« Un esprit ouvert vit beaucoup plus »

Vincent Van Dessel

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Alors qu’il était encore étudiant, Vincent Van Dessel, ancien CEO de McCann Brussels, avait déjà décidé qu’il aimerait passer ‘un peu de temps’ à l’étranger. Son souhait a depuis été largement exhaussé, puisqu’il vit désormais à Hô-Chi-Minh-Ville (anciennement Saigon) où il travaille pour Publicis. Son contrat court encore jusqu’en janvier 2018 minimum, mais pour l’instant un retour en Belgique n’est pas au programme.

Vincent Van Dessel

Vincent Van Dessel avait 34 ans lorsqu’il prit la direction du département Belgique de McCann. Il voulait cependant partir à l’étranger et on lui avait promis de l’envoyer quelque part. Les négociations avaient duré longtemps mais étaient trop lentes. Vincent Van Dessel décida alors de prendre les choses en main. Il démissionna et se chercha un nouvel emploi à l’étranger, en commençant par dresser une liste des possibilités. Il fallait un pays où il pourrait travailler en anglais. L’Amérique du sud le tentait certainement, mais il eût fallu maîtriser l’espagnol ou le portugais. Il envisagea alors l’Asie : « Outre l’anglais, l’Asie comptait d’autres avantages, » nous explique-t-il sur Skype. « Est-ce que j’avais une connexion avec le pays ? Et pourrais-je m’appuyer sur mes expériences une fois sur place, apporter une valeur ajoutée ? » Dubaï semblait être une « cage dorée », il poussa ses recherches encore un peu plus loin et c’est en Extrême-Orient qu’il trouva la plus grande transformation économique. Il mit d’abord le cap sur des villes telles que Bangkok, Hong Kong, Kuala Lumpur, Shanghai et Singapour. Le Vietnam (avec Hô-Chi-Minh-Ville) n’était pas dans son top trois, mais il y a vite trouvé une place.

 

L’Asie c’est vaste. Comment avez-vous abordé cette recherche ?

Vincent Van Dessel : « J’ai cherché des chasseurs de têtes locaux et les talent directors des grands réseaux, parce qu’il fallait bien commencer quelque part… Ils sont souvent actifs depuis Singapour ou Shanghai, ce qui était parfait pour moi. J’ai fait cela pendant environ six semaines. J’ai rapidement vu que l’Asie est en effet en plein boom économique, mais qu’il n’y a pas pour autant beaucoup de postes à pourvoir. On travaille dans un business globalisé. La concurrence vient de partout, même de New York. Pour améliorer mes chances d’être recruté, j’ai suivi un programme exécutif à la INSEAD Business School de Singapour ciblé sur le marché asiatique. J’ai également pu faire partie du jury Effie pour l’Asie et j’ai participé au Spike-festival (un ‘Cannes’ régional, comme Eurobest). En septembre 2014, on m’a proposé de travailler pour Y&R à Hô-Chi-Minh-Ville et ensuite, de devenir CEO de Y&R Indochine avec, entre autres, Myanmar dans mes attributions. J’ai rapidement découvert que l’Asie est un marché très fragmenté. Chaque pays en est à un stade de développement différent. Ce sont les marques de fast moving consumer goods qui ont été développées en premier, suivies par les secteurs orientés vers le service, tels que les télécom et ensuite les banques. Dans le même temps, la classe moyenne s’accroît. Le potentiel de croissance est énorme. »

 

 

A peine deux ans plus tard, vous voilà managing director de Publicis au Vietnam…

« Un an et demi plus tard, un chasseur de tête de Publicis vient frapper à ma porte. Tout comme en Belgique, Publicis One était lancé au Vietnam. La client base de Publicis est plus étendue que celle de Y&R, le groupe de collaborateurs est plus large et plus intégré, avec également une branche PR et ma chef vietnamienne a beaucoup de contacts locaux. Les bases parfaites pour un réseau ! Les choses vont très vite ici, l’économie croît de 7% par an – un scénario de rêve pour l’Europe et de nombreux pays. Le Vietnam, un pays de 90 millions d’habitants, est actuellement considéré comme l’un des tigres d’or ! »

 

La langue de travail reste-t-elle l’anglais ou parlez-vous aussi un peu vietnamien ?

« Mon équipe est composée d’une large majorité de talents vietnamiens, c’est important pour moi. Mais elle est complétée par des expats d’Inde, de Corée, de Thaïlande, et même de Russie. Je crois que la diversité est une force, alors oui, on travaille effectivement en anglais. J’ai essayé d’apprendre un peu de vietnamien, mais c’est une langue extrêmement difficile. Pour acquérir quelques bases, il faudrait y consacrer au moins cinq heures d’étude par semaine pendant un an, ce qui est impossible avec le rythme de travail que nous avons au bureau. Outre l’anglais, le français est également parlé par des personnes plus âgées et par l’élite. Comme Publicis est un groupe français, ça tombe plutôt bien. »

 

Transformé en tant que personne

 

Comment le grand départ s’est-il organisé au niveau familial ?

« Mon partenaire a également trouvé du travail, et je n’ai pas d’enfant, donc ça s’est bien passé. Nous sommes arrivés ici avec trente kilos de bagages, rien de plus ! »

 

Qu’est-ce qui vous manque le plus ? Vos amis ? Votre famille ?

