Stunt et caméras cachées

Stunts et caméras cachées - Arnaud Pitz - pub9-2012

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CCB Awards / Quatre membres des jurys se penchent sur les tendances
Cette année le palmarès des CCB montre à voir de très bonnes choses mais rien d’exceptionnel. C’était déjà le cas l’année dernière d’ailleurs. Quatre créatifs, membres des différents jurys en profitent pour tirer quelques conclusions. La radio et le print traversent un sérieux passage à vide. Les caméras cachées n’ont pas fini de surprendre. Le net devient la plaque tournante de toute campagne et le direct laisse pas mal de place à la créativité.
·        Les CCB 2011 récompensent de beaux travaux sans être marquants
·        La radio et le print n’intéressent plus les créatifs
·        Le must aujourd’hui: c’est de surprendre le consommateur
·        Dans une campagne intégrée, chaque média doit enrichir l’histoire

Avis unanime des quatre jurés que nous avons interrogé. Les CCB 2011 ne sont pas grand cru, mais bien un bon cru. « Le palmarès des catégories Innovative et Integrated est très représentatif du niveau global de l’année, » explique Arnaud Pitz, copywriter chez Mortierbrigade. « Dans ces deux catégories: pas de Grand Prix, pas de Gold mais de bons et solides Silver. Mais aucune campagne qui ne marque les esprits pour les 10 prochaines années et que l’on retrouve habituellement dans ces catégories».
Arnaud Pitz (Mortierbrigade): "Internet joue le rôle d’entonnoir des médias, de zone de transit même si ce n’est pas forcément là que l’histoire commence."

Print: la désolation
Que ce soit en presse ou sous forme d’affiches et de posters, le print n’offre pas un palmarès très folichon cette année, c’est peu de le dire. Le nombre d’inscrits dans ces catégories était d’ailleurs particulièrement bas. « C’est un signe des temps », estime Grégory Ginterdaele, directeur créatif chez Air. « Ces médias sont devenus des médias d’activation voire de promotion. Les annonceurs ne les utilisent plus pour faire de l’image.

Gregory Ginterdaele (Air): "Ce que la pub fait très bien pour le moment: mettre en situation les gens et les confronter avec leurs réactions."

Pour la bonne raison qu’ils ne font plus d’image tout court. Alors, dans le print aussi, on est à la recherche d’effet immédiat. Il n’y a pas la place pour raconter une histoire. Peu de place dès lors pour la créativité».
Benoit Hilson, directeur créatif chez McCann, explique autrement la faiblesse du palmarès dans cette catégorie: « En fait, les jeunes créatifs ne savent plus faire une affiche ou une annonce print. Ils maîtrisent très bien le digital qui leur donne du temps, de l’espace et de la liberté pour exprimer l’idée. Une affiche doit être déchiffrée en deux ou trois secondes maximum. Et ce, sans images qui bougent et sans musique pour soutenir l’idée».

Ambient: effet wouaw
Autre impression par contre en ce qui concerne l’ambient.  Grégory Ginterdaele observe:« Quand tu te promènes dans le couloir ' poster' du palais à Cannes, tu te dis: oui, pas mal, belle idée, super. Puis tu entres dans la salle réservée à l’ambient et là c’est ' wouaw'. Benoît Hilson ajoute: « Dans cette catégorie, on retrouve ce fait la force de la bonne pub belge ».
L’ambient permet de matérialiser l’expérience consommateur qui est le Graal de la pub d’aujourd’hui et de demain. Le but: surprendre le consommateur, le mettre en interaction avec le produit ou la marque, faire de lui le héros de la pub. « Le stunt fonctionne particulièrement bien en ce moment », remarque Massimo De Pascale, créatif chez DDB. «Par exemple ce que LDV a fait pour le Opvoedingslijn tenait particulièrement la route. Mais pour moi, plus qu’une tendance pour le futur, c’est une technique à la mode en ce moment ».
Massimo De Pascale (DDB): "Le stunt, c’est une mode pour le moment mais ce n’est pas le futur de la pub."

