Des awards pour les nuls

Des awards pour les nuls - Xavier Bouillon - pub10-2013

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Après l’accalmie estivale, voilà que reprend doucement la saison des prix. Euro Effies et Effies, Epica, Eurobest, Clio, CCB,… Jusqu’à l’apothéose des Cannes Lions, le monde de la publicité s’active frénétiquement, imaginant la crème de la crème de la création, espérant, peut-être, toucher l’Or du bout des doigts. Rafler le prix, moment divin de reconnaissance du travail accompli. Vraiment?
« Why advertising awards are now for losers. » C’est ainsi que Mathew Prentice, senior Art Director actuellement établi à Singapour, a intitulé un de ses articles publié sur Medium.com. Il se penche sur le regard que l’industrie publicitaire elle-même semble porter sur ses prix et les cérémonies qui les délivrent. Sentiments qui, selon l’auteur, en disent long sur l’avenir du secteur.
L’analyse commence par un sondage, lancé début 2013. Avec « Ad-awards. Important or redundant? » Prentice veut évaluer la perception des award shows et dit avoir interrogé plusieurs centaines de professionnels du secteur. C’est ainsi qu’à la question « les prix sont-ils importants? » 51,4% répondent un grand « non », tandis que 31,4% ne se mouillent pas avec un « parfois ». Ensuite, « les prix sont-ils encore crédibles? » récolte 50% de réponses négatives et dénoncent en même temps la fraude par les scams-ads. En parlant de scams, l’enquête sonde: « travailleriez-vous pour une agence qui vous demande de réaliser une ‘fausse pub’? ». Une interrogation à laquelle 73,5% promettent en chœur « non, ce serait une perte de temps »! Mais 14,7% estiment que, oui, cela fait partie du métier, et 11,8% admettent pouvoir se laisser tenter par une telle pratique. Enfin, lorsqu’il s’agit de savoir ce que leur inspire une agence qui court après les prix, la majorité (57,1%) se dit sceptique quant aux priorités de cette dernière. 19,8% la considèrent clairement comme encline à la triche. Mais 23,1% la voient, au contraire, comme ambitieuse. En un mot, rien de très folichon. D’ailleurs, s’appuyant sur ces observations, l’auteur avance que quelque chose a changé dans le secteur: il accorderait de moins en moins d’intérêt aux compétitions, presque devenues synonymes de blasphème. Les awards, ce serait pour les « losers ». Pour preuve, il mentionne une soi-disant pléthore d’agences – les digitales en particulier – qui iraient jusqu’à spécifier sur le site web: « We don’t care about awards ».

LES PRIX, JE M’EN FOUS
« Ce sont ceux qui ne gagnent jamais rien, frustrés, qui disent cela! » clame Jens Mortier, fondateur de Mortierbrigade et président du CCB (Creative Club of Belgium). « Je n’ai aucunement l’impression que la pub soit en train de renier ses prix. » Xavier Bouillon, Creative Director pour Emakina Integrated, nuance: « A un moment, il était peut-être de bon ton de revendiquer que les prix ne nous intéressaient pas, mais je ne pense pas que ce soit une tendance à la hausse aujourd’hui. Et si les agences le font, ce n’est à mon avis pas une position choisie, mais plutôt imposée par des annonceurs qui, eux, n’accordent que peu d’importance à ce type de récompense. »

LES SCAMS, C'EST DU DOPAGE. Jens Mortier
Les jeunes talents, moins plongés dans ce bain que leurs aînés, pourraient peut-être voir les awards d’un autre œil. D’autant plus qu’ils montrent un intérêt certain pour des agences dont le travail se prête moins aux compétitions. « Dans le digital, nous nous focalisons énormément sur le ROI puisque tout est mesurable, » explicite Xavier Bouillon. « Plus que par les awards, les clients sont davantage satisfaits par le nombre de clics sur un banner ou leurs ventes qui augmentent. Pour eux, nous adoptons clairement une politique de retour on investment, ce qui implique des choix plus rationnels qu’émotionnels. Mais nous ne désavouons pas les prix pour autant! Nous aimons toujours autant en gagner. »
Xavier Bouillon (Emakina Integrated): "Les créatifs prennent de plus en plus en compte l'aspect 'résultats' et c'est une bonne chose."

