XAVIER BOUCKAERT REVIENT SUR 2023 : « MAGAZINES ET ABONNEMENTS NUMÉRIQUES : C’EST POSSIBLE »

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Le contrat de distribution avec toutes ses péripéties, la législation sous diverses coutures, mais aussi de nouvelles opportunités pour les annonceurs et les abonnements numériques. 2023 a  apporté beaucoup aux éditeurs de magazines. Une analyse avec Xavier Bouckaert, président de WE MEDIA et CEO de Roularta.

Difficile de parler de 2023 sans évoquer la concession des journaux et magazines. Quel est votre regard sur le sujet ?

Ce fut un dossier qui a eu beaucoup d’impact, mais qui a aussi suscité pas mal de frustrations, justement parce que nous n’avions aucun contrôle. Deux éléments ont toutefois joué un rôle important.

Primo, l’ambiance a été déterminée par quelque chose qui nous a grandement surpris, à savoir des irrégularités présumées dans l’attribution du contrat précédent. En tant que secteur magazine, cela ne nous concernait pas du tout, mais ça a fait en sorte que la discussion s’est axée là-dessus, et non sur l’essentiel, qui était d’abaisser le seuil d’information pour les Belges et, ainsi, de soutenir la démocratie.

Secundo, nous n’avons pas du tout été consultés lors de la mise en adjudication, contrairement aux fois précédentes. Et ce, alors que nous avions déjà exprimé nos inquiétudes au préalable et que nous les avons réitérées à plusieurs reprises dès la publication de l’appel d’offres. À nos yeux, il n’était en effet pas clair du tout, voire incompréhensible pourquoi les journaux et les magazines faisaient l’objet d’un traitement distinct. Alors que pour les journaux il s’agissait d’un appel d’offres ouvert, pour les magazines il était question, à 90 %, d’un carcan. Seul le coût supplémentaire qu’un distributeur facturerait pour une distribution ‘jour +1’ pouvait encore faire une différence.

Par conséquent, le résultat de cet appel d’offres, compte tenu des subventions, entraînait un doublement ou triplement du coût de notre distribution. Cela aurait sonné le glas du secteur tout entier. Nous sommes donc très heureux que cette concession ait été balayée de la table.

Une période de transition est actuellement en place jusqu’à la fin du mois de juin 2024, à l’issue de laquelle un régime différent entrera en vigueur. La situation s’en trouvera améliorée, mais il n’est pas encore clair à quoi ressembleront exactement les mesures de soutien restantes. Un crédit d’impôt peut être une bonne chose, mais un tel crédit n’est appliqué qu’un ou deux ans plus tard, car il est inclus dans le calcul de l’imposition. De plus, cela risque de devenir une coquille vide si on y met trop de conditions. Voilà pourquoi WE MEDIA intervient dans les dispositions relatives aux mesures de soutien et relaie les objections de ses membres. Bien entendu, il est impossible de prédire si le gouvernement en tiendra compte.

Pouvez-vous déjà jauger l’impact de ce dossier ?

Il est trop tôt pour cela, justement parce que les modalités n’ont pas encore été fixées. Cependant, une chose est sûre : il y aura bel et bien un impact. Et ce, à un moment qui n’est pas idéal. Le secteur tout entier subit une transformation profonde, l’an dernier le coût salarial a fortement augmenté, les prix du papier restent très élevés, …

Passons brièvement aux autorités européennes. Des mesures ont-elles été prises à ce niveau en 2023 qui ont un impact sur les éditeurs de magazines ?

Quand une réglementation émane de l’Europe, il convient toujours de toucher du bois. Elle partira invariablement d’une bonne intention, mais elle sera parfois mal transposée. L’acte européen sur la liberté des médias en est un exemple. Il veut défendre la démocratie et la liberté de la presse et a vu le jour parce que celles-ci sont sous pression dans une série de pays de l’Europe de l’Est. Le résultat, toutefois, est la création d’un super organisme de contrôle qui, dans bon nombre de pays dont la Belgique, n’est nullement nécessaire. Nous disposons en effet déjà de régulateurs des médias. La loi a été votée l’an dernier, mais son impact n’est pas encore tout à fait clair.

En matière de publicité aussi, on voit apparaître de plus en plus de restrictions et d’obligations. Cela étant dit, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que les GAFA parviennent à chaque fois à s’y soustraire.

En matière de GAFA, on a néanmoins voté la loi autour du droit d’éditeur en 2022, permettant ainsi aux éditeurs de percevoir des revenus auprès de parties qui diffusent leurs contenus. Où en est sa mise en œuvre ?

Il s’agit d’un exemple similaire de réglementation européenne. L’idée est excellente, mais sous l’influence des GAFA la loi a été considérablement édulcorée. Au lieu du bazooka dont nous avions besoin, on nous a fourni une catapulte. Le législateur a en effet dit qu’il devait y avoir une compensation, mais il a oublié de mentionner la base sur laquelle celle-ci devait être calculée.

En ce moment, nous menons dès lors des négociations avec les GAFA, qui occupent une position de force dans ce dossier. Nous étudions avec les éditeurs flamands comment mandater une société de gestion (existante) capable de poursuivre les négociations. Les premiers accords avec les GAFA devraient être conclus cette année. Du côté francophone, les éditeurs ont déjà conclu un accord avec les GAFA.

