« Normal = ennuyeux »
Entretien avec Laura Visco
L'Argentine Laura Visco, deputy executive creative director de 72andSunny Amsterdam, a créé l'étonnante campagne « Is It Ok for Guys? » sur la « masculinité toxique » pour Axeglobal, qui l'a propulsée sur la liste des AdAge's Creative Director of the Year Finalists 2018. Six questions et demie... - Nils Adriaans & Gijs de Swarte
- Quelle était votre plus grande peur lorsque vous avez commencé dans ce secteur ?
Laura Visco : « Ma plus grande peur était de ne pas avoir de nouvelles idées tous les jours. Il s'agit d'une crainte pour le moins raisonnable. J'ai l'impression que nous prenons parfois pour acquis l'aspect “ toujours présent ” du créatif. Ma grande question était donc : “ Est-ce que je vais faire quelque chose qui semble plus ‘normal’ et qui me poussera à vivre une vie plus ordinaire ? Mais quand j'y ai réfléchi, je me suis dit que normal voulait dire ennuyeux. Plus tard, j'ai découvert que vous pouvez trouver des idées partout et tout le temps, littéralement. »
- Pouvez-vous décrire le tournant le plus important de votre carrière ?
« La campagne Axe “Is It Ok for Guys?” Notre tâche consistait à redéfinir ce que signifie aujourd'hui être un jeune homme, et d'observer la masculinité sous un autre angle. Ma carrière a connu un avant et un après, de même que ma vie, d'une certaine manière. Il s'agit de la première fois que j'ai pu vraiment m'exprimer par le biais de mon travail. Devenir responsable de la formidable évolution qu'a entreprise la marque était un rêve qui devenait réalité. En tant que femme créative, j'ai beaucoup lutté contre l'habituel travail macho pour Axe.
- Quelle leçon avez-vous tirée de votre erreur préférée ?
« J'ai déménagé à Londres un peu trop tôt. J'ai travaillé comme senior writer chez Fallon, mais je n'étais pas suffisamment stable sur le plan émotionnel pour partir à l'étranger. Quand vous allez vivre dans un autre pays, vous devez repartir de zéro, apprendre à travailler dans une autre langue, et même trouver votre voie dans un pays où personne ne vous connaît. C'est difficile, émotionnellement parlant. Mon expérience professionnelle n'était donc pas concluante, j'avais vraiment du mal à me reconnaître dans le travail que je réalisais. J'ai appris qu'on est prêt quand on est prêt. Lorsque j'ai emménagé à Amsterdam, je savais à quoi m'attendre, et j'étais un peu mieux préparée pour cette expérience. Je n'ai d'ailleurs pas saisi la première occasion qui s'offrait à moi, mais celle qui me ressemblait le plus. 72enSunny, combinée à Amsterdam, me semblait être l'agence qui me convenait, dans la ville qui me convenait. Ces éléments sont centraux pour une carrière dans la publicité. »
- D'où tirez-vous votre inspiration ?
« Je pense que cela ne cesse d'évoluer. Au début, je m'inspirais de livres, de films, d'expériences vécues. Aujourd'hui, j'ai plutôt besoin d'un moment avec moi-même pour réfléchir. Laisser tomber l'argent, se poser et réfléchir sans interruption. Nous vivons dans un monde effervescent. Je dois me laisser ralentir. L'absence d'interruption est la clé pour laisser mûrir le flux créatif. J'essaie simplement de rentrer à la maison ou d'aller boire un café quelque part. Je repasse le problème en revue, je réexamine la stratégie, et j'essaie d'écouter mon intuition. J'ai remarqué que je suis du genre à suivre ma première idée. L'idée qui vient des tripes, sans y avoir beaucoup réfléchi, est presque toujours la meilleure. »
« Vous pouvez trouver des idées partout et tout le temps, littéralement. » - Laura Vsico
- De nos jours, si on veut avancer dans la publicité, il faut éviter...
« ... de penser que les gens s'intéressent nécessairement à ce que vous faites. Ne prenez pas pour argent comptant l'attention des autres. Soyez pertinent. Mettez-vous à la place de votre public et produisez un travail qui compte. Nous faisons parfois de la publicité pour les gens de notre bulle et nous nous intéressons trop à ce qui se passe au sein de nos propres canaux médiatiques et festivals de publicité. Pour moi, il est bien plus important de faire quelque chose qui parle aux gens, et pas forcément aux représentants des festivals. »
- Si je faisais partie de la Génération Y et je voulais faire « quelque chose » dans la publicité, que faudrait-il que je fasse ?
« Pas seulement aller dans les écoles de publicité. Soyez curieux, lisez des livres, analysez des films, étudiez la sociologie, la psychologie. Devenez curieux envers tous les aspects de la communication. Détricotez tout, comme un geek. Faites beaucoup de recherches. Je dois toujours comprendre le sujet en profondeur avant d'entamer la phase des idées. »
En parlant de geek, évoquons donc l'amour de la publicité. Quelle publicité récente avez-vous bien aimée ?
« J'aime vraiment bien Blood Normal (à regarder sur vimeo.com/239076846). La première campagne de l'histoire à montrer du vrai sang plutôt que du sang bleu. L'objectif de cette campagne est de normaliser cette période du mois. Je croyais que j'aurais disparu avant d'être témoin de publicités qui montrent du vrai sang sur les serviettes hygiéniques. Mais nous y sommes. C'est vraiment une étape importante. »
Et en faisant abstraction de l'aspect commercial, qu'est-ce qui a une valeur inestimable à vos yeux et pourquoi ?
« Voyager seule. Je le fais depuis mon adolescence, et en me mettant à nu devant l'inattendu, j'ai accumulé beaucoup d'expérience et de sagesse. Cela vous permet de beaucoup apprendre sur le côté aléatoire de la vie et de l'accueillir à bras ouverts.
6,5. « J'aimerais ajouter que... »
« Comme je le disais : normal = ennuyeux. Qu'est-ce qui est normal à mes modestes yeux (rires) ? Normal, c'est avoir peur de sortir de la norme et être ce qu'on attend de vous. J'en ai assez de cette culture où la différence n'est pas encouragée. Pour moi en tant que femme, il a été difficile, au début de ma carrière, de ne pas emprunter la voie normale. Aujourd'hui, la diversité est bien plus reconnue, mais ce n'était pas le cas lorsque j'ai commencé à travailler dans la publicité à l'âge de 19 ans. Ne soyez pas trop normal. Normal, c'est ennuyeux. »
Laura Visco : « J'ai remarqué que je suis du genre à suivre ma première idée. L'idée qui vient des tripes, sans y avoir beaucoup réfléchi, est presque toujours la meilleure. »
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