressources nécessaires pour contrôler ce stimulus, c’est le « coping centré sur le problème ». La seconde catégorie consiste à réguler l’impact psychologique du stimulus et est cette fois tournée vers soi et ses émotions. Cela peut être la fuite, la minimisation, le déni, la recherche de soutien social ou encore la réévaluation positive. Ces différentes façons de réguler le stress cognitivement ont été bien entendu utilisées pour faire face au stress qu’a représenté la pandémie. On a ainsi pu constater une augmentation des consommations de substances psychoactives, marquant des tentatives d’évitement ou de la minimisation (« c’est une simple grippette ») voire de déni, mais aussi des stratégies centrées sur le problème comme la rechercher d’informations et la mise en place de plan d’action, tant au niveau collectif qu’individuel. La réorganisation du soutien social a aussi pris une grande part dans la gestion du stress lié à la pandémie. Quand on a parlé de manque de prise en compte de la santé mentale, c’est de ce côté qu’il faut peut-être aller voir : les mesures de confinement prises par les autorités ont-elles été prises en tenant compte des possibilités de développer à tous les niveaux des modalités de gestion du stress en utilisant les moyens connus et étudiés scientifiquement ?

Quels sont les facteurs qui peuvent stimuler le système de stress dans la vie quotidienne ?

Au-delà des éléments relevants de la pandémie, nous vivons dans un monde soumis à des stress perpétuels et continus, qu’ils soient liés à l’hyperconnectivité ou à des modes d’organisation sociale propres à stimuler notre système de stress. Chaque jour nous rencontrons des microstimulations qui amènent à accumuler le stress de plus en plus, parfois jusqu’à la rupture et les troubles de la santé mentale. De plus nous avons de moins en moins de moments « soupapes » qui nous permettent de lâcher la pression. À cet égard, certains patients m’ont rapporté qu’ils regrettaient les périodes de confinements où, d’une certaine manière, la vie était ralentie et convenait mieux à leur rythme. Bien sûr la vie sociale était largement tronquée, ce qui était un atout de moins dans la lutte contre le stress, mais pour certains ce rythme a permis de se poser et de prendre les choses avec plus de sérénité.

Dans le livre nous abordons deux éléments particulièrement importants dans le stress quotidien, issus de la recherche sur le bien-être des soignants. Le premier est la « suradaptation », un concept qui signifie la volonté d’en faire toujours plus pour répondre aux besoins de l’environnement, notamment professionnel. On sur fonctionne en permanence au prix d’un stress chronique très important, car on pense que c’est la seule manière de faire, et qu’il faut en donner toujours plus pour être à la hauteur. Le second est ce que les auteurs américains appellent le « moral injury » et que nous traduisons par blessure éthique. Quand on doit faire des choses qui ne cadrent pas avec ce que nous pensons être bien, on en ressort blessé et stressé. Ces deux éléments sont en pratique présents dans la vie de beaucoup de personnes, bien au-delà du personnel soignant !

Quel rôle jouent les émotions dans notre vie quotidienne ?

Dans la culture occidentale, on a tendance à reléguer les émotions au second plan, par rapport à la raison. Pourtant, celles-ci sont essentielles dans toutes nos prises de décisions, mais aussi dans tout le fonctionnement de notre vie relationnelle. Notre système d’émotions est calibré pour nous aider à reconnaitre ce que nous ressentons — mais nous n’en tenons pas assez compte — mais aussi ce que les autres ressentent — grâce aux fameux neurones miroirs. Cette double évolution est essentielle pour pouvoir établir une relation équilibrée et respectueuse à l’autre. Malheureusement, alors que l’énorme majorité de nos comportements sont guidés par nos émotions, celle-ci ne représentent par exemple qu’une partie minuscule de l’enseignement donné à nos enfants. Dans d’autres pays comme le Danemark, il existe des cours d’empathie. Ceux-ci seraient bien utiles au « monde d’après », si on veut reconstruire des liens sociaux apaisés et constructifs pour le bien-être de tous !

Ce stress chronique qui s’installe insidieusement dans notre vie quotidienne et cette difficile gestion des émotions et du ressenti ont-ils un effet à long terme ?

Bien sûr, c’est ce que nous appelons dans le livre la « longue pente savonneuse » qui s’installe petit à petit, parfois jusqu’à la rupture, moment où l’on consulte un psychiatre ou un psychologue parce qu’on se sent fatigué, stressé, pas à la hauteur des attentes extérieures, ou simplement parce qu’on a des problèmes physiques comme des céphalées, des douleurs abdominales, des précordialgies atypiques, etc. ou des problèmes cognitifs. La mémoire et la concentration sont très impactées par le stress chronique, ce qui rajoute encore à l’anxiété du quotidien. Beaucoup de mes patients pensent avoir une démence, même très jeunes, alors qu’il s’agit d’un effet du stress sur le cerveau.

Un autre effet plus émotionnel et psychogène que je constate souvent est la baisse de l’estime et de la confiance en soi. Comme pour les émotions, celle-ci a mauvaise presse. Il faut être humble, et toute manifestation d’ego est mal perçue. On ne peut de fait pas tout le temps se mettre en avant ou s’admirer dans le miroir. Cependant, il faut un peu de confiance et d’estime de soi pour être réellement épanoui dans sa relation à l’autre et pour oser s’engager dans des projets et des actions qui peuvent nous amener plus de bien- être. Reconstruire l’estime de soi abimée par la suradaptation — qui fait qu’on a l’impression de ne jamais être à la hauteur — ou les moral injuries peut prendre beaucoup de temps, mais c’est indispensable pour retrouver l’équilibre psychique indispensable au bien-être.

On parle énormément de recherche de sens et de valeurs. Cela a-t-il réellement un impact sur le bien-être ?

Le psychiatre autrichien Viktor Frankl a beaucoup travaillé cette question. Pour lui, le sens, c’est l’accord entre ce baromètre que nous avons chacun au plus profond de notre psychisme et qui nous permet d’estimer ce qui est bien ou mal et nos actions. Si on fait des choses qui vont contre ce que nous croyons être bien, nous ne pouvons pas nous sentir sereins. On rejoint ici le concept de moral injury. Le concept de valeurs est très mal utilisé aujourd’hui, il participe à la suradaptation, car nous pouvons sans cesse ne pas nous sentir capables d’y arriver. En fait, il s’agit d’un guide, d’une sorte de GPS qui nous guident sur la route que nous parcourons et qui nous permet de savoir si nos prenons la bonne direction, celle qui mène à l’équilibre psychique qui permet la sérénité.