Au chevet de l'ADN des marques

Au chevet de l'ADN des marques - Erik Vervroegen

Articles traduits

Erik Vervroegen est-il le créatif Belge qui a réussi? Chacun a son idée sur la question, une chose est pourtant certaine, il est celui qui a réussi à s'exporter. Son quotidien, ses recettes, sa personnalité, il nous les livre dans cette interview réalisée dans son escale parisienne, boulevard des Champs-Elysées.

On pourrait taxer Erik Vervroegen d' « Homme Pressé »!Depuis qu'il a été nommé directeur créatif international de Publicis Worldwide, l'intéressé ne cesse de parcourir la planète, passant sa vie dans les avions et chambres d'hôtel. Il s'est fait un devoir de rencontrer tous les directeurs de création nationaux afin de faire connaissance, mais surtout de travailler à l'unisson. Deux années de vadrouille au bout desquelles il a finalement appris à déléguer... Pas simple pour ce créatif dans l'âme qui apprécie de mettre la main à la pâte. Si son quartier général est désormais à San Francisco, c'est dans son bureau dépouillé du 133 avenue des Champs Elysées à Paris – au siège du groupe – qu'il nous a reçus, sa valise en stand-by, dans un coin de la pièce.

A quoi ressemble le quotidien d'un directeur de création d'envergure internationale?
C'est très récent tout cela, à peine deux ans. Mon futur sera différent parce qu'en acceptant ce job j'ai dit que je devais, au moins pendant ces deux années, être sur la route, à la rencontre des directeurs de création du groupe de par le monde. J'ai mis ma vie sociale et mes passions entre parenthèses, car pour bien faire cela, je devais prendre ma valise et aller tantôt en Chine, en Thaïlande, en Allemagne... J'ai fait plusieurs fois le tour du monde. Mon quotidien se résumait à voyage, hôtel voyage. J'ai deux points de chute, mon bureau ici à Paris, qui ne ressemble plus à rien, (ndlr: on confirme) et un autre à San Francisco, où je réside. Maintenant je connais tout le monde, on s'apprécie... Désormais, nous pouvons travailler à distance. Ceci s'inscrit dans un plan à long terme.

Est-ce une vie enviable?
Je ne sais pas, cela dépend des gens. Pour certaines personnes, c'est le boulot rêvé, pour d'autres, un cauchemar. Je trouve pour ma part que tout est supportable si on est animé par la passion et qu'on retient ce qui est positif. Quand je vois des talents qui explosent, cela fait du bien.

Comment gère-t-on une campagne mondiale, qui a donc une couverture internationale?
Il faut à la base avoir une bonne stratégie, que ce soit simple et vrai, arrêter de mentir aux gens, trouver la réalité de la marque, ce qu'elle a à dire. A cela s'ajoute une bonne équipe, être entouré d'excellents partenaires au niveau créatif, comme commercial. Je suis pour ma part super bien entouré, notamment par Arthur Sadoul, président de Publicis Worldwide.

Le même discours peut-il être tenu partout dans le monde?
Bien sûr, si vous avez entre les mains quelque chose d'universel. Par exemple, quand nous avons travaillé sur Ray-Ban, tout le monde peut comprendre« Never Hide », c'est un concept qui peut vivre partout... Ne pas se cacher, être courageux... On vend la notion de respect pour soi-même. C'est valable différemment en Chine, en Europe. En tant qu'Européen, une annonce « Never Hide » en Chine peut paraître bizarre. On voit une femme d'affaire qui va danser en boîte. Il y a un côté 'entertainment', qui déclenche une émotion.

IL N'Y A PAS DE REGLES

Le client aujourd'hui est-il plus exigent?
Ils ont compris qu'on ne peut plus s'en sortir avec une prise de risque équivalente à zéro, assortie d'un plan média gigantesque. Ils ont aussi intégré que la créativité était le seul moyen permettant de générer des revenus. Ils recherchent désormais une créativité à la hauteur des Grand Prix des Cannes Lions, qui, avec un investissement ridicule, ont du succès. Ce qui gagne à Cannes s'accompagne de gros succès commerciaux. Ils comprennent qu'il faut sortir du lot. La seule façon d'y arriver passe par la créativité, car on sait tous utiliser les réseaux sociaux. Pourquoi TNT de Duval Guillaume fait 70 millions de vue et une autre campagne arrive à deux millions? Il y a derrière une réalisation qui tape juste et que tout le monde a envie de voir. Je suis peut-être un peu naïf, mais je trouve qu'on est en train de vivre les belles années de la créativité. C'est à travers celles-ci qu'on crée la différence. Les clients sont de plus en plus intéressés par cette approche. A contrario, si vous demandez aux meilleurs créatifs du monde de vendre un produit de merde, ça n'ira pas. Quand j'ai travaillé pour Netflix aux USA, on pouvait être très créatif, mais leur offre n'était pas très claire, idem pour la Commonwealth Bank of Australia, je me suis retrouvé face à un challenge impossible.

