Sous la tyrannie du média

Sous la tyrannie du média - intro beeld - pub9-2014

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« Seuls les plus agiles survivent ». Voici le titre évocateur du Livre blanc publié par Actito (ex-Citobi) au sujet des directeurs marketing. Pendant quasiment quinze ans de service auprès de CMO, l'éditeur de suites logicielles de marketing relationnel a vu ses clients affronter bien de nouveaux défis. Témoin de premier plan, il dresse un état des lieux de la réalité des marketeurs d'aujourd'hui.     « En tant qu'entreprise technologique, nous nous rendons bien compte combien la technique est en train d'accélérer le rythme de changement. Durant les siècles passés, une nouvelle invention, assez exceptionnelle pour induire des adaptations, émergeait tous les 30-50 ans; à l'heure actuelle, on en voit apparaitre plusieurs par an! » observe Eric Godefroid, directeur d'Actito. « La courbe d'évolution de leur métier emmène dès lors les marketeurs vers toujours plus de technologie. C'est aussi à eux que revient la mission de mener toute leur entreprise vers le numérique... Alors qu'à la base, ce ne sont pas des gens de technologie, mais plutôt des personnes focalisées sur les sciences humaines et économiques. » La facette technique n'est-elle pas en train de prendre le dessus dans le quotidien des responsables marketing? « La mauvaise utilisation des technologies peut faire plus de mal que de bien, par exemple en créant des mauvais moments de contact. Nous nous sommes tous déjà énervés sur ces bannières web qui n'arrêtent pas de surgir pour nous proposer un produit... que nous avons déjà acheté, » poursuit-il.

LA TECHNOLOGIE DOIT ÊTRE ENVISAGÉE COMME FACILITRATRICE. EricGodefroid

Sébastien Darte, IT Project Manager Web & Mobile pour Rendezvous.be, confie: « Dans le secteur spécifique du dating, la concurrence ne se trouve plus uniquement au niveau du produit; elle existe dorénavant aussi au niveau de la visibilité. Le numérique fait tomber encore plus vite les frontières. On se retrouve face à des géants internationaux, auxquels s'ajoutent encore une multitude de petits acteurs qui opèrent sur des petits segments (les rencontres entre personnes aisées, entre gays, entre certaines religions,...). Toutes les applications du genre de Tinder sont également de nouveaux concurrents. Du coup, nous avons lancé une app mobile pour Rendezvous.be. En tant qu'annonceur, nous sommes censés nous trouver là où sont les consommateurs, c'est-à-dire partout et à tout moment, sur de multiples canaux et device. Mais ces derniers changent également très rapidement, tout comme l'usage qui en est fait. Nous devons donc être sur la balle en permanence, parce que si on ne se tient pas au courant, on se retrouve très vite largués. » Le CMO est en quelque sort sous la tyrannie du média: tous les canaux qu'il doit activer, les multiples données qu'il doit examiner, l'infinité de traces qu'il doit collecter, etc. « Ce qu'il faut bien se mettre dans la tête, c'est que la technologie doit être là comme facilitatrice. Un marketeur doit en effet suivre les tendances. Mais s'il est obsédé par la déclinaison des médias, il n'est finalement que dans l'exécution du marketing-mix et risque, à terme, de s'éloigner de la connaissance du consommateur, » avertit Eric Godefroid.

LE CONSOMMATEUR-DIDACTEUR 

Tout responsable marketing qui se respecte le sait: il doit être orienté-client. « Le souci c'est que le client s'est radicalement transformé, » reprend Eric Godefroid. « Le consommateur digital est extrêmement difficile à suivre. Et si nous sommes technologiquement capables de le suivre, la réponse marketing pour chaque consommateur n'est pas évidente à mettre en œuvre avec des solutions classiques. » C'est la fin des messages « push » et de la communication « top-down ». « On s'est réjoui du fait que le client 2.0 était mûr, actif, dialoguant; on le voit maintenant prendre le volant de sa relation avec la marque. La vapeur s'inverse totalement: c'est lui qui indique à l'entreprise quand elle peut prendre la parole, qui décide quand elle peut inscrire ses stratégies. »

"IL FAUT DES PERSONNES HYBRIDES QUIJETENT UN PONT ENTRE L'IT ET LE MARKETING". Matthieu Rossi

La segmentation aussi se complexifie. Eric Godefroid se remémore: « Auparavant, on établissait 4-5-6 segments en fonction desquels on modulait la stratégie. Désormais, les consommateurs sont totalement uniques, dans le sens où ils présentent des parcours d'achat complètement différents. Le fameux funnel AIDA –Attention-Intérêt-Désir-Achat – n'est plus! Le marketeur ne peut dont plus compter sur cette linéarité et planifier des étapes 1-2-3-4. » Tout ce qu'il peut faire, c'est tenter de capter le consommateur qui passe à proximité. « Sauf que quand le consommateur passe, il va dans tous les sens! Voilà pourquoi il faut réagir en temps réel. Et c'est justement ce temps réel qui fait naître chez le CMO des besoins d'automatisation du marketing, de façon à ce que quand un consommateur est détecté, on envoie 'le bon message, au bon moment, à la bonne personne, par le bon canal'. Cette idée, c'est un peu devenu le 'motto' des marketeurs afin de créer des messages les plus pertinents et les plus personnalisés possibles. »

