Quand la radio rencontre le cinéma

Saskia Schatteman, VAR

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Patrick Van Dijck, Saskia Schatteman

Patrick Van Dijck (Brightfish) interviewe Saskia Schatteman (VAR)

When radio meets cinema : Patrick Van Dijck interviewe Saskia Schatteman

Depuis quelques mois, Saskia Schatteman est CEO de VAR après être passée par Procter & Gamble, De Lijn et Microsoft, pour ne citer qu’eux. Patrick Van Dijck, quant à lui, représente le monde du cinéma, puisqu’il est managing director de la régie publicitaire Brightfish. Comme à l’accoutumée dans cette rubrique, Saskia Schatteman ne savait pas à l’avance qui allait l’interviewer. Il y a quelques mois encore, tous deux ne se connaissaient que de nom. Aujourd’hui, ils se croisent de temps en temps lors d’évènements organisés dans leur branche, mais on ne peut pas dire qu’ils se connaissent vraiment. Avec le salon de l’auto à l’horizon, nous avons choisi un endroit de circonstance, et neutre de surcroit : le très sympathique salon lounge de BMW Brussels. Après de brèves présentations, Patrick Van Dijck lance le débat avec une question atypique.

Le sexisme existe-t-il encore dans le monde professionnel ?

Malheureusement, je crains que oui. Cela reste difficile pour une femme de faire carrière. Il y a encore des environnements de travail qui mettent des bâtons dans les roues des femmes, car ils sont organisés de façon machiste. Et au moment où il faut faire des choix sur la façon dont on va combiner vie familiale et vie professionnelle, il y a toujours plus de femmes que d’hommes qui choisissent de lever le pied, bien que je voie autant d’hommes que de femmes essayer de trouver un équilibre. Chaque jour, j’essaie moi aussi de faire les deux : gérer au travail et à la maison. Et ce n’est pas facile. J’essaie aussi de servir d’exemple pour encourager d’autres femmes à choisir les deux. J’ai moi-même toujours eu des exemples à suivre et ce sont des personnes que je suis heureuse de connaître.

La solution pourrait être ‘le nouveau travail’, c’est à dire, le travail flexible. Est-ce quelque chose que tu aimerais introduire dans ton organisation ?

J’y crois certainement. Microsoft, où j’ai travaillé cinq ans, est l’exemple même du ‘nouveau travail’. Personne n’y a de bureau fixe et chacun fait son travail quand et là où ça lui chante. Et ça fonctionne ! Chez VAR, j’aimerais faire quelques pas dans cette direction. Nous voulons participer à cette évolution. Il faut pouvoir participer à une réunion à tout moment, même si vous travaillez chez vous. Travailler chez soi ne signifie pas que l’on peut s’isoler dans un cocon.

Est-ce plus difficile dans des petites organisations que dans des grandes ?

Non, je pense que cela dépend surtout de la mentalité. Dans des grandes boites, cela va de soi que l’on puisse faire des réunions par Skype for Business, parce qu’il n’est tout simplement pas possible de se réunir chaque semaine autour d’une table avec les collègues de l’étranger. Mais les petites entreprises disposent aussi de ces technologies, elles ne les utilisent simplement pas partout.

Saskia Schatteman, VAR

Saskia Schatteman est CEO de VAR

Privé et public

Tu as aussi bien travaillé pour des entreprises publiques que privées. Vois-tu des différences ?

J’aime beaucoup changer. J’ai travaillé à l’international pendant quelques temps chez Procter & Gamble, avant de revenir en Belgique chez De Lijn. L’un est très clairement privé, l’autre est un service des autorités flamandes. Une différence énorme mais qui me donne de l’énergie. C’est surtout le contexte qui est différent : les entreprises privées veulent proposer des produits qui apportent un véritable plus aux gens et qui améliorent le monde, mais qui rapportent aussi de l’argent. Le secteur public ne cherche pas le profit. Chez De Lijn, j’ai développé des campagnes qui ne visaient pas à rapporter le moindre cent, comme celle de la politesse dans le bus. Pour l’instant, en Flandre, c’est très orienté ‘bonne action’. Cela me donne énormément d’énergie.