LA COURSE A LA GLOIRE
Il n’empêche, Mathew Prentice aligne les raisons qui feraient tomber les awards en disgrâce. Ceux-ci réveilleraient dans les âmes créatives les pires vanités, instaurant un esprit de compétition malsain au sein des agences, ces odieuses qui utilisent les prix comme carottes, pour faire monter la pression en interne. « Bien sûr, il est toujours agréable de recevoir un award, qui plus est de ses propres concurrents. C’est la récompense du boulot accompli… mais ce n’est pas un but en soit, » confie Jens Mortier. « C’est aux agences de faire en sorte que l’atmosphère reste saine. Les prix ne doivent pas tourner à l’obsession. La bonne attitude, c’est de ne jamais briefer au départ d’un award mais de partir de la situation de client. Et là, se montrer le plus innovant possible pour éventuellement inscrire puis remporter quelque chose. »
Pourtant, avec près de 250 prix raflés en neuf ans d’existence, Mortierbrigade pourrait apparaître comme une chasseresse de trophées. « Sincèrement, ce serait la plus mauvaise mentalité à suivre, négative pour notre travail, pour l’ambiance au sein de l’agence, pour notre image…, » réplique Jens Mortier. « La créativité pour la créativité, ça n’a pas de sens! L’objectif premier est d’être au service de nos clients. Par contre, il est vrai que nous sommes convaincus que la pub créative est beaucoup plus efficace que les campagnes banales. Du coup, nous l’encourageons! » Même son de cloche chez Xavier Bouillon: « Notre ligne de conduite, c’est d’effectuer un travail de qualité pour que l’annonceur se fasse remarquer et qu’il enregistre de bons résultats. Maintenant, les clients ont moins d’argent, donc moins de latitude et prennent de ce fait moins de risques. Dans ce contexte, vendre aux marketeers une idée créative devient plus difficile. Mais si nous y parvenons et, qu’en plus, cette idée est reconnue par le milieu, tant mieux! »

RECOMPENSER LES TRICHEURS
Si les awards souffrent de reproches, ce serait aussi à cause de la prolifération des scams-ads. Soit tous ces faux-projets montés sur mesure pour correspondre au mieux aux critères des concours et remporter la palme. « Why advertising awards are now for losers » affirme que ces escroqueries sont devenues la norme, en Asie entre autres. « C’est dommage, ce n’est pas le nature de notre métier. Surtout qu’une belle idée créative tire les autres vers le haut, » regrette Xavier Bouillon. « Ces pratiques nuisent à la crédibilité des compétitions, » résume Jens mortier. « Avec le CCB, nous essayons de les combattre, de contrôler qu’aucun travail trop léger, trop opportuniste ne soit présenté. Ce n’est malheureusement pas toujours évident. Parfois, l’on se demande pourquoi telle campagne a été primée; on va dire qu’il s’agit de la marge d’erreur… Mais je ne comprends pas quelle fierté peuvent en tirer celles qui agissent de la sorte, c’est du dopage! D’autant plus que la difficulté réside également dans le fait de convaincre le client d’oser plus de créativité. »

Par ailleurs, l’auteur questionne l’objectivité des jurys des compétitions. Dans le petit monde de la pub, nous aurions tendance à privilégier nos amis… « C’est un argument que j’entends chaque année, quand je ne fait pas partie des jurys, » témoigne Xavier Bouillon. « Or quand je participe, je ne ressens jamais de copinage. Si le président génère les discussions, il doit toujours se justifier auprès des autres membres. » Jens Mortier détaille: « Au niveau national, nous nous connaissons naturellement tous. Mais nous sommes aussi tous concurrents, nous ne nous faisons pas de cadeaux. » Sans oublier que les compétitions sont toutes différentes, la composition des jurys change en rassemblant des personnes aux divers profils. Si une campagne sort du lot partout, « ce n’est pas un hasard, c’est qu’elle le mérite. » En ce qui concerne le prix internationaux, « personne ne sait qui a fait quoi. » Puis, « nous ne jouons pas dans la même cour; l’amitié n’a pas sa place dans ce contexte. Par contre, il est vrai que les agences issues d’un même pays ont tendance à se serrer les coudes. »

OUBLIEE L’EFFICACITE
Non Monsieur Prentice, outre la créativité, l’efficacité est, elle aussi, de plus en plus prise en considération. Il suffit de penser aux cases qui affichent leurs statistiques en fin de présentation. Aux Effies aussi, qui se concentrent sur cette facette. Puis à Cannes où, dans certaines catégories, 30% de la note est basée sur les résultats obtenus. « Les awards doivent évoluer vers des jurys qui mélangent les annonceurs – qui jugent les KPI – et les créatifs, » rappelle Xavier Bouillon. « Jusqu’il y a peu, les créatifs s’éparpillaient peut-être en ne tenant compte que de l’inventivité. Désormais, les créas s’impliquent aussi davantage dans les chiffres. Je trouve que nous revenons à la base de notre profession, en récompensant des projets à la fois créatifs et soutenus par de bons résultats. Et ça, c’est un point positif. » Même réflexion pour Jens Mortier qui n’a rien contre le fait que les campagnes vantent également leurs chiffres. « C’est le meilleur moyen de prouver que créativité et efficience sont liés. Il ne faut toutefois pas oublier que les awards purement créatifs sont une jolie manière de convaincre les annonceurs plus classiques d’oser autre chose, de les inspirer. »
Rien à redire non plus au niveau des catégories taxées de « outdated ».
VENDRE UNE IDEE CREATIVE EST PLUS DIFFICILE. Xavier Bouillon