Radio: rien de neuf
Comme pour l’affichage ou le print, la radio est devenue un média d’activation et de promotion. L’impression est aussi qu’il y a un manque de créativité, de talent et d’envie de la part des copys. Il n’y a rien de nouveau. On tire sur le filon créé il y a quelques années sans plus rien inventer. Ou, les rares cases qui proposaient quelque chose de différent n’étaient pas assez achevés que pour être récompensés. «J’étais dans le jury cannois l’année dernière pour la catégorie radio » explique Grégory Ginterdaele. «C’est vraiment possible de raconter de vraies histoires au travers d’un spot radio. Il est vrai aussi que les spots jugés à Cannes faisaient minimum 1 minute…. »
Benoit Hilson ajoute: « J’ai l’impression aussi qu’en Belgique, on a un peu peur des sagas. Ou que l’on se lasse très vite et que l’on passe à autre chose alors que parfois on pourrait créer des histoires solides dans la longueur ».

Film: cachez cette caméra
Indéniablement, une des tendances du moment dans la production filmique est la caméra cachée. Le film « Bikers » de Carlsberg en est la preuve magistrale. Le film a été récompensé dans la catégorie Film et dans la catégorie Cyber. Et on peut s’attendre à en retrouver l’année prochaine, notamment avec l’expérience à nouveau mise en place par Duval Guillaume Modem pour leur client TNT. « La caméra cachée est une technique qui relève un peu de la débrouillardise à la belge. C’est un subterfuge qui peut mener à des très bonnes choses, des trucs très amusants qui fonctionnent formidablement en viral » estime Arnaud Pitz.
Dans le cas de Carlsberg par exemple, c’est une situation simple, où les gens peuvent se reconnaître: entrer dans une salle de cinéma, chercher sa place, … "Toute personne qui regarde le film se pose forcément la question:  'Et moi, qu’est-ce que j’aurais fait à la place de ces personnes?'  La technique de la caméra cachée à quelque chose de très impliquant. Cela rend la pub très proche des gens, elle pousse à la réflexion, elle donne envie de partager, d’en parler".
Doit-on s’attendre alors à une déferlante de caméras cachées? Cette technique ne garantit pas du tout la qualité de la pub en question. Si l’idée est creuse, non-pertinente avec la marque, mal signée, elle ne fonctionnera pas. De plus cette technique renvoie à l’idée des images prises sur le vif, avec un téléphone portable, à bout de bras. Un type d’images auquel le consommateur est habitué aujourd’hui. Les téléspectateurs devant leur écran high tech n’attendent plus que les pubs soient léchées, soignées et d’une qualité technique parfaite « La pub à la télé n’est pas en concurrence avec les images des films mais bien avec tout ce qui passe à la télévision, notamment avec les émissions de divertissement ou encore tout ce qu’on trouve sur Youtube ou Dailymotion. C’est plutôt dans ce type d’environnement que le film publicitaire doit trouver sa place», estime Grégory Ginterdaele. Et certaines agences sont particulièrement habiles pour monter un film efficace autour des images de la caméra cachée. « Tous les éléments contribuent alors à la réussite du film: la musique, la typo, le montage, et contribuent à magnifier l’idée et à la faire passer à ceux qui voient le film», ajoute Benoît Hilson qui insiste de cette façon sur l'importance du case.

Génération Youtube
La video diffusée sur internet est-elle l’avenir du film publicitaire? Gregory Ginterdaele: « C’est vrai que la présence de la pub sur des sites comme Youtube ou Dailymotion ou l’utilisation du micro-spot par les médias avant la diffusion de contenu met ce moyen en évidence. Mais personnellement, je n’y crois pas trop. Par contre, la vidéo sur internet est un instrument redoutable pour les marques qui parviennent à devenir elle-même le contenu, le film que les gens se partagent, dont ils entendent parler et qu’ils cherchent dans leur moteur de recherche ».
Les annonceurs sont-ils prêts à mettre sur Youtube plus de créativité, plus d’audace? "Traditionnellement sur Internet, on diffuse la version qu’on n’a pas osé mettre en télé. Les responsables marketing se disent « Pourquoi pas… » Ce support est créativement intéressant parce qu’il n’y a pas non plus de contrainte de temps. On peut dès lors prendre le temps de créer des histoires solides. Diffusé sur Internet n’est plus synonyme de cheap. Je parlais récemment avec une boîte de production active aux Etats-Unis. Là-bas, les grandes marques n’hésitent pas à investir des milliers de dollars pour produire des films de qualité qui seront diffusés sur le net".