Au niveau flamand, par ailleurs, il y a eu l’appel à projets pour les médias dans le cadre de la Vlaamse Veerkracht (la Résilience flamande, ndlr). En 2023, les premiers résultats étaient censés être visibles, non ?

Quand c’est bon, nous le disons aussi : il s’agit d’une initiative louable. Voilà un bel exemple de comment nous pouvons soutenir le secteur des médias avec un impact durable. Face à ce projet, le gouvernement flamand s’y est aussi bien pris : les seuils n’étaient pas trop élevés et nous avons été plusieurs à soumettre une proposition.

Il s’en suit que de nombreux éditeurs de magazines ont des projets en cours. Il y aura aussi un système de mesure cross-média dont profitera le secteur tout entier. De grands progrès ont été faits en 2023, mais nous attendons surtout un output concret et des réalisations tangibles pour 2024.

Est-ce que ça bouge aussi dans d’autres domaines au niveau du gouvernement ?

Il y a brièvement eu une discussion sur le régime de TVA pour les journaux et les magazines. J’espère que le gouvernement se rend compte du gigantesque impact que cela aurait. Ce serait littéralement le coup de grâce pour le secteur.

Un petit zoom arrière nous apprend que le thème sociétal et économique de 2023 a indubitablement été l’IA. Quel rôle l’IA joue-t-elle pour les magazines ?

J’ai remarqué que beaucoup d’éditeurs s’y sont mis et ont expérimenté avec l’IA. Au sein des médias, ce n’est pas comme le métavers ou la blockchain : l’IA est là pour rester. Elle est en passe de transformer notre métier de fond en comble.

Le revers de la médaille, c’est que l’IA permet à des gens malhonnêtes de manipuler les choses et de diffuser des fake news avec encore plus de facilité. Je pense ainsi au détournement d’images.

Dans ce risque, j’entrevois cependant aussi immédiatement une opportunité pour les éditeurs de magazines. Le contrôle humain de l’IA est primordial et de nombreux éditeurs ont déjà signé des chartes à ce sujet. Les choses ne s’arrêtent toutefois pas là : plus il y a de fake news, plus il est nécessaire d’avoir des médias indépendants et fiables.

Un thème qui a sans doute été quelque peu éclipsé par l’IA est celui du développement durable. Comment l’année 2023 s’est-elle déroulée à cet égard pour les éditeurs belges ?

La prise de conscience est grande et chaque éditeur franchit des pas, selon ses capacités. Les magazines sont emballés dans du papier ou il n’y a plus d’emballages, nous misons sur des énergies propres, … Il existe cependant un impact qu’il nous est difficile de maîtriser, à savoir celui des producteurs de papier. Cela fait bien des années que l’on entretient de manière durable les forêts dont proviennent les arbres, mais le processus de production est encore très énergivore et cela doit s’améliorer.

En 2022, le prix du papier a atteint des records. Comment a-t-il évolué en 2023 ?

Nous avons pu observer un marché à deux vitesses. Le prix du papier journal a connu un joli recul, mais pour le papier magazine cette baisse est beaucoup moins prononcée. Nous payons toujours environ 50 à 75 % de plus qu’en 2021.

En outre, le nombre de producteurs de papier a diminué, ou alors ils sont moins actifs. Je pense par exemple à Stora Enso et Sappi.

Le plus important pour les éditeurs, ce sont évidemment les lecteurs et les annonceurs. Comment s’est comporté le marché des annonceurs en 2023 ?

Le marché des annonceurs est très cyclique, comme nous avons encore pu le constater en 2023. L’année a été difficile, mais les difficultés étaient moins imputables à une transformation qu’à la conjoncture. L’inflation des frais de personnel au début de 2023 a poussé les entreprises à faire des coupes et le marketing est invariablement le premier coût dans lequel on sabre. Heureusement, la situation s’inverse tout aussi rapidement lorsque le marché se redresse. Il convient toutefois de voir comment le marché se reprendra, car la transformation du marché publicitaire joue également un rôle important.

Cela mis à part, nous voyons toujours, au sein des budgets média, un glissement vers le GAFA et autres. Le défi qui se pose aux éditeurs est de faire évoluer leur modèle d’affaires vers cette réalité.

Terminons par le groupe le plus important, les lecteurs. Quelles évolutions ont marqué 2023 ?

Là aussi, l’inflation des prix et la crise de l’énergie ont eu un impact. Nous avons constaté une baisse des ventes au numéro qui, cette fois, n’a pas été entièrement compensée par un nombre croissant d’abonnés.

Cependant, la grande tendance de 2023 est le nombre d’abonnés numériques. On a longtemps dit que seuls les journaux seraient capables de performer dans ce sens, mais cela n’est pas exact. Des titres comme Humo ou Knack y parviennent également. Les titres magazine axés sur l’information présentent un potentiel dans ce domaine.

C’est pourquoi nous voyons émerger une nouvelle profession : les gens qui recrutent des lecteurs par voie numérique. Cette transformation digitale va encore s’accélérer en 2024. Cela indique qu’entre-temps, le média magazine est armé pour consolider sa place dans le monde des médias en ligne et qu’il offre plus que jamais une expérience média totale. En tant que secteur, nous ne pouvons que nous en réjouir.