N’est-ce pas difficile de réaliser des choses dans ce contexte ? Tu dépends de nombreux facteurs externes dont les buts ne sont pas toujours très clairs.

Personnellement, je trouve que travailler dans un environnement public est plus difficile. C’est dû au fait qu’il y a souvent plus de stakeholders et plusieurs objectifs. Par exemple, dans le contexte de VAR, je dois, d’une part, atteindre des objectifs financiers pour la VRT, comme convenu dans le contrat de gestion, et, d’autre part, j’ai l’objectif plus large de m’assurer qu’en Flandre, nous puissions continuer à produire du contenu de qualité. Cela étant dit, de telles situations existent aussi dans des boites privées. À un moment, Microsoft a été mis en difficulté par d’autres géants tels qu’Apple, Android/Google et Amazon. On se demande alors, comme maintenant, ce que l’on pourrait bien faire. Les facteurs extérieurs sont les mêmes, ce sont les intérêts qui changent.

À l’heure actuelle, de plus en plus d’annonceurs, comme Red Bull, Unilever ou Coca-Cola, produisent du contenu in-house. Pour la radio, qui reste l’essentiel de l’activité de VAR, n’est-ce pas une menace que le contenu soit de plus en plus visuel ?

 Je vois une grande évolution de l’ensemble du paysage publicitaire, où, dans l’immédiat, tout ce qui est visuel est menacé. La publicité télévisée est chamboulée car les consommateurs regardent la télévision de façon tout à fait différente. En outre, les annonceurs produisent de plus en plus leurs propres vidéos. La radio est-elle pour autant menacée ? Pour le moment, pas encore. Les gens consomment toujours la radio d’une autre façon, en partie parce qu’elle est toujours unskippable. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de révolution. Nous avons simplement besoin de plus de temps pour étudier ce qui se passe et chercher de nouvelles solutions.

Patrick Van Dijck, Brightfish

Patrick Van Dijck managing director de la régie publicitaire Brightfish

It’s not if, it is when

Il y a ensuite cet autre courant important : la collecte et le traitement de données. Pour certains médias comme le online, c’est évident, mais comment envisagez-vous cela pour la radio ?

C’est la même chose que pour les autres médias traditionnels. Tous les annonceurs veulent des données, c’est inévitable et nous devons le faire aussi. Ce n’est pas une question de ‘si’, mais de ‘quand’. A l’étranger, il existe déjà des méthodes de mesure qui donnent de bien meilleures données que ce que nous avons aujourd’hui en Belgique. En Belgique, nous travaillons pour rester à jour dans nos possibilités de collecte de données.

Ces possibilités sont au niveau de la technologie ?

Je ne pense pas que la livraison de contacts directs puisse un jour devenir notre activité principale, mais je pense que la radio pourra y contribuer à l’avenir. Prenez par exemple un concessionnaire automobile qui demande les données d’un client potentiel. Par la radio internet ou les peoplemeters, nous pouvons voir qui a écouté les spots. Technologiquement, c’est faisable. Mais je crois plutôt en une collaboration entre différentes entreprises avec des données, par exemple par le biais d’une plateforme. Les données pourraient y être agrégées et proposées aux annonceurs.

Le programmatic buying pourrait changer notre rôle d’intermédiaire – chez VAR et Brightfish – à l’avenir. Quelle serait alors notre valeur ajoutée ?

Les délais dans lesquels les annonceurs doivent planifier sont de plus en plus serrés, car le rythme des affaires s’accélère. En tant que régie, nous devons nous assurer de pouvoir y intervenir de façon efficace, c’est là notre valeur ajoutée. Comment ? En s’assurant que tout ce qui est purement fonctionnel soit automatisé, pour qu’il puisse être acheté en fonction du plan média. Cela nous permettrait de mieux utiliser notre point de vue humain pour des choses qui ne peuvent être programmées, par exemple pour déterminer quel contenu va avec quel contexte ou quelle histoire voulons nous transmettre à nos clients.

