Salma Haouach : Nos vies mijotent…

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« Tu manges quoi ce midi? »

Cette question d’habitude si banale revêt d’une importance quasi de premier ordre par ces temps tourmentés. C’est comme si nos repas restaient la socle sur lequel nous reposions nos existences chahutées. Une base, LA base. Grâce à cela nous avons pu remplacer la question « tu fais quoi ce soir » par « tu manges quoi ce soir ». Nous avons pu troquer les représentations sociales par des alignements sur notre réalité d’être humain. Dans être humain, il y’a surtout le mot être. Cette connexion au présent qu’on a oubliée parce qu’on était bien trop occupés à essayer de devenir des sur-humains. Il y’a la pyramide de Maslow, certes mais je préfère travailler avec la spirale dynamique. Elle montre à quel point l’alignement à soi et à sa tribu compte. Ensuite seulement viennent les règles et les désirs. Alors remettons de l’ordre, puisque c’est ce que nous faisons à longueur de journée. Après avoir nettoyé vos placards pour la 7ème fois, lavé et suspendu vos couettes au balcon et changé les canapés de place pour la 3ème fois, on peut sans doute s’occuper de ranger des éléments bien plus importants de nos vies.

Je ressens une sorte de désemparement collectif, une grande tristesse. Nous sommes tous tristes par les malades, les morts, le danger qui plane et qui ravive la plupart de nos instincts les plus profonds.

Comme tout le monde, je suis affectée de ne pouvoir voir mes proches, comme tout le monde je ressens beaucoup de peine lorsque je vois les chiffres des malades et décès s’additionner. Même si je pense qu’on a une idée diffuse de ce qui se passe réellement, la preuve dans les parcs parfois bien trop chargés : la faute au biais d’éloignement.

Mais je ne vais pas vous mentir, pour une logicienne, être dans ce temps long ne me déplaît pas du tout. C’est comme si la vie mijotait. Je suis passée du steak minute à la bouillabaisse, de la friture au tajine. Prendre enfin prendre le temps, laisser le temps à l’introspection qu’elle soit entrepreunariale ou privée. C’est le moment de laisser les choses se faire, comme on dit. De ne pas courir après des vanités, de ne pas s’obliger à prendre des décisions tout de suite, à préparer moins de powerpoint (il doit bien y avoir une justice en ce monde :-)). En revanche, je sollicite la plus grande intelligence de tous les temps : l’intelligence Sapiens. Celle forgée par le récit collectif, celle qui a fait que nous sommes devenus (pour le meilleur et pour le pire), l’espèce dominante sur cette planète. Arrêtez-moi si je me trompe, mais nous ne sommes pas devenus les maîtres du monde en faisant des tableaux excel (c’est pour changer de powerpoint). Nous sommes ce que nous sommes parce que nous avons une capacité extraordinaire à nous adapter, à comprendre notre prochain. Nous nous sommes développés parce que notre cognitif a pu nous aider à dépasser le stade de survie pour nous développer.

C’est sans doute ce que ce confinement pourra amener de mieux. Découvrir l’instant et l’instinct. Se réconcilier avec la magie de l’invisible, la fabuleuse histoire de l’indicible, faire la paix avec l’improductivité immédiate, jeter les indicateurs de performance à la poubelle. Mon ultime rébellion aujourd’hui est bien une révolution silencieuse : ne pas être productive mais réfléchie. Comment améliorer le monde sans powerpoint, leçon en 5 actes. Pourtant, j’ai la sensation de prendre des meilleures décisions. Que les idées qui viennent sont fortes, ancrées et surtout, constructives. Si l’importance des données temps et espace ne sont plus à démontrer, il y’a néanmoins une dimension essentielle que nous devons revoir aujourd’hui : l’anticipation. La superposition de ces temps courts et longs crée parfois des confusions et précipitations.

Pour faire mijoter votre stratégie et la rendre plus savoureuse, vous avez besoin d’un élément essentiel : ne bousculer aucune des étapes et laisser surtout les ingrédients faire leur travail. Ce sont des molécules chimiques qui créeront leurs propres liens et vous proposeront le plat du jour. Les plans détaillés, on oublie. On prévoit les milestones principaux et entre-temps, on se concentre sur l’environnement et non ses plans, ou autrement dit, son nombril. C’est ce qu’on appelle évoluer dans un monde VUCA (volatility, Uncertainty, Complexility, Agility).

C’est là que je deviens un peu brutale : combien d’entreprises le font vraiment? Je ne suis pas ornithologue, mais il vaut mieux choisir le colibri que l’autruche non?

Je suis fort triste de constater que si certaines font un gros effort pour tenter l’agilité, certaines ne savent plus quoi faire. Elles ont désappris à exister dans un environnement mouvant et se raccrochent à leurs acquis. C’est pour ça qu’elles n’osent plus communiquer. C’est pour ça qu’elles n’arrivent pas à rester présentes et connectées dans le coeur des gens. C’est comme si votre voisin cherchait à engager la conversation par le balcon que vous mettiez votre casque ou rentriez vous cacher en attendant la fin de la crise. Je peux vous garantir que la prochaine fois que vous aurez besoin d’oeufs, il ne vous ouvrira pas la porte. Car converser ne vous rapporte rien tout de suite, ça ne remplit aucun KPI’s. Mais à long terme…vous connaissez l’histoire du renard et du Petit Prince. Le récit collectif forge les nations, les unis et leur permet d’affronter les changements à venir. Sans cela, nous sommes cuits. 

C’est maintenant qu’il faut apprendre à être à l’écoute. Alors oui, ce sera un peu difficile au début. On appelle cela créer des liens. C’est confrontant, exposant et on se sent un peu vulnérable, parce qu’on ne maîtrise pas tout. C’est précisément la magie du lien.

Et la magie du changement. Un beau changement s’opère de façon en suivant la forme d’une racine carrée. On se laisse aller jusqu’au fond du trou(et le trou se dessine entre 60 et 100 milliards d’euros…) avant de remonter et c’est tout l’enjeu de la question, plus haut que notre niveau de départ.

Mais cela ne peut arriver que si vous acceptez la descente et si vous mettez sur le tapis les conditions de votre reprise. Si vous faites un tapis et déposer sur votre plan de travail tous les ustensiles que vous avez utilisé jusqu’à présent pour les réévaluer. Ça passe par de l’humilité, de la transparence et la mobilisation de toutes les ressources.

Alors, vous mangerez quoi ce soir?

Legende : En partant d’un niveau d’existence qui semble approprié (α1), le changement vertical s’amorce par une prise de conscience que l’ancien mode de rapport au monde et aux autres ne peut plus régler les problèmes rencontrés (β). Souvent, la personne tente d’abord de réessayer des niveaux d’existence antérieurs (γ), puis se déplace vers le niveau suivant (δ) et stabilise enfin cette étape (α2).

Salma Haouach, Embodied Strategies - TV Host LN24