« Quelle est l’influence de la créativité ? »

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Ce n’est pas nouveau : notre pays profite de talents néerlandais qui traversent la frontière au nord. Pensez par exemple à Jean-Pierre Cluysenaer, l’architecte des Galeries Saint-Hubert à Bruxelles, ou aux écrivains Jeroen Brouwers et Benno Barnard, ou encore aux personnalités des médias (Otto-Jan Ham) et autres sportifs de haut niveau (Wout Van Aert et Max Verstappen ont tous deux un père néerlandais). Ou alors, oui, à la famille Gelder.

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Après le divorce de ses parents, Berry Gelder (*1932) s’installe avec sa mère en Belgique. Pendant la guerre, son père s’exile également temporairement en Belgique pour s’y cacher car son agence de publicité aux Pays-Bas a contribué à des campagnes de lutte contre l’idéologie nazie. Il a de nombreux amis à Bruxelles, car son entreprise est le représentant officiel d’Havas aux Pays-Bas. Au lendemain de la guerre, s’il retourne à Amsterdam, son fils Berry reste ici et ouvre plus tard, à sa demande, l’agence Gelder Advertising à Bruxelles. « Dans les années cinquante, Gelder était quasiment la seule agence d’origine néerlandaise, mais elle était surtout l’agence néerlandophone la plus importante de Bruxelles, dit Berry. Cela nous a joué des tours parce que j’étais le seul néerlandophone au syndicat dont je faisais partie. » Des années plus tard, nous discutons avec lui et deux de ses trois fils, Philippe (*1963) et Christopher (*1973). Son troisième fils, Patrick (*1961), a aussi travaillé dans le monde de la publicité, mais se consacre désormais à la vente de montres.

Vous parlez tous néerlandais, mais en fait, pour les fils, c’est une deuxième langue. Comme se fait-ce ?

Philippe : « Maman est francophone et ne nous a jamais parlé néerlandais. Et bizarrement, Papa ne nous parlait pas non plus français. »

Berry : « Ma compagne n’a pas vraiment le goût des langues. Alors, pour le bien de tous, nous parlions français, même si nous vivions à Overijse. Soit dit en passant, avec trois fils, nous sommes vraiment une famille d’hommes. Patrick et Philippe ont chacun deux fils ; seul Christopher n’en a pas. »

Christopher : « J’ai toujours été original, donc j’ai eu deux filles ! » (rires)

Est-ce un hasard si vos fils se sont retrouvés dans le monde de la communication ? Berry : « Dans les années nonante, ce secteur était tout simplement encore séduisant pour les jeunes. Les publicitaires gagnaient bien leur vie et une agence offrait plus de marge de manœuvre. Ce n’est que plus tard que les agences médias ont vu le jour et que la publicité s’est scindée en plusieurs disciplines. Et bien sûr, ils sont tombés dedans quand ils étaient petits. »

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Berry Gelder : « Dans les années nonante, le monde de la communication était tout simplement encore très séduisant pour les jeunes. »

Vos fils sont-ils venus travailler avec vous ?

Berry : « Après le décès de mon père, j’avais quitté l’agence d’Amsterdam pour reprendre Nijgh Marketing & Advertising à Rotterdam. Les deux agences, à Rotterdam et à Bruxelles, formaient une seule et même entreprise. Nous travaillions régulièrement pour des clients du Benelux. Petit à petit, j’ai abandonné ma part chez Nijgh, même si cette agence est encore membre du réseau international Interpartners, auprès duquel je suis toujours actif. Ce dernier a vu le jour quand des clients nous ont demandé si nous pouvions aussi travailler sur des campagnes pour la France ou l’Allemagne. Nous devions alors chercher des agences indépendantes avec qui travailler. Patrick s’est alors impliqué auprès de Gelder Advertising, tandis que Philippe est entré chez Equinox… »

Philippe : « Eh bien, si tu racontes cela à notre place… » (rires)

Berry : « Non, je dis seulement que les activités de l’entreprise originelle ont été divisées entre les bureaux de Patrick et de Philippe. »

L’objectif n’a jamais été de travailler ensemble avec vos trois fils ?

Christopher : « À l’époque, j’étais encore à l’école : j’ai dix ans de moins ! »

Berry : « Ils s’aiment beaucoup mais c’est aussi bien qu’ils fassent parfois des choses différentes ! »

Comment est née l’agence Equinox ?

Philippe : « Mon graduat en marketing et communication en poche, j’ai travaillé chez Lintas, Impact FCB, puis Saatchi & Saatchi, HDM International et Traces Design. J’ai fondé Equinox dans les années nonante. Nous nous sommes rapidement développés pour devenir une agence de 40 personnes, puis nous sommes entrés en bourse à travers The Best Of Group. Au final, nous étions devenus un groupe de 300 collaborateurs, sous le nom de « Tagora ». L’année 2001 fut très difficile, avec Oussama ben Laden et la crise. En 2004, j’ai à nouveau fondé ma propre entreprise : Redleg. Nous avons commencé à travailler en collaboration avec Armando Testa en 2006, ce qui nous a permis d’acquérir Fiat dans notre clientèle. Nous sommes devenus Beejee en 2009, pour un CRM et un branding plus efficaces. »

Un secteur en pleine évolution

« On a pu vous voir deux fois aux nouvelles cette année… »

Philippe : « Oui, j’ai racheté des parts de Voted Product of The Year en mai et j’ai confié les clients et collaborateurs de Beejee à Serviceplan Benelux il y a peu, chez qui je suis devenu président du Conseil d’administration. Mes activités avec Voted Product of the Year seront principalement internationales. Je crois que, des trois frères, j’ai toujours été le plus international. »

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Philippe Gelder : « Nous ne pourrions pas travailler tous les trois »

Beejee était membre du réseau Interpartners, et maintenant ?

