Faire de la publicité, c’est co-créer et stimuler

Saskia Schatteman 1 - pub10-14

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Le jury de l’Advertiser Personality of the Year a sacré Saskia Schatteman lauréate 2014. Saskia a déjà une impressionnante carrière derrière elle et est depuis 2011 chief marketing officer chez Microsoft Belgique & Luxembourg. Le jury l’a choisie pour son remarquable profil professionnel et  parce que sa personnalité en fait une solide ambassadrice du métier d’annonceur.  Au cours de sa carrière, Saskia Schatteman a aussi bien fait ses preuves sur le marché fmcg que dans le domaine des services, le secteur public ou encore le marché des technologies et du software B2B. Hormis le fait que dans toutes ces fonctions, Saskia a systématiquement réussi à marquer de son empreinte la manière de travailler, elle a aussi fait montre d’une forte implication, aussi bien vis-à-vis des marques pour lesquelles elle a travaillé que pour le secteur des annonceurs dans son ensemble. Cela s’est tout particulièrement vérifié dans le cadre de sa fonction de membre du conseil d’administration de l’UBA ainsi que par le fait qu’elle assure également la formation de jeunes recrues du secteur, que ce soit chez Vlerick, Stima ou Microsoft. Saskia nous a reçus chez elle, à Muizen, une semaine après le décès de son père. Elle y a entièrement rénové l’ancienne ferme de son grand-père, implantée dans un magnifique domaine naturel. Comment imaginer contraste plus grand en découvrant comment cette femme super-dynamique, travaillant dans une entreprise de haute technologie, vit dans un environnement aussi sobre et modeste? C’était tout simplement émouvant. Sans oublier le fait qu’après avoir vécu tant d’expériences de haut niveau à l’étranger, elle a résolument opté pour l’environnement familial.

IN THE MOMENT

Quels sont à vos yeux les « fondamentaux » du métier d’annonceur? A quels critères un annonceur doit-il répondre? Un annonceur doit certes toujours partir de son groupe-cible mais de nos jours, les gens ont tellement d’autres possibilités de faire parler d’eux et de faire part de leur avis qu’en tant qu’annonceur, vous devez être encore bien davantage « in touch ». Il est particulièrement important de savoir ce que vous devez dire mais aussi de décider comment le dire. Deuxièmement, vous devez parfaitement maîtriser les nouveaux outils numériques. Vous devez connaître la technologie pour toucher le public. Vous devez également déterminer comment participer à la conversation en ligne. Dans ce domaine aussi, l’advertising a énormément évolué. Auparavant, nous pouvions choisir le message que nous lancions à tel moment via tel canal au groupe-cible visé. Aujourd’hui, lorsque des gens affirment sur des médias sociaux qu’une marque ou un produit est mauvais et que vous venez tout juste de lancer une campagne pour démontrer à quel point cette marque est formidable, vous ne pouvez pas faire comme si ce message des consommateurs n’existait pas. Vous devez y réagir et apprendre à le gérer. De nos jours, vous devez être « in the moment ».   Comment gérez-vous tous ces aspects? C’est un immense défi. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent que l’on n’a pas besoin de plan stratégique à long terme. Nous avons une vision de ce que nous souhaitons atteindre et via quel contenu nous escomptons le faire. Nous disposons aussi d’un plan de communication spécifique définissant ce que nous devons faire à tel ou tel moment et via quels canaux. Par contre, nous suivons simultanément en permanence tout ce qui se passe afin de pouvoir réagir dans l’instant et adapter éventuellement notre plan. Nous avons par ailleurs du contenu prêt à être lancé pour réagir à certaines actions, par exemple lorsqu’il y a une grève ou d’importants bouchons. Il y a bien évidemment aussi des choses qui se passent dans l’instant et que vous ne pouvez pas anticiper. Il faut néanmoins les intégrer à votre stratégie et vous avez donc tout d’abord besoin d’une bonne stratégie. Vous devez ensuite tout analyser pour savoir ce qui se passe exactement et enfin, vous devez pouvoir compter sur des communicants capables de proposer la réponse adéquate. Il faut donc être à la fois proactifs et réactifs. Pour moi, il s’agit véritablement d’un principe « et/et ». Je suis encore de l’ancienne école, ce qui fait qu’en plus de cette approche instantanée et de toutes les nouvelles technologies, j’accorde encore une attention toute particulière aux fondamentaux d’autrefois. Ceux-ci restent à mes yeux toujours aussi pertinents qu’avant. Si vous n’en tenez pas compte, vous risquez de vous noyer dans un océan de nouvelles possibilités.