Tu es passée du côté des régies depuis peu. Ce milieu te semble-t-il plutôt conservateur ou progressiste ?

 Pour être honnête, je dois dire que j’ai été surprise par le conservatisme du média, qui cherche à protéger tout ce qu’il peut et à éviter la fuite en avant. A l’inverse, je suis convaincue qu’il serait préférable de monter à bord de la nouveauté, car il sera impossible de retenir le train.

En 2014, vous étiez Advertising Personality of the Year de PUB et d’UBA. Quels grands changements avez-vous constaté au fil des années dans le marketing ?

Le secteur a radicalement changé ces cinq dernières années. Lorsque j’ai commencé, dans les années nonante, l’une des tâches principales, dans mon métier, était de faire de bons plans média. A l’époque, c’était relativement simple. Aujourd’hui, c’est plus fragmenté, avec des touchpoints qui bougent sans cesse. Dans ce sens, je trouve que le métier est devenu plus difficile qu’avant, mais aussi plus intéressant. De plus, les annonceurs travaillent désormais davantage avec des content stories qu’ils utilisent pour établir un lien avec leur public cible via différents touchpoints. Avant, c’était plutôt un sens unique, maintenant il y a une connexion et de l’interaction.

Tomber et se relever

Les médias ne sont-ils pas devenu un secteur où l’on fait très peu techniquement du côté de l’annonceur parce qu’on externalise ?

Je ne veux pas généraliser, mais j’ai l’impression que les entreprises, aujourd’hui, investissent beaucoup moins dans la formation des jeunes diplômés. De ce point de vue, je pense que l’on perd de la technicité, ce qui pose parfois problème. D’autre part, je pense que les jeunes marketeurs ont une bonne vision de l’efficacité. Ils ne savent peut-être pas très bien comment fonctionne un plan média, mais ils savent très bien si leur public cible clique. Les jeunes sont très data-driven, cela leur permet de compenser. A un moment donné, ils finiront bien par y arriver, mais il faudra pour cela tomber et se relever quelques fois.

Patrick Van Dijck et Saskia Schatteman

Patrick Van Dijck (Brightfisg) interviewe Saskia Schatteman (VAR)

C’est alors que Saskia Schatteman inverse les rôles. Elle a quelques questions à poser à son interviewer du jour :  

Comment vois-tu l’avenir des médias traditionnels ?

Chaque média va devoir se réinventer. Mais ce n’est pas un problème en soi. Chez Radio 1, on parle depuis peu de la DAB+ alors qu’en Norvège elle existe déjà. Quel est l’avenir de la radio ? Peut-être est-ce celui de Tesla, des wifis roulants. Ce serait passionnant. Mais chaque média va devoir suivre son propre rythme et parfois c’est plus facile de réagir plus vite pour des plus petits, comme Brightfish. Puisque nous sommes un petit média, nous pouvons déjà penser à demain.

Cela dépend peut-être de vos attaches ? A quel point êtes-vous autonomes ?

Brightfish fait partie du groupe Kinepolis, mais nous travaillons pour tous les cinémas de Belgique. Pour un petit média, c’est tout simplement plus intéressant pour garder le fort, sinon il serait impossible d’investir dans la recherche et le développement. C’est quelque chose qui nous occupe beaucoup et avec quoi nous devons évoluer. Mais personne ne nous dira ce qu’il faut faire, nous devons le découvrir par nous-mêmes (rires).

N’avez-vous pas d’exemples de l’étranger ?

Si, mais ils sont souvent un peu protectionnistes. Ils sont moins axés sur la technologie que ce qui nous occupe : l’interactivité, la collecte de données… Nous travaillons surtout sur les avantages que l’on a en tant que média implanté localement et comment nous pouvons les utiliser à l’avenir.