Y a t-il encore de la place pour une créativité locale chez un grand annonceur?
Tout est possible, c'est une question de problème et de solution. La première règle en pub, c'est qu'il n'y en a pas. C'est une question d'argent et de temps. A partir de là, on trouve les réponses les mieux adaptées à l'équation. La situation est rarement idéale, avec un briefing magnifique, des créatifs qui ont la pomme, une exécution parfaite. Il faut savoir s'adapter, nous faisons du sur-mesure.

La crise économique mondiale a-t-elle un impact sur le travail créatif?
Depuis que je suis dans la pub et que j'ai mis le pied dans ma première agence, j'entends dire que c'est la crise, qu'on n'a pas un rond ... Où que j'aille c'est la crise et ça fait 25 ans que ça dure. Ca ne change rien pour moi. Je n'ai jamais entendu quelqu'un dire: « bonne nouvelle, la crise est finie ». Ca n'a jamais été simple. Dans les années 90, en Belgique, nous n'avions pas l'opportunité de travailler sur une grande campagne, les agences faisaient plus office de boîte aux lettres.

La Belgique compte-t-elle encore dans le concert créatif, face à une internationalisation galopante?
C'est un petit pays et ça le restera. On va encore me taxer de belgicain... Mais je trouve que les créatifs Belges sont brillants et plus encore, que les clients belges sont très courageux. En France, nombre de créations belges ne passeraient pas. Il y a un peu de folie, d'humour décalé... J'ai quitté la Belgique non pas parce que les créatifs n'étaient pas bons, mais parce que le terrain de jeu était trop petit. En tant que créatif, je voulais me frotter à de gros clients. Ce n'est pas en Belgique qu'on va gérer un budget mondial, c'est la loi des chiffres et c'est dommage.

"Notre travail de créatif c'est d'être des caméléons ou des comédiens."

Où vous situez-vous où en tant que créatif: ancienne école ou nouvelle vague...?
Je suis simplement un publicitaire formé old school, sur les médias traditionnels et qui a vécu un changement incroyable. Quand le numérique s'est pointé, on a dit qu'il n'y aurait plus de place pour le print! Quand j'étais chez TBWA, j'ai tenté d'intéresser l'agence à ces développements digitaux. Ça n'a pas été possible, je me suis donc expatrié une fois de plus pour réapprendre mon travail. En 2009, j'ai pris la décision d'aller travailler chez Goodby Silverstein à San Francisco, qui avait été nommée agence digitale de l'année. Quand je suis arrivé là, cette agence s'était réinventée complètement et faisait marche arrière. Elle avait été trop digitale et avait perdu son essence! Aujourd'hui, il n'y a plus de old et de new school, juste des publicitaires qui ont bien compris les possibilités offertes par le digital et ses limites. Et il en va de même pour le traditionnel. Tout cela fonctionne en parfaite harmonie. A la base, il faut toujours une grande idée. Je suis un publicitaire de 50 ans qui essaye de bien faire son travail. En tant que directeur de création, le plus dur aujourd'hui est de trouver des gens capables d'écrire un film! Les jeunes teams se présentent comme étant des storytellers. En revanche, trouvez quelqu'un qui sait tout simplement écrire, c'est plus difficile, tout comme un collaborateur capable de résumer une idée en un print.

JE SUIS UN VIEUX CON

PARLER AU CLIENT

Etes-vous geek?
Je ne suis pas un fou de technologie et pas geek pour un sou. Je n'ai d'ailleurs pas de compte Facebook, ça m'emmerde et je n'ai pas de temps à consacrer à cela. Je ne suis présent sur aucun réseau social. Je comprends très bien l'intérêt que cela représente pour plein de gens, mais pas pour moi. J'ai 400 mails par jour, ça me suffit amplement. Ceci dit, je passe mon temps sur Youtube, sur internet... En conclusion, vous pouvez dire que je suis un vieux con (rires).