UN ANNONCEUR EST UN CATALYSEUR

Ces fondamentaux sont-ils en train d’être oubliés par les jeunes annonceurs? Je crains qu’en Belgique, à l’heure actuelle, on investisse moins dans la formation des jeunes talents. Ceux-ci ont en outre toujours moins d’opportunités car les véritables décisions stratégiques se prennent de plus en plus au niveau des sièges centraux établis à l’étranger. Lorsque je me souviens de ma formation, je crains que cela ne soit pratiquement plus possible actuellement en Belgique, à quelques exceptions près. Les jeunes marketeurs ou annonceurs doivent actuellement être bien plus mobiles et prêts à se rendre à l’étranger pour engranger des expériences intéressantes, aussi bien au siège central que sur le terrain. De nos jours, les jeunes sont heureusement de plus en plus mobiles mais ils bénéficient de moins d’opportunités. À l’heure actuelle, tout doit être très rapidement rentable et les jeunes doivent tenir compte de tellement de « hypes » que j’ai l’impression qu’ils en oublient souvent les fondamentaux. Ils agissent sans se poser les questions suivantes: « à quoi tout cela s’intègre-t-il?  Quel est le grand tout? » Faut-il se réjouir de cette multitude de tweets qui ne concernent en fait pas notre business? Est-ce que cela contribue à la construction d’une marque? Nous avons donc aussi besoin de ce backbone et j’espère par conséquent que nous allons continuer à investir dans ce domaine, quelles que soient les difficultés. C’est en tout cas ce que je fais personnellement et j’en appelle ici aux annonceurs de ma génération pour qu’ils fassent de même. Je donne cours à Vlerick, au Stima et aux personnes de mon équipe parce que j’estime cela essentiel. Nous devons donner aux jeunes suffisamment d’opportunités et je considère qu’il s’agit là d’un défi pour la Belgique.     Saskia Schatteman: "Je pense qu'il faut d'abord élaborer les grandes lignes - avec ses tripes - pour ensuite bien surveiller les résultats et procéder aux adaptations éventuellement nécessaires."

LES TRIPES ET LES DONNÉES

  Comment calculez-vous le ROI de la communication? Dans ce domaine, travailler via les médias numériques représente un énorme progrès. On peut bien mieux mesurer le retour sur investissement d’une campagne, surtout dans le secteur B2B. Nous disposons d’un excellent système pour vérifier ce que rapporte une campagne en termes de clics, de renvois vers le site, de génération de leads, de pipelines ou encore de conclusion d’un deal. Il n’a jamais été aussi simple de tester du contenu, ce qui permet d’être nettement plus souple. Dans le B2C, c’est par contre beaucoup plus difficile et dans ce domaine, en Belgique, nous n’allons guère plus loin que la mesure des « touchpoints » et de « l’awareness ». Mais les gens ont-ils ensuite acheté quelque chose chez nous? Bien difficile à vérifier! J’utilise volontiers aussi bien mes tripes que les résultats des mesures. Je pense en effet qu’il faut d’abord élaborer les grandes lignes « avec ses tripes » pour ensuite bien surveiller les résultats et procéder aux adaptations éventuellement nécessaires. Comme je l’ai déjà dit, il est formidable que l’on puisse tout d’abord tester aussi facilement avant de lancer vraiment une campagne. Les conséquences sont moins lourdes si l’on a raté quelque chose. Cela nous permet donc d’être beaucoup plus fluide et autorise davantage d’ « essais & erreurs ».

J'UTILISE AUSSI BIEN MES TRIPES QUE LES RÉSULTATS MESURÉS

  À quelles caractéristiques un annonceur doit-il répondre pour bien exercer son métier? Par définition, un annonceur doit être un excellent communicant. Il doit maîtriser parfaitement les mots et les images et en percevoir tous les sens. Il doit aussi être capable de collaborer car un annonceur est avant tout le catalyseur de tout ce qui se passe autour de lui, aussi bien au sein de son entreprise qu’à l’extérieur. Les meilleures campagnes sont d’ailleurs celles qui bénéficient d’une excellente collaboration entre l’annonceur et l’agence de communication. Il faut aussi qu’un annonceur affiche un bel esprit d’équipe. Il doit savoir s’entourer de personnes gérant d’autres compétences. L’analyse de données va par exemple pratiquement à l’encontre de ce que fait un annonceur. Celui-ci est en effet plus créatif et plus libre alors que pour analyser des données, il faut se montrer très strict. Vous devez donc soit développer ce « muscle » vous-même, soit vous entourer de personnes maîtrisant cet aspect des choses et leur permettre de participer au débat d’idées, de façon à trouver un bon équilibre entre ce que vous disent vos tripes et ce que vous racontent les chiffres.   Saskia Schatteman: "Quand je vois comment certaines agences fonctionnent, je pense parfois: mais bon sang, nous sommes quand même en 2014!"

