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Outdoor / La créa dans l’affiche?

Si le média ne se porte pas trop mal en termes d’investissement, la création en affichage fait aujourd’hui cruellement défaut. Les annonceurs veulent de la promotion et les jeunes créatifs ne maîtrisent plus l’art de la concision. Il faut se renouveler en jouant avec les possibilités techniques et technologiques du produit. Et tenir compte de la place qu’occupe l’affiche dans l’espace public. Quatre directeurs de création au chevet du média.
·        Les annonceurs ont renoncé à faire de l’image par l’affichage
·        Le savoir-faire des créatifs se perd
·        Mais les possibilités de renouveler l’affiche existent: technique d’impression, 3D, design, éclairage, son

Le constat est amer mais inévitable: l’affichage a perdu ses lettres de noblesse. En tout cas en Belgique, en tout cas aujourd’hui. Les créatifs le reconnaissent unanimement et le palmarès des CCB Awards remis le 8 juin ne fait que corroborer cette idée. Niks, nada, rien de neuf, rien de frais, rien d’innovant ou quasi. Les agences elles—mêmes en sont conscientes. A peine une petite dizaine de cases avaient été inscrits.
Pourquoi ce support est-il à ce point négligé alors que le parc publicitaire dans la rue ne diminue pas vraiment, alors que l’impact sur le public reste important, alors que les régies s’efforcent d’offrir un ciblage de plus en plus pointu? Pourquoi un tel désintérêt au moment même où les arts visuels plaisent tellement. Les expos de photos font carton plein, la peinture se vend à des prix exorbitants. Le roman devient graphique, le design est omniprésent et s’épingle à qui mieux mieux sur Pinterest.

« Le problème, ce n’est pas l’affiche. C’est la pub », estime Phil Van Duynen, directeur de création de l'agence Adopt. «Le public n'en veut plus depuis qu'il peut choisir de l'éviter. Tous les média classiques en subissent l'effet. Pour le consommateur, si la pub n’est pas choisie, elle devient indésirable, intrusive. Dans le cas de l'affiche, de la pollution visuelle». C’est peut-être un peu court comme explication mais l’idée que la publicité et les annonceurs sont en train de tuer ce support revient régulièrement. « L’affiche est le support idéal pour les campagnes d’image », explique Grégory Ginterdaele, directeur créatif chez Air. « Mais les annonceurs ne font plus d’image. A l’heure de la course aux résultats immédiats, ils ne prennent pas le temps de construire l’image de la marque et préfèrent faire de l’activation ou de la promotion pour pousser les ventes. »
Le directeur créatif de McCann, Benoît Hilson, pousse dans le même sens: « L’affichage est le média parfait pour installer une image de marque. Ou pour la construire. Regardez par exemple comment Inno est parvenu à construire sa marque grâce à une campagne d’affichage simple, construite dans la durée et en même temps surprenante. Qu’on aime cette campagne ou pas, il faut lui reconnaître ces qualités ».

La faute aux créas
Pour certains, le savoir-faire en la matière est en train de disparaître. « En fait, les jeunes créatifs ne savent plus faire une affiche ou une annonce print », estime Benoît Hilson. « Ils maîtrisent très bien le digital qui leur donne du temps, de l’espace et de la liberté pour exprimer l’idée or une affiche doit être déchiffrée en 2 ou 3 secondes maximum. Et ce, sans images qui bougent et sans musique pour soutenir l’idée. »

« S’ils ne savent plus, qu’on leur apprenne…. », réagit Franck Sarfati, directeur de création de l'agence Sign. Mais leur apprendre quoi? Qu’est-ce qui fait la qualité d’une affiche? On nous parle de toute part de simplicité, de concision. « Mais aussi de la capacité de l’affiche à créer la surprise, l’étonnement», ajoute Franck Sarfati. «Le renouveau doit se faire et il est possible. Il faut que les créatifs apprennent à jouer avec les moyens mis à leurs dispositions: les différents types de papier, les techniques d’impression, le design, la typographie. On peut aussi y ajouter du son, de la 3D. Et jouer avec l’environnement. Je me souviens d’une campagne que j’ai vu dans le métro à Mexico. Elle était animée alors qu’il s’agissait simplement d’une succession d’affiches. Avec le mouvement du métro, elles devenaient film. Il y a 20 ans nous faisions une affiche avec un miroir. Un moyen de faire de l’interaction avant la lettre ».
Philippe Van Duynen: « L’affiche est un medium fugace qui exige de résumer une idée en une image et trois mots, voire moins. Là est toute la difficulté. J'ai l'impression que cet exercice se pratique de moins en moins. Pourtant, quand une idée tient sur une affiche, elle tiendra dans toutes ses exploitations, qu'elles soient virales, interactives, intégrées,... » Exploitable donc dans une bonne campagne intégrée.