Que vous inspire le native advertising?
Le quoi ?... (Après explications). Il y a plein d'approches qui sont dans une certaine mesure efficaces, mais ce n'est pas mon métier. C'est périphérique. Je travaille sur l'ADN des marques, j'œuvre à la construction d'une colonne vertébrale solide pour arriver à dire: Nestcafé c'est ça, Ray-Ban c'est ça... Je veux parler au client, à la personne qui est confrontée à un problème, au patron de Ray-Ban, à celui de Nestcafé... Il faut des années pour arriver à ce niveau. Si un jeune créatif pose ce genre de demande, on lui rit au nez. Ce n'est pas une question d'ego, je veux connaître les vrais problèmes de fond des marques et y apporter des solutions. Il faut définir une direction, savoir ce que nous allons raconter.

Si vous devez définir votre style, cela donne quoi?
Je n'en ai pas. Notre travail de créatif c'est d'être des caméléons ou des comédiens. Louis de Funès, il a fait du Louis de Funès toute sa vie, de l'humour. Moi, quand je regarde mon portfolio, j'ai des doutes sur ma personne. Je peux être drôle, sérieux, travailler sur une banque, de la mode... Je planche actuellement sur Volcom, une des marques les plus respectées, aux USA, dans le registre du surf, du snowboard et du skateboard. La dernière fois que j'ai mis les pieds sur un skate, j'avais 13 ans, j'ai fait un peu de snowboard voici quelques années et pourtant maintenant je surfe dans ma tête! Je n'ai pas besoin d'être un surfeur pour savoir ce que ces sportifs pensent. Quand j'en observe un dans un bar, que je l’entends parler, je comprends quel personnage il est. C'est ça vivre, je capte comment les gens fonctionnent. Après je retournerai sur Nestcafé, c'est dire que je dois pouvoir me mettre dans leur peau, comprendre leur culture, ce ne sont pas des surfeurs... Ma fierté, c'est mon côté caméléon. C'est ce que j'essaye d'apprendre aux gars avec qui je travaille, qu'ils aient un portfolio varié, qui démontre une habilité à pouvoir passer du rire aux larmes, de l’écriture au visuel...

Quelle place occupe les prix que vous avez déjà récoltés dans votre vie?
Entre hier et aujourd'hui, l'importance des prix n'est plus la même. Un jeune créatif se doit d'en gagner car ça permet d'avoir confiance en soi. Il est plus écouté. On commence à lui prêter attention lorsqu'il a remporté des prix. J'ai essayé d'en gagner un maximum lorsque j'étais jeune, afin d'être écouté, d'avoir une réputation... Quelqu'un qui gagnait des prix en Belgique pouvait travailler sur La Redoute sinon pas! Ce qui a changé, c'est que les clients indiquent dans leur cv les prix qu'ils ont gagnés. C'est donc plus important que jamais. Le festival de Cannes a aussi son importance, la proximité géographique a permis aux Belges d'y assister nombreux. C'est enrichissant, ça explique peut-être aussi pourquoi les créatifs belges sont bons. Voir ce qui se fait dans le monde, c'est en prendre plein la gueule... Ca motive, ça inspire... C'est grâce à Cannes que j'ai voulu quitter la Belgique. Quant aux prix, il ne faut pas perdre de vue que 90% des Lions d'or sont aussi des succès commerciaux. Voici, six, sept ans, une campagne gagnait parce qu'elle était cool, aujourd'hui la notion de respect prime. On est là devant un gros client qui a une stratégie imparable; on ne gagne plus avec des petites farces.
UN ENTRAINEUR

Vous parlez de Cannes en oubliant les autres festivals, pourquoi?
C'est surtout le plus grand, on y retrouve le plus grand nombre de pays en termes de participants, les jurys les plus larges... J'aime aussi Eurobest et Clio, qui sont des vraies compétitions internationales. Généralement, ce sont souvent les mêmes campagnes qui sortent du lot. Quand c'est bon, c'est simple, ça trouve son chemin. On sent que c'est du vrai travail et non un boulot réalisé pour gagner des prix.

