« Une bonne agence de pub tape sur le système des annonceurs »

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Un homme de publicité plébiscité qui a lancé sa propre agence il y a un an et demi et le tout nouveau Master Marketer 2018 qui a développé son entreprise de boissons en enchaînant les introductions réussies. Comment voient-ils le domaine l’un de l’autre ? Voilà la question qui a poussé PUB à envoyer  Iwein Vandevyver et Stefaan Bettens en blind date.- Wim De Mont, Photos Luc Hilderson.
Iwein Vandevyver a travaillé de nombreuses années en tant que créatif, puis directeur créatif pour LG&F, ensuite pour Famous (désormais FamousGrey), avant de lancer en 2017 sa propre boite Lucy aux côtés de Jonas De Wit et Laurent Dochy. A-t-il déjà reçu des prix, me demandez-vous ? Creative Belgium Awards, Effies, Cannes Lions,… you name it, il les a tous ! Stefaan Bettens est CEO de l’entreprise de boissons Jet Import avec laquelle il a fait des prouesses pour Heineken, Corona, Desperados, Red Bull et Fever-Tree sur le marché belge. Ses efforts lui ont valu le titre de « Master Marketer 2018 », décerné par la Belgian Association of Marketing (BAM). Iwein et Stefaan ne se connaissent pas, – bien que Iwein se rappelle soudainement qu’il a un jour été en contact avec un gestionnaire de produit de chez Jet Import –  mais lorsque PUB leur organise un blind date, ils sont immédiatement intrigués par le travail de l’autre. Stefaan Bettens explique quelles marques il représente. Il n’y a pas que des marques de boisson, il y a aussi des snacks healthy comme les barres vitaminées et protéinées Fulfil. Son travail lui a rapporté un titre de Master Marketer.
Stefaan Bettens : « D’ailleurs, pourquoi ce prix-là ? Est-ce parce que je connais les bonnes personnes ? (rires). C’est justement parce que j’ai établi toute une série de marques sur le marché, cela ne peut plus être un coup de chance. Copperhead, dont je détiens la moitié des parts, commence aussi à s’y mettre. Nous sommes déjà présents dans 22 pays. Je pense que ce beau palmarès vient du fait que j’assume les fonctions de marketing et de CEO en même temps. Je parle aux gens d’abord en tant que CEO. J’essaie de comprendre leur business model pour en tirer le meilleur parti. Même chose pour les agences. Pour Red Bull, nous travaillons avec LDV United, pour les autres marques nous travaillons presque toujours avec des jeunes entreprises. L’instinct c’est 5% du processus. Fixer les prix, lancer la distribution, trouver le bon marketing : il faut garder tous les aspects à l’esprit et ne pas sauter d’étape. J’ai une vision des choses relativement scientifique, c’est comme accorder un piano, toutes les notes doivent sonner justes et on commence par les plus graves. »
Iwein Vandevyver : « J’aime beaucoup ta vision des choses. On ne peut pas commencer par la fin, il faut toujours commencer par le produit lui-même… »
Stefaan Bettens : « J’aime débattre du meilleur ordre des quatre P. Il y a plein de pièges ! Souvent, on a un produit, mais si on fait tout de suite appel à une agence, on rate les étapes intermédiaires. Cependant, si c’est le bon moment, une bonne publicité peut faire toute la différence. La publicité n’a rien à voir avec la fixation des prix, bien que cet aspect puisse avoir un impact. »
De l’occupationnel
Iwein Vandevyver : « Chez les agences de pub, nous avons parfois une perception inverse. Nous sommes des créatifs pleins d’imagination, ce qui est normal. Pourtant, j’ai déjà eu l’impression qu’une bonne création apportait plus de réponse que la stratégie. Je n’ai rien contre la stratégie, elle va de pair avec la création. La créativité sans bonne stratégie, c’est de l’occupationnel, mais une bonne stratégie que l’on ne peut pas exprimer de façon créative, cela ne vaut rien non plus. »
Stefaan Bettens : « En tant qu’agence, il faut avoir une image complète et scientifique du problème. Il faut avoir les bons insights. Comment une marque devient-elle top of mind ? Les créatifs doivent poser les questions embêtantes, une bonne agence de pub doit taper sur le système des annonceurs. L’agence, grâce à sa connaissance de la réalité, doit pouvoir t’avertir des dangers potentiels. Red Bull continue de croître et il est nécessaire d’avoir le marketing qui permettra de faire avancer les investissements de façon scientifique. Et puis, évidemment, il faut une bonne publicité. Tout ça dans le bon ordre ! »
Iwein Vandevyver : « N’est-ce pas à la marque de se projeter dans le futur ? Et n’est-ce pas là l’aspect émotionnel de la chose ? »
Stefaan Bettens : « C’est la raison et l’émotion. Je sens les tendances, entre autres en passant du temps avec des artistes, mais au final je suis très carré, rationnel. Le côté émotionnel joue un rôle lorsque l’on se demande ce qu’une marque pourrait représenter pour soi. Prenez l’exemple de Bionade, j’y croyais, mais ils n’avaient pas de budget marketing. Le consommateur est critique et bien informé. Je n’aime pas le terme ‘hype’, mais une marque comme Fever Tree qui met, par exemple, du vrai gingembre dans sa ginger ale, ce n’est déjà plus hype. Red Bull a fonctionné cinq ou six ans sans publicité. Ils étaient présents sur les évènements, ont sponsorisés des sports extrêmes, étaient un peu controversé. Ce saut depuis la stratosphère, en direct… Une multinationale ne ferait jamais ça ! Red Bull est une entreprise familiale avec une seule personne aux commandes. Par contre, la course de caisses à savon a été créée ici, nous – et LDV United – avons reçu beaucoup de liberté créative et nous avions échangés nos idées. Ce n’est pas une marque pilotée depuis le QG.