Philippe : « Serviceplan Benelux ne pourrait pas être membre du réseau. Nous essayons de trouver une solution, en partenariat avec une autre agence belge. »

Berry : « Serviceplan est une entreprise intéressante. Il y a vingt ans, nous avions entamé des discussions, quand elle était encore petite, mais les Français et les Britanniques d’Interpartners ne le voyaient pas d’un très bon œil. »

Philippe : « Et maintenant, ce n’est plus possible. La méthode d’expansion qu’a choisie Serviceplan, avec de nombreux actionnaires locaux, est très intéressante. Je vais moi-même passer moins de temps chez Voted Product of the Year. Avec l’avènement du numérique, on a besoin que de jeunes gens nouveaux imposent un cap en collaboration avec des personnes un peu plus âgées. Le secteur fait l’objet d’une évolution fondamentale et je ne crois plus au business model actuel. Et puis, l’ère des mastodontes est derrière nous. »

N’oublions pas le benjamin, qui lui aussi a fini dans le monde de la publicité…

Christopher : « C’était logique : à la maison, j’entendais toujours parler de briefings et de clients énervés. (rires) J’ai étudié au CAD et suis devenu copywriter. J’ai fait mon stage en entreprise chez Leo Burnett, où j’ai décroché un CDI. Ensuite, j’ai eu une opportunité chez Publicis, chez qui j’ai remporté deux CCB Awards. Après cela, j’ai travaillé chez Euro RSCG, avec, entre autres, Belgacom dans mon portefeuille de clients, et chez GV/Company. Puis je suis parti chez JWT pour y être senior copywriter puis creative director. Mais après quatre ans, j’en avais assez du fonctionnement d’agence et je me suis lancé à mon compte. Cela fait huit ans déjà. Je travaille beaucoup pour FamousGrey, mais également pour de petites agences flamandes. Je collabore aussi beaucoup avec un collectif amstellodamois, une agence londonienne et quelques annonceurs directs. »

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Christopher Gelder : « À la maison, j’entendais toujours parler de briefings et de clients énervés »

Avez-vous beaucoup travaillé avec vos frères ?

Christopher : « Oui, beaucoup. »

Philippe : « Chez Beejee, nous confiions du travail d’indépendant à Christopher. Mais nous ne pourrions pas vraiment travailler tous les trois, avec une hiérarchie… »

Christopher : « Je ne crois pas non plus. Et puis, l’expérience m’a appris que ce mode de travail me convient. Ma compagne travaille également et, comme nous avons deux enfants en bas âge, c’est agréable de pouvoir aller les chercher à l’école. Plus tard, quand les filles seront plus grandes, je n’exclus pas de travailler à nouveau dans une agence. »

À vélo

Vous voyez-vous souvent en dehors du travail ?

Philippe : « Nous vivons tous les trois dans un rayon d’un kilomètre. »

Christopher : « Et Philippe et moi faisons du vélo ensemble. Même si c’est de moins en moins le cas. »

Philippe : « Toutes les semaines, je passe deux-trois jours à Paris, ce qui rend la chose plus compliquée. »

Berry : « Patrick vit à Rixensart, donc tout près d’Overijse et de Notre-Dame-Au-Bois, où nous habitons. Mais ce n’est pas si facile de mettre Patrick sur un vélo ! » (rires)

Parlez-vous beaucoup de communication en privé ?

Tous : « Non ! »

Berry : « Et nos femmes y jouent un rôle. »

Christopher : « Jeanette, ma femme, travaille aussi dans le secteur : elle est Business Director chez Publicis Brussels. Oui, c’est une Néerlandaise ! En fait, elle a une histoire similaire à celle de Papa, elle a déménagé en Belgique quand elle était enfant et y est restée. »

Philippe : « Je me souviens d’une fois où c’était compliqué. Patrick et moi étions concurrents pour un projet pour ABX et, par accident, Patrick a reçu sa lettre et la mienne, collées l’une à l’autre. L’aventure s’arrêtait là pour lui alors que j’étais en finale. Mais tout s’est arrangé par la suite. Nous avons parfois travaillé ensemble pour les médias. »

Christopher : « Je sentais la compétition entre eux. C’est pour cela que je ne voulais pas travailler pour un des deux, je voulais rester neutre. »

Philippe : « Malgré cela, Patrick et moi avions réfléchi à fusionner nos deux agences, en 2006-2007. Une chance que nous ne l’ayons finalement pas fait, parce que la crise a éclaté juste après. Finalement, c’est à ce moment-là que Patrick a arrêté de travailler dans la publicité. »

Philippe le disait plus tôt : le secteur est en pleine mutation. Vous y réfléchissez souvent ?

Berry : « Si l’on y pense de manière philosophique, quelle est l’influence de la créativité à l’heure actuelle ? Il y a le contenu et la créativité, mais c’est autre chose que de véhiculer un message. Et puis, la Belgique reste un petit marché. Par exemple, le portefeuille de l’agence britannique qui est membre d’Interpartners comprend Huawei pour toute l’Europe. »

Philippe : « C’est une toute autre échelle. »

Christopher : « Ici, nous avons de petits budgets. »

Philippe : « Bien sûr, nous avons quelques bons réalisateurs flamands. Pensez à ce que Gonzales a fait pour le spot de Coca-Cola, cette petite vidéo dans le tram. Le monde entier l’a vue. J’imagine qu’elle n’a pas coûté 5 000 euros… »