« Nous sommes ici à deux, ce qui renforce nos liens. Nous sommes vraiment sortis de notre zone de confort. Cela prend du temps pour nouer des liens avec les gens d’ici, et nos amis expats repartent souvent, c’est aussi une réalité. Mais je le devais à moi-même de quitter la Belgique. Je savais à quoi ressemblerait ma vie dans dix ans si je restais en Belgique : mon travail, mes week-ends, les visites aux (beaux-)parents… Vous savez, il y a deux types de personnes sur Terre : ceux qui cherchent le confort et qui ont besoin d’une routine – rien de mal à cela – et les gens qui ne tiennent pas en place et qui ont besoin de changement. Je fais partie de ces derniers, même si ce n’est pas la voie la plus facile. Chaque choix a son prix, mais la transformation et l’enrichissement personnels sont inestimables et sont, pour moi, la plus belle des récompenses. Quant aux amis et la famille, la distance renforce parfois les liens. Mes parents sont plus au courant de mes activités que lorsque j’étais en Belgique, on se parle sur Skype. Les amis sont mis au courant par les réseaux sociaux et mon fil d’actualité. En septembre, je reviens deux semaines en Europe, avec un petit passage en Belgique, et je m’en réjouis. En général, je reviens une fois par an. »

 

Est-ce que vous faites beaucoup de voyages au Vietnam et, plus généralement, en Asie à partir d’Hô-Chi-Minh-Ville ?

« Le Vietnam est vraiment la perle de l’Asie du sud est et de part sa position centrale, Hô-Chi-Minh-Ville est le camp de base parfait. Nous faisons au moins une excursion chaque mois. Au Vietnam, il n’est pas rare que l’on prenne l’avion pour le week-end, c’est rapide, efficace et pas cher. Une envie de plage ? De montagne ? Ou à Hanoi ? Pas de problème ! Mais on explore aussi la région régulièrement en allant à Singapour ou à Hong Kong, ou en passant nos vacances en Malaisie, au Cambodge, en Thaïlande ou même en Australie. »

 

Travailler différemment ?

 

Que vous réserve l’avenir ? Combien de temps voulez-vous rester là-bas ?

« Mon contrat dure jusque janvier 2018 minimum, mais il peut être prolongé chaque année. Pour l’instant, je me dis que je pourrais peut-être partir ailleurs trois ou cinq ans après. I go with the flow. Attention, j’aime beaucoup vivre ici, j’aime le rythme que nous avons ici et le climat subtropical. C’est beaucoup de travail. Le plus grand défi en ce moment c’est de découvrir des talents et de professionnaliser le secteur. »

 

La façon de travailler est-elle différente d’en Belgique ?

« Il s’agit en partie de cultural intelligence. La façon de penser et de faire des affaires est très différente. Ici, c’est l’esprit collectif qui domine. Il faut travailler de façon diplomatique et non-conflictuelle. En tant que Belge et Européen du nord très direct, j’avais certainement beaucoup à apprendre dans ce domaine (sourire). Il n’y a jamais de feedback direct et l’esprit de groupe est vraiment très important, également pour les incentives. Lors d’une prise de décision, il faut toujours tenir compte des conséquences que cela peut avoir pour l’ensemble du groupe, il faut à tout prix éviter que quelqu’un perde la face. On ne montre pas en public que l’on n’est pas d’accord avec le chef, par exemple. Cela pourrait provoquer un véritable incident diplomatique. On ne conteste tout simplement pas les règles – probablement un héritage du passé communiste. »

 

Comment réagissent les Vietnamiens aux campagnes publicitaires ?

« Les influencers ou KOLs sont extrêmement importants ici. De plus, une personne sur trois se balade avec un smartphone à la main. Les réseaux sociaux, le contenu vidéo et le e-commerce prennent de l’ampleur et la majorité de la population a moins de trente ans. Mais cela reste un pays à deux vitesses : marketing urbain vs. rural. Tous nos clients ne sont pas encore à la page, même si la transformation numérique est incroyablement rapide grâce à une grande pénétration d’internet. Et n’oublions pas que le gouvernement ralentit ou bloque Facebook de temps en temps à cause de critiques ou de contestations. »

 

Quels ont été vos plus grands accomplissements ?

« Avoir pu faire passer les collaborateurs et les processus - et les compétences de façon générale - à un niveau supérieur dans les deux agences. Ce n’est pas un copier/coller de ce que nous faisons en Europe, il faut tout adapter à l’identité culturelle locale. De plus, je suis dans des jurys, je prends la parole à des conférences… J’essaie d’apporter ma pierre à l’édifice du marketing local, en le professionnalisant et en l’inspirant. Je travaille également moi-même pour quelques clients, comme Nestlé ou Heineken. Je suis très fier qu’après un an seulement, mes efforts aient été récompensés par le prix d’argent Agency of the Year de Campaign Asia à Singapour. »

Back home ?

 

L’inévitable question finale : pouvez-vous envisager de revenir travailler en Belgique ?

« Never say never. Je pourrais être amené à le faire pour des raisons familiales. Mais une fois que l’on a goûté à l’international… C’est un véritable enrichissement, je suis devenu une autre personne, avec de nombreuses nouvelles perspectives. Un esprit ouvert vit beaucoup plus. »