Repenser les médias... et les savoirs

Repenser les médias et les savoirs - intro Willemarck_bouquin - pub6-2014

Articles traduits

Après 25 ans dans la pub et les médias et 15 ans en gestion, Patrick Willemarck conseille les organisations dans leur adaptation à un monde bouleversé par le web et les technologies. Baptisé « alterpubliciste », il prône une autre façon de faire de la publicité. Dans son dernier livre « Nos savoirs à l'épreuve: Sous l'empreinte des médias, la raison se perd », il réfléchit au futur des médias.
Repenser les médias et les savoirs - intro Willemarck_bouquin - pub6-2014

Patrick Willemarck: Nos savoirs à l'épreuve: Sous l'empreinte des médias, la raison se perd, éditions Espace de Libertés, 2014

Le modèle publicitaire est en train d'être revu. « Hier, les marketeurs cherchaient comment toucher leur cible. Aujourd'hui, ils devraient plutôt se demander comment leur cible les touche, » indique Patrick Willemarck. « Le paradigme change: tout le monde devient porte-parole de l'entreprise. Cette dernière devrait dès lors être considérée comme un corps social et privilégier les relations, avec l'extérieur bien entendu, mais aussi en interne, avec ses employés, ses fournisseurs... D'ailleurs, on le voit à l'étranger: les responsables de comm' adoptent de plus en plus un rôle radicalement différent et deviennent des 'shift coordinator officers', les départements de communication externe et interne fusionnant. »

Dans son ouvrage, l'auteur analyse cette évolution. « Avant le 19e siècle, l'information circulait. Pas besoin des réseaux sociaux actuels; les gens lisaient, se réunissaient et partageaient. Tout citoyen possédait un certain libre arbitre. Puis, les médias de masse sont apparus. Triant, sélectionnant, transformant, amplifiant l'information devenue un produit industriel, ils nous ont indiqué comment le Monde devait être lu, nivelant au fur et à mesure la pensée. » Désormais – on ne vous apprend rien – l'on assiste à un retour à l'échange. Pourtant, « l'univers des médias tourne encore sur ses acquis et ses connaissances du passé. » Résultat: la presse est en crise. Elle se fait doubler par les pure players, elle se heurte à d'autres modèles où les citoyens collaborent avec les journalistes, etc. « Ce qu'il faut bien se dire, c'est que dans 'médias sociaux', ce n'est pas 'média' qui importe le plus, c'est le terme 'social'. Ils n'ont rien de futile: ils sont la réponse à un besoin qui n'est plus satisfait. Besoin d'échanger, de connaître, d'échapper à la masse. A ce titre, les réseaux sociaux sont bien plus ancrés dans notre histoire que les médias de masse. »

Patrick Willemarck

L'INDUSTRIE DU MÈME: DANGEREUSE?

Qu'est-ce que le mème? « Il fut un temps où les éditeurs payaient des gens sérieux pour parler de choses importantes dont les gens discutaient, » raconte Patrick Willemarck. « Aujourd'hui, les nouveaux médias paient des personnes pour produire des mèmes, ces contenus qui se partagent et se déclinent en masse sur le net. A l'époque, on investissait dans du contenu, des histoires, des reportages, des essais, de la poésie, du journalisme... Maintenant, on débourse pour des gifs animés, du modelage 3D, des diaporamas, mais surtout, pour de fausses vidéos qui ont tout pour se propager de manière virale. » Si faire rire est utile – particulièrement en période de crise – l'auteur y décèle un autre danger. « Les créateurs de mèmes ou de 'trolls' ne sont pas des artistes, ni des amuseurs publics, ni des éducateurs, ni des journalistes. Ce n'est pas grave. Mais ce qui l'est en revanche, c'est qu'ils n'ont ni éthique, ni morale et qu'aucuns de leurs mèmes ne créent de la valeur à long terme. Or, les agences de pub ou les bureaux de relations publiques se sont emparés du phénomène parce qu'ils ne savent plus comment sortir du marasme dans lequel ils se trouvent. Ils ont grandi avec et grâce à la communication de masse... Pourtant, la masse n'est plus au rendez-vous. »

LA LOGIQUE DES PLATEFORMES EST UNE PISTE À SUIVRE

C'est que la masse, justement, n'a plus confiance. « En tant qu'individu, nous sommes rongés par les doutes que nous imposent ces crises sur tous les fronts. La route la plus confortable semble être celle qu'empruntent ceux qui nous ressemblent. Alors, nous nous confions de plus en plus à nos pairs, et de moins en moins aux experts. » Cette problématique ne touche pas que les médias; la confiance en la science par exemple s'étiole aussi. Il faut dire que les revues scientifiques suivent la même logique que la presse, c'est-à-dire la course aux scoops, avec toujours moins d'importance donnée au contrôle, à la validation ou à la vérification de non-redondance. Résultat: des « découvertes » sont publiées alors qu'elles n'en sont pas, des chiffres sont diffusés alors qu'ils sont inexacts. Nos systèmes économiques, politiques ou religieux connaissent la même débâcle.

QUE FAIRE ALORS?

Patrick Willemarck n'a pas la réponse. Il remarque cependant le voie suivie par The Washinton Post. Comme la plupart des journaux historiques, ce titre était aux mains d'une famille: les Graham. « A un moment, ils se sont rendus compte qu'ils n'avaient pas, dans leur culture, dans leur tradition, les idées pour survivre, » réfléchit l'auteur. « C'est pourquoi ils ont décidé de le céder à un homme qui avait l'air plus en phase avec le marché actuel, soit Jeff Bezos, le patron d'Amazon. Lui ne fonctionne pas comme une entreprise traditionnelle; son modèle, c'est celui d'une plateforme à laquelle d'autres peuvent venir se greffer. Amazon met alors ses services – ses énormes serveurs, son réseau de distribution – à disposition d'autres produits ou marques, marques dont Bezos a besoin pour augmenter sa crédibilité, pour fédérer les gens. Or ce ne sont pas les produits de grande consommation qui rassemblent, mais bien les titres de presse qui créent des communautés d'intérêt. » Dans ce modèle, tout le monde est respecté: le consommateur qui peut profiter de nombreux services, le lecteur qui a accès à de l'information de qualité et le journaliste, qui dispose de davantage de ressources pour travailler correctement, à l'abri de pressions diverses.

Le modèle des plateformes présentent généralement trois couches. Une première couche d'information. Une seconde qui présente du divertissement, des contenus fun, des mèmes qui créent du lien. Et enfin une troisième couche, alimentée par ces 10% de la population particulièrement extravertie, toujours en demande de s'exprimer. Ces plateformes cassent les frontières entre les fonctions et les pays, en étant supranationales. « Je ne dis pas que c'est la panacée. C'est une piste, une manière de faire parmi d'autres, qui a l'air pour le moment de fonctionner, » précise Patrick Willemarck. « D'autres phénomènes vont dans ce sens, comme le 'slow journalism'. Il devient urgent de repenser les médias et de réinvestir dans les journalistes, de protéger l'information et la science, en plaidant pour la préservation d'une intelligence publique, garantie comme une mine d'or fiable, à l'abri des lobbys. »