L'ENFER DES DONNÉES

Si d'aucuns considèrent le Big Data comme une bénédiction, c'est qu'ils ne doivent pas souvent y plonger les mains. « Le volume de données explose littéralement. Ce n'est pas une mauvaise chose parce que les clients réclament toujours plus de personnalisation, » concède Sébastien Darte. « Sauf que ces données, il faut les traiter, les analyser, les trier, les agréger. Dans le cas particulier du dating, nous devons être en mesure de proposer des correspondances entre les profils, et donc développer des algorithmes et des outils de recherche adéquats. Cela demande beaucoup de moyens et de temps, ce dont nous ne disposons pas forcément. » Et les consommateurs ne sont pas toujours conciliants. « C'est tout le paradoxe: d'un côté, ils veulent de l'information de qualité, qui les intéresse, qui les concerne... et de l'autre, ils refusent de nous communiquer les données qui nous permettraient de leur offrir cette info. Ou ils analysent mal leur comportement. De ce fait, on est obligés de se rabattre sur des technologies comme le tracking pour déduire. Mais ça reste de la déduction. Toute la question est alors de trouver l'équilibre en obtenant des infos fiables, sans entrer dans la zone grise de la vie privée, » explique Matthieu Rossi, Emailing Marketing Technical Specialist chez SNCB Europe.

 

TROP DE MICRO-SEGMENTATION EST UNE PERTE DE TEMPS. Bart Albrecht  

 

Il n'est pas évident d'envisager la masse d'informations qui entre en jeu lorsqu'il s'agit de digital. Matthieu Rossi dépeint: « Quand un consommateur commande un billet de train, il s'attend à ce que celui-ci apparaisse sur son téléphone dans les dix secondes. Mais même si c'est de l'informatique et que tout est censé aller à la vitesse de la lumière, c'est un traitement phénoménal des données qui se passe à ce moment là. Imaginez l'immensité du catalogue: le nombre de gare multiplié par le nombre de transporteurs, multiplié par le nombre de types de passagers, multiplié par le nombre de tickets, multiplié par le nombre de classes,... Pour assurer cette rapidité, on a recours à l'automatisation. Le responsive permet, lui, qu'une personne qui effectue une réservation sur son smartphone, qui tourne sous tel système d'exploitation avec tel navigateur, obtienne le même résultats que quelqu'un qui effectue l'opération à partir de l'écran géant de sa smart TV ou de son ordi. » Attention toutefois à ne pas se laisser entrainer par la machine infernale. « Il faut se méfier de la micro-segmentation: si on va trop dans le détail, on consacre trop de temps pour trop peu de gens qui seront touchés, » met en avant Bart Albrecht, E-marketing Manager chez SNCB Europe. « Il faut prendre le temps d'examiner les bénéfices que nous rapportera chaque effort. C'est pourquoi nous avons installé un système de priorités: toutes les idées qui y sont inscrites sont classées par ordre de priorité. Lorsqu'une idée atteint un certain niveau de priorité, on vérifie si c'est faisable techniquement et si ça rapporte d'un point de vue marketing. Si ces deux conditions sont remplies, alors on étudie son éventuelle mise en œuvre. Ce n'est pas parce qu'on est capable de faire quelque chose qu'on doit le faire; on doit prendre son temps et vérifier s'il y a un réel intérêt des trois côtés: celui du marketing, de la technique, du client (transporteurs et consommateurs). »

INFERNALE COORDINATION

Pour compliquer encore un peu plus la tâche, « les responsables marketing deviennent les chefs d'orchestres de plus en plus grands. Puisque la matière se complexifie, ils ont besoin de toujours plus de spécialistes en interne, ou d'aller chercher des expertises extérieures pour contrer les réalités économiques. C'est donc un métier de coordination intense. D'autant plus que les silos d'entreprise sont souvent encore là, avec de réelles résistances de cultures entre les départements marketing, vente et informatique entre autres, » constate Eric Godefroid. Certaines équipes font alors appel à des personnes un peu hybrides, comme l'a fait SNCB Europe. « Ces personnes qui ont de l'expérience tant du côté technique que commercial permettent de jeter des ponts entre l'IT et le marketing. Chacun parle son langage, a son lexique, il faut faire le lien entre les deux, » justifie Matthieu Rossi.   « Tout l'enjeu réside dans le fait d'être plus agile, plus flexible. L'automatisation de certains processus peut alléger la tâche, » conseille Eric Godefroid. « N'aillez pas peur de commencer petit, afin de ne pas vous retrouver avec un énorme système installé qui ne répond pas parfaitement à vos besoins de marketeur. Il faut se donner les moyens de suivre le rythme, d'être très évolutif en fonctionnant avec des cycles courts qu'on peut facilement et rapidement confronter au consommateur. »