Tous des manipulateurs?

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Etre actif dans le domaine du marketing, c’est s’exposer régulièrement à la vindicte populaire. Nos concitoyens semblent être ces derniers temps particulièrement remontés contre notre profession. Il faut dire qu’ils sont bien aidés en cela par une certaine presse qui a trouvé là une veine inépuisable de pseudos révélations entretenant savamment un climat de ‘on nous cache tout, on nous dit rien’. Dans les poncifs régulièrement énoncés par ces défenseurs de la cause consumériste, un mot revient avec insistance: la manipulation. Le marketing reviendrait ainsi à manipuler les foules crédules et innocentes, en général dans l’objectif de siphonner le maigre contenu de leur portefeuille dans celui pourtant déjà bien rempli du grand capital.
C’est, certes, réducteur puisque cela ramène le marketing à une de ses composantes, et pas forcément la plus importante, qu’est la communication. Ce n’en est pas moins interpelant. La communication marketing est-elle une vaste opération de manipulation?
Pour éviter les débats sémantiques, appelons notre ami  Larousse à la rescousse. Dans l’édition reçue pour ma première communion (oui, je sais, ça date…), voici la définition du verbe ‘manipuler’:
‘Diriger à sa guise une personne, un groupe, les amener à faire ce qu’on veut’
Alors, soyons honnêtes, la communication marketing est-elle destinée à manipuler? Ayant pourtant mobilisé toute la mauvaise foi dont je suis capable, il m’est bien difficile de prétendre le contraire. Celui qui n’a pas mentionné dans un briefing de communication un objectif de comportement a probablement encore beaucoup à apprendre. Est-ce à dire, dès-lors, que les hordes conspiratio-consuméristes ont raison de vouer notre profession aux gémonies? Poussons la réflexion plus loin.
Un parti politique, convaincu de son programme, ne cherche-t-il pas à diriger un groupe, le plus large possible, d’électeurs pour les faire voter pour lui? Manipulation.
Un professeur ne cherche-t-il pas à motiver ses étudiants à étudier, à s’impliquer dans la vie de l’école? Manipulation.
Une ONG ne cherche-t-elle pas à mobiliser un maximum de donateurs pour pouvoir défendre sa cause? Manipulation.
Un commerçant de quartier demande des nouvelles de votre petite famille, sincérité ou volonté de vous voir revenir? Manipulation?
Ainsi, la question n’est pas tant de se demander si la manipulation est une bonne ou une mauvaise chose, elle est inhérente à toute société humaine.
La question principale qui se pose au niveau éthique, n’est pas de savoir si on manipule ou pas mais de savoir si l’objet de cette manipulation est noble ou pas.
Ainsi, comme souvent, la question n’est pas de savoir quel est le bienfondé de la communication marketing. La question est de savoir si ce que défend cette communication contribue au bien être de la société dans son ensemble.
Et c’est là que la vraie question devrait être posée, et c’est là également que les marketers ont une vraie responsabilité sociétale. L’objet de leur activité a-t-il ou non une valeur ajoutée positive?
Dans certains cas, c’est évident. Personne ne contestera le bienfondé d’une campagne incitant à soutenir nos agriculteurs en mangeant des poires belges. A l’opposé, personne ne se mobiliserait encore pour défendre le cow-boy Marlboro.
A peu près tout ce qui se situe entre les deux est sujet à débat. Et ce débat dépend de nos valeurs, de nos orientations philosophiques ou même politiques. Ce débat est passionnant et doit être encouragé.
Mais pour atteindre ce niveau de débat, il faut pouvoir accepter d’avoir un discours nuancé et amener les gens à considérer le marketing non comme une activité néfaste par définition mais comme une discipline pouvant être au service du meilleur…comme du pire.
Cela amène aussi à se poser des questions sur notre modèle de société et sur la responsabilité de chacun dans ce modèle…mais ça, c’est sûr, ça fait sans doute vendre moins de papier ou d’audience.
Car les plus manipulateurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
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Nicolas Lambert