Le regard que les autres posent sur vous a-t-il changé?
Je n'en sais rien et ça ne m'intéresse pas. Ce qui prime pour moi, c'est la qualité de mon travail. J'ai certainement fait des erreurs... Je me remets en cause constamment. Je ne me sens nullement installé. Je suis, malheureusement pour moi, le genre de gars qui doute tout le temps. Nous pouvons gagner 200 Lions, ça ne changera rien à mes angoisses.

Vous sentez-vous courtisé professionnellement?
Je ne le ressens pas. Il y a toujours des gens qui se rapprochent de vous parce qu'ils ont envie de bosser. Ce n'est pas une question de courtiser, mais de personnes qui se disent: « avec ce gars là, on va avancer... »
JE VAIS FAIRE DE TOI UNE STAR

Qu'est-ce qui a changé entre Erik Vervroegen à Bruxelles et celui à San Francisco?
Pas grand-chose. J'ai quitté la Belgique tardivement, j'avais 35 ans. Le grand tournant c'est peut-être quand je me suis retrouvé en Afrique du Sud et que j'ai eu la preuve concrète que ma manière de penser était la bonne. En Belgique, rien n'était possible. On faisait ce qu'on pouvait et on ne vendait jamais rien. Chez TBWA Lascaris, mon directeur de création m'a dit: « une bonne idée doit vivre coûte que coûte ». Ce qui est vrai. Il m’a aussi dit: « je vais faire de toi une star car c'est mon métier ». Il m'a aidé et ça m'a changé du tout au tout. Aujourd'hui, chaque créatif qui travaille avec moi aura un meilleur portfolio, c'est une garantie et j'en suis fier. Je suis un entraîneur!

... qui met ses mains dans le cambouis!?
Oui, je suis aussi un peu joueur, créer vient naturellement. Je ne pourrais pas être un directeur de création dans sa tour d’ivoire, j'ai toujours quelque chose à dire, à ajouter... En plus de mon boulot de directeur de création, je gère personnellement des clients comme Ray-Ban et Volcom. Je suis un lent, mais j'ai finalement compris après quelques années, ça fait lèche cul, que la relation avec le client est à la base. Si vous ne prenez pas soin de votre client, il ne se passe rien. Il faut que cette relation soit saine. J'apprécie de connaître les gens, leur problématique, etc....
"Quand je regarde mon portfolio, j'ai des doutes sur ma personne."

Regardez-vous souvent dans votre rétroviseur?
C'est le moment présent qui compte. Il y a eu des erreurs de jeunesse, mais je ne regrette rien. Je suis content, j'ai une chance inouïe. J'ai été aidé par le destin plusieurs fois...

Vous voyez-vous mettre sur pied votre propre agence?
Jamais! Ca n'a jamais été le moment pour moi. Ce qui m'intéresse in fine c'est d'apprendre. C'est ma quête. L'apprentissage passe par l'appréhension d'un maximum de dossiers. Je me professionnalise tous les jours grâce à toutes les informations que j'ai à gérer. Piloter une agence, ça me ferait paniquer, mon arrogance disparaitrait; je serais un lâche de première et un gestionnaire pathétique.

Pourriez-vous exercer un autre métier?
... Enseigner... Mais j'aime ce métier comme au premier jour, je ne pense jamais à faire autre chose. J'ai une chance unique, je remercie tous les jours Dieu de pouvoir faire ce métier le mieux que je peux.

« 99 F » fait partie de votre culture?
Je ne l'ai jamais lu et je n’en suis pas fan de Frédéric Beigbeder. Le cliché du publicitaire qui se drogue, qui sort en boite, c'est celui des années 80 à Paris. A ce moment là, j'étais à Bruxelles dans l'équipe d'André Rysman. Nous devions nous lever tôt et travailler dur. Je n'ai pas connu tout cela, ce n'est pas mon truc.

Quelle recette, quel conseil donner à un jeune créatif?
Ne pas hésiter à s'expatrier. Je crois que c'est un passage obligé. Qu'il fasse ses classes en Belgique, apprenne l'anglais et tente de trouver un job à Londres, à New-York ou en Afrique du Sud. La Belgique a ses limites. Certains pays ont tellement à offrir... Un jeune talent va aller où le travail accompli est de qualité et ça passe par les prix. Il faut rejoindre des directeurs de création qui amélioreront son portfolio. Ca ne veut pas dire qu'on ne peut pas avoir une carrière belge, mais on restera le meilleur en Belgique. Je pense qu'un créatif a besoin d'être challengé. Exportez-vous!

Photos: Luc Hilderson (Image4You)