Iwein Vandevyver : « Si c’est le cas, ils cachent bien leur jeu (rires). Bien joué, Red Bull… »
Un business model délicat
Stefaan Bettens est agréablement surpris par le travail d’Iwein Vandevyver, notamment par ce qu’il a fait pour la chaine de musique classique Klara. Stefaan Bettens est un mélomane, il écoute du jazz, mais aussi de la musique classique et son frère restaure de vieux pianos. « C’est rare de rencontrer quelqu’un qui aime la musique classique dans le monde du marketing, » s’exclame-t-il. Lucy a bien sûr beaucoup de clients différents, pas uniquement des clients issus du monde des médias, comme Klara, Radio 1 ou De Standaard. « Il y a aussi le détaillant Molecule, Yongo, l’appli d’épargne pour les enfants de AG Insurance, Brightfish… Ou encore un moniteur d’énergie, ce qui est très différent, » explique Iwein Vandevyver. « Et j’en suis ravi. »
Stefaan Bettens : « Ce n’est pas difficile de diriger une telle agence ? Et c’est rentable ? »
Iwein Vandevyver : (acquiesce) « C’est vrai que c’est difficile. En fait, c’est même un business model très délicat. Imaginer un concept, par exemple. Les bonnes idées ne tombent pas du ciel, cela demande pas mal de temps. Et c’est ce temps que nous facturons dans notre activité, bien que le temps ne soit pas toujours visible pour le client. Les bonnes idées sont souvent désarmantes de simplicité, mais personne ne voit tout le parcours qui aura été nécessaire pour les trouver. »
Stefaan Bettens : « Ni tous les pitchs, j’imagine. Moi-même je n’aime pas les pitchs, je trouve ça bien mieux de parler avec les gens, savoir ce qu’ils peuvent faire, comment l’agence ressent la marque… Et si le prix est réaliste, alors on peut conclure des contrats, car on ne gagne de l’argent que lorsque les revenus sont récurrents. »
Iwein Vandevyver : « En soi, les pitchs c’est chouette pour les clients, qui se disent ‘voyons voir comment ils se débrouillent’. Et puis tout le monde est super gentil, car ils veulent le contrat (rires). Ce n’est pas idéal, mais c’est comme ça que ça marche. Il y a parfois des clients qui viennent spontanément nous chercher et ça c’est très sympa. Le plus important, me semble-t-il, est de parler avec les clients et de bien comprendre où est le problème. Cela permet de faire un travail si ce n’est meilleur ou en tout cas plus pertinent. »
Cut the crap
Stefaan Bettens : « Le succès de votre entreprise ne vient-il finalement pas de cette attitude ‘cut the crap’ que nous avons nous aussi adoptée ? »
Iwein Vandevyver : « On dirait bien… »
Stefaan Bettens : « Mais ébaucher la nouvelle stratégie de Proximus, ce ne serait pas pour vous ? »
Iwein Vandevyver : « Pas pour le moment ! (rires) Mais pourquoi pas ! Le but n’est pas de rester une petite agence. En fait, j’ai peut-être attendu trop longtemps avant me lancer. J’étais le premier créatif à être embauché chez LG&F.  Les clients sont vite arrivés, et pas des moindres, nous avons pu travailler pour de nombreuses belles entreprises, mais mon ambition a toujours été – déjà quand j’étais étudiant – de lancer ma propre agence. »
Stefaan Bettens : « Je trouve que les agences doivent toujours aller à l’essentiel et faire des choix pour ne pas produire toujours la même chose. Pourquoi avoir choisi le nom Lucy, d’ailleurs ? C’est un très bon nom ! »
Iwein Vandevyver : « Lucy fait référence à notre plus vieil ancêtre, qui elle-même a été nommée Lucy parce que les chercheurs écoutaient ‘Lucy in the Sky With Diamonds’ au moment de la découverte. Pour nous, Lucy signifie que la créativité a quelque chose d’humain, que c’est pas juste une façade, mais vraiment quelque chose qui fait progresser le monde. Nous aimons avoir des contacts personnels avec les annonceurs et leur poser les questions qui fâchent. Je suis peut-être trop romantique, mais selon moi, ceux qui s’occupent du marketing doivent être à 100% derrière le produit, même s’il est possible qu’ils travaillent pour une marque concurrente l’année suivante. Tu as l’avantage d’être à la fois le CEO et le responsable du marketing, penses-tu que le succès s’explique toujours par le marketing ? »
Stefaan Bettens : « Non, pas du tout. En fait, je suis un peu sceptique face au marketing. C’est bien d’avoir un peu de méfiance envers le marketing lorsque l’on se met à travailler pour une marque honnête. Et puis, on se laisse tous un peu séduire par la publicité. Les vêtements que l’on porte, les marques avec lesquelles on travaille, (il se tourne vers le photographe) cet appareil photo remplit certainement des caractéristiques spécifiques, mais on veut toujours appartenir à un groupe, se positionner. »
(Onderschriften)
Iwein Vandevyver: « Je trouve qu’il est important de parler avec les clients et de demander où est le problème. Cela permet de faire un travail si ce n’est meilleur ou en tout cas plus pertinent. »
Stefaan Bettens : « C’est bien d’avoir un peu de méfiance envers le marketing lorsque l’on se met à travailler pour une marque honnête. »
(Streamers)
« La créativité sans bonne stratégie, c’est de l’occupationnel » - Iwein Vandevyver
« Si le moment est le bon, une bonne publicité peut faire toute la différence » - Stefaan Bettens