Habitudes visuelles
Pour se ressourcer l’affiche commerciale doit s’adapter aux nouveaux comportements du consommateur, à ses habitudes visuelles, à ses goûts. Un exemple: la très simpliste campagne de Lego qui fait du Pixel Art. Des personnages de bandes dessinées ou dessins animés sont représentés par des petits blocs de Lego. Quelques blocs de couleur empilés et l’imagination complète pour permettre d’identifier aisément les personnages. « Imagine » dit le baseline. Les créatifs devront aller chercher l'inspiration partout, dans les images qui nous entourent, sur le net aussi. La photo d'art et de mode sont des sources intarissables mais aussi l'affichage culturel souvent plus pointu, les jeux videos, Instagram, Pinterest, etc.

Espace public
Autre élément particulier de l’affichage ou de l’outdoor en général est sa présence dans l’environnement. Une caractéristique à laquelle Philippe Van Duynen est particulièrement sensible: « La notion d'espace public est essentielle. L'affichage devrait se lier davantage à son contexte, participer à son environnement. Voyez par exemple ce que Lego (encore lui) a fait en transformant le côté d’un immeuble en immenses blocs de jeu. Une action qui a remporté un Grand Prix à Cannes. J’aime aussi beaucoup l’exemple des peintures Dulux avec des références couleur qui deviennent celles des arbres une fois en fleurs ». Pour le directeur créatif de Adopt, la prise en compte de l’environnement dans lequel se trouvera l’affiche est fondamentale pour éviter des interférences qui provoqueraient le rejet de la pub. « Une affiche générique Coca Cola fonctionne aussi bien dans un centre commercial que dans un quartier populaire. Si on la met Place des Vosges, sur fond du Canale Grande de Venise ou devant la Sagrada Familia, elle fait tache! Une affiche promo pour Lidl ou Colruyt fait tache partout... »

Technologie
La tendance dans les marchés développés est aux formats géants: un building entier, une bâche monumentale, des projections. Aujourd’hui, les possibilités qu’offrent les installations lumineuses sont énormes. Et des événements comme l’ouverture des Jeux Olympiques seront certainement l’occasion de visionner ce qui se fait de mieux en la matière. Plus près de chez nous, le dernier Festival de Lumière de Gand, qui se tient annuellement au début du mois de janvier a marqué les esprits et les pupilles.
Pour les formats plus modestes, Spielberg a donné une bonne vision de ce que deviendra l'affichage dans le film Minority Report. « C’est-à-dire une affiche ultra-personnalisée, en mouvement, en 3D, interactive », explique Phil Van Duyen.  «Même si aujourd'hui, la rue n'est pas forcément le meilleur endroit pour l'interactivité. Le public préfère sans doute l'intimité - et l'anonymat- pour s'y adonner ». Certes, mais un brin d’interactivité, aux arrêts de bus par exemple, est bien envisageable. Ce qu’a montré intelligemment Publicis au travers de la campagne Talking Ads pour Reporter Sans Frontières. En plaçant son smartphone devant le visage de Poutine, de Kadhafi ou de Ahmadinejad présents sur l’affiche ou le visuel dans la presse, on pouvait entendre le vrai discours de ces dictateurs. Une campagne qui a remporté un Gold, un Silver et un Bronze aux derniers CCB Awards. « En rue, l’affiche doit être ludique, participative et de préférence vraie, réelle», conclut Philippe Van Duyen.

Affiches fétiches

Phil Van Duyen: « J'en ai beaucoup, mais curieusement, c'est Benetton qui reste numéro 1 dans mon top of mind. Il y avait là matière à réflexion sur le rôle sociétal de l'affichage. Et aujourd'hui plus que jamais».
Franck Sarfati: « Une affiche fétiche? Celle du film Bonjour Tristesse de Otto Preminger. L’affiche est signée par Saul Bass, un très grand affichiste qui en a beaucoup fait pour le cinéma. Une source d’inspiration ». Et puis, en vrac et sans réfléchir, Franck Sarfati évoque aussi d’anciennes campagnes de Spa ou de Nike plus récemment. « Je me souviens aussi d’une campagne pour le journal anglais The Independent. L’encre de l’affiche s’effaçait de jour en jour pour montrer la disparition des news de qualité. Un rapport support/message très fort. »
Benoît Hilson: «Eurostar a fait il y a quelques années de solides campagnes d’affichage. Il y a eu aussi des affiches pour la Redoute très bien faites ou la campagne Beka».