Cyber: passage obligé
Après avoir participé au jury CCB et aussi après avoir déjà préparé le jury des Cyber Lions de Cannes dont il fait partie cette année, Arnaud Pitz estime que: « Internet va devenir de plus en plus la plaque tournante dans un concept. Ce n’est pas forcément là que démarre l’histoire mais le volet internet joue le rôle d’entonnoir des médias, de zone de transit, une plaque tournante par laquelle tout consommateur en contact avec la campagne est amené à passer, que ce soit au travers des médias sociaux, d’un site, d’un concours en ligne, etc. » Incontournable donc. Et dans ce sens, il y a encore pas mal de marge de progression en Belgique et ce qui concerne notamment la façon dont on appréhende le média. « A ce sujet, la campagne Flair Fashion Tag montre l’exemple », remarque Massimo De Pascale. « On trouve ici une utilisation innovante du tag sur Facebook. C’est bien pensé et efficace.»
Deuxième chose qui ressort: l’émergence du mobile et des applications. « Ici aussi il reste du chemin à faire en Belgique. Il n’empêche que ce que Boondoggle a fait pour Bpost est l’illustration d’une utilisation très intelligente. L’application proposée (qui permet d’envoyer une ' vraie' carte postale, distribuée par le facteur dans la boîte aux lettres, à partir d’une photo prise avec son smartphone) répond à un besoin des consommateurs. Plus qu’une pub via mobile, il s’agit en fait d’un nouveau produit. C’est vers cela qu’il faut aller ». Cette campagne vraiment innovante aurait certainement mérité un prix dans la catégorie Innovative mais n’y était pas inscrite.

Direct: créer le lien
« Une bonne campagne direct, c’est une campagne qui parvient à créer un lien fort entre le public et la marque et ce de façon surprenante, inattendue » explique Arnaud Pitz. Avant c’était par le courrier, maintenant tous les médias sont convoqués. Le direct permet de communiquer avec le consommateur là où il ne s’y attend pas. Deux campagnes ressortent du lot: Golf et KBC avec un Gold et un Grand Prix pour la première et un Gold pour la seconde. « Dans les deux cas, on est face à une histoire forte. Regardez la campagne VW par exemple. L’agence est parvenue à faire en sorte que les gens s’arrêtent à nouveau sur la Golf alors que plus personne ne semblait encore la voir ».
Massimo De Pascale ajoute: « Activer le consommateur peut se faire maintenant par tous les moyens que propose la technologie. Mais il ne faut pas oublier que celle-ci reste un moyen. Au départ, c’est toujours l’idée qui prime. Et quand la technologie permet de dépasser les limites d’un média, alors c’est bingo ». C’est le cas dans l’action mise au point pour Come a casa: des enfants devant la télé ont vu leur programme interrompu par un film de leurs parents qui les appellent à table. Etonnant, amusant, même si cela n’active que quelques familles. Le ramdam médiatique autour de l’opération contribue à faire passer le message.

Innovative: une nouvelle façon de consommer
Etre innovant en pub, en fait, c’est inventer pour le client, un nouveau produit. Et proposer aux consommateurs  une nouvelle façon de consommer. « Dans ce sens, je trouve ce qu’a fait l’agence Prophets pour le Mas Museum avec une petite caméra qui permet de faire une visite à distance très intéressant,» explique Massimo De Pascale. « On peut imaginer que cela permette à des visiteurs très éloignés de visiter le musée. C’est certainement une nouvelle façon de 'consommer' de la culture, par exemple pour les étudiants ou les écoles qui ne peuvent pas forcément s’offrir les déplacements ».  Même renouveau dans la façon de proposer ses produits avec l’action New Family Plan pour Dexia (Belfius). Une banque qui propose un produit aux familles recomposées, suffisait d’y penser.

Integrated: enrichir l’histoire
Une vraie campagne intégrée est une campagne où chacun des médias mis en œuvre enrichit l’histoire à sa façon « Dans le jury, nous avons veillé à ce que tous les éléments de la campagne soient bons », explique Arnaud Pitz. « Il faut que la partie digitale soit bien exécutées mais aussi le film, le spot radio. On n’a pas voulu remettre de Gold si on estime qu’un des éléments est plus faible. C’est important parce qu’il se peut que le consommateur ne soit confronté qu’à un des volets de la campagne. Elle doit être puissante partout ». Pour les créatifs interrogés, il est dommage d’utiliser le print ou la radio uniquement pour renvoyer vers le volet digital de la campagne. Un QR code n’alimente pas l’histoire que la campagne veut raconter.