« Les award shows ont convenablement évolué, les classifications se sont multipliées au fur et à mesure, si bien que chaque expression publicitaire finit par se retrouver quelque part, » raconte Jens Mortier. « Même s’il ne faut pas se leurrer: il y a un certain opportunisme économique derrière cette adaptation... » A ce jeu, Cannes joue le moteur en introduisant de nouvelles catégories chaque année; les compétitions nationales suivent bien le mouvement. « Il est vrai que des catégories ex-maîtresses sont devenues assez faibles. Des agences vont jusqu’à les bouder et l’on se retrouve à devoir faire des choix par défaut pour élire le vainqueur, » témoigne Xavier Bouillon. « Mais tant que le média existe, on ne peut pas les supprimer. Aux jurys de rester vigilants pour éviter que certains calculateurs y inscrivent leurs projets, profitant ainsi d’une concurrence moindre … »

LE CREATIF, CETTE STAR
Si personne ne nie que le créatif a longtemps été mis au premier plan, un peu comme le chanteur d’un groupe qui attire les spotlights, cette période est révolue. N’en déplaise à Prentice qui, lui, conteste la starification de l’ « upper management ». La salle voit dorénavant les stratèges, la production, voire même le client, rejoindre le team créatif sur le podium. « Au final, c’est à la campagne que revient l’award. Il est donc logique de reconnaître toute la collaboration qui a mené à cet aboutissement, » admet Xavier Bouillon. Et Jens Mortier de compléter: « Il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’environnement de travail construite autour du créatif: chacun apporte sa petite pierre à l’édifice. A tel point que l’ensemble est bien plus important que quelques individus créatifs. »
Vu le prix de participation aux awards, cela coûte d’y emmener tout le monde. Si nos deux interlocuteurs condamnent le montant des inscriptions, Jens Mortier concède: « c’est une sorte d’investissement: l’on apprend énormément lors de telles compétitions. Nous y rencontrons du monde, des idées,… C’est un choix qu’il faut faire dans notre gestion. » De plus, « les compétitions sont nos campagnes de pub à nous, l’occasion de montrer ce que nous savons faire. » Quant à la fête, même si les sommes dépensées frôlent parfois l’indécence, elle est là pour marquer le coup.

Jens Mortier (Mortierbrigade): "Les awards aident à convaincre l'annonceur d'oser plus de créativité."
LONGUE VIE AUX COMPET’
En conclusion, l’auteur exhorte l’industrie au changement. Elle ne devrait sans prendre qu’à elle-même si elle ne séduit plus les jeunes. Pourtant, à en croire ce qui précède, les awards ne seraient pas si nuls que cela, sur notre marché en tout cas! Oui, ils souffrent des scams. Oui, ils ont fait quelques erreurs de parcours. Oui, ils présentent encore quelques défauts,… mais des atouts également.
« L’avantage des awards, c’est d’offrir une compilation des meilleurs travaux de l’année, le tout en une fois. Ce qui facilite les comparaisons et permet de voir l’avancement de la communication dans son ensemble, » argumente Xavier Bouillon. En outre, une agence décorée à plusieurs reprises connaîtra plus de facilités à attirer du talent. Autre avantage non-négligeable: « Les prix sont une façon de mettre en confiance l’annonceur, de récompenser son attitude audacieuse, » argue Jens Mortier. « Nous trouverons toujours qu’il y a trop peu d’annonceurs qui osent. Mais en Belgique, il faut savoir qu’une minorité d’entre-eux a le pouvoir de décision entre ses mains, du fait de la taille du marché. Une campagne assez visible coûte, il faut bien l’avouer, très cher. La créativité n’est pas une science exacte, même si il a déjà été prouvé que les idées les plus innovantes boostent l’efficacité. C’est évidemment plus facile de réaliser une campagne un peu plan-plan... Mais c’est le rôle de l’agence d’encourager l’annonceur à aller de plus en plus loin, petit à petit. Et les prix nous soutiennent dans cette démarche. »