EMPOWER PEOPLE

Quelle est votre place au sein de l’organisation Microsoft? Quel est le rapport entre marketing et advertising? Et le CEO s’occupe-t-il également de marketing? Nous disposons au niveau international d’un CMO siégeant au comité de direction, ce qui est déjà une bonne chose en soi. Je constate toutefois qu’actuellement, cette fonction semble de plus en plus éclipsée par d’autres. Je dois avouer que je n’ai pratiquement jamais entendu notre CEO parler d’advertising. Il en perçoit parfaitement tout l’intérêt mais ne s’en occupe pas. Nous ne sommes donc pas vraiment une société de marketing. Chez nous, ce sont encore et toujours les produits qui détiennent le pouvoir. On rencontre par conséquent des situations où les équipes « produits » conçoivent des choses qu’elles viennent ensuite seulement proposer au marketing et à l’advertising en leur demandant de présenter tout cela au groupe-cible dans un bel emballage. Au début, je trouvais cela bizarre et pas vraiment agréable. Entre-temps, j’ai appris qu’il s’agissait là de la manière dont fonctionnait notre entreprise et je m’en accommode du mieux que je peux.

NOS CANAUX DOIVENT TOUJOURS RESTER OUVERTS

  La communication entre production et marketing se fait-elle à sens unique? Il y a bel et bien communication dans les deux sens mais pas tellement via l’advertising. On constate par ailleurs une évolution dans ce domaine. Windows 8 a été développé en secret avant d’être lancé. Windows 10 est par contre actuellement lancé sur le marché en tant que version bèta, à titre d’essai, et toutes les personnes qui souhaitent le tester peuvent le faire et émettre des commentaires. Cela ne passe toutefois pas par nous, c’est une relation directe. Nous communiquons certes à ce sujet mais le contenu et le feedback arrivent directement chez les équipes responsables des produits. Celles-ci sont désormais devenues très sensibles au feedback du marché et nous les aidons d’ailleurs sur ce point. Nous pouvons ensuite aussi utiliser ce feedback au niveau de notre communication. De nos jours, on peut lancer quelque chose de suffisamment bon pour ensuite l’améliorer à partir des réactions du marché. C’est ce que nous faisons à présent avec Windows 10 et il s’agit là d’une approche nettement plus vaste que celle induite par une étude de marché. On lance le produit dans des groupes d’utilisateurs et l’advertising peut également apporter une certaine aide. Le marché doit en effet savoir que nous sommes en train de développer ce produit et que cette possibilité existe. C’est cela aussi la communication. C’est pourquoi je considère que de nos jours, l’advertising n’est plus une discipline purement et uniquement destinée à communiquer sur quelque chose. Non, il s’agit de co-créer et de stimuler. Et de générer de « l’amour » pour votre marque, ce qui incite les gens à collaborer et à réagir. Saskia Schatteman: "Les jeunes marketeurs ou annonceurs doivent actuellement être bien plus mobiles et prêts à se rendre à l'étranger pour engranger des expériences intéressantes."   Quelle est l’importance de MVO pour Microsoft? Nous sommes une société affichant de très fortes valeurs. Notre mission et notre vision sont les suivantes: « Empower people to do more so that they can be more ». On les ressent dans toute l’entreprise, dans tout ce que nous faisons. Vraiment! Quoi que nous fassions, nous sommes en permanence contrôlés pour voir si tout est bien en ordre. Nous consentons énormément d’efforts en matière CSR et nous consacrons des millions aux formations pour les enfants. Je vais par exemple personnellement participer au programme « Skills for Africa » qui a pour but de mettre les compétences de notre personnel au service des personnes vivant dans d’autres pays. Je vais par exemple bientôt me rendre à Casablanca pour contribuer à la mise en place d’un projet destiné à de jeunes femmes souhaitant lancer leur propre affaire, le tout étant sponsorisé par Microsoft. Je vais les aider à élaborer leur business plan, à rechercher les technologies nécessaires, à créer un plan marketing, etc. En Belgique, nous investissons également dans la formation « Internet en toute sécurité ». Chaque année, notre personnel se propose bénévolement pour apprendre aux enfants des écoles comment ils peuvent utiliser Internet en toute sécurité. Nous faisons également des dons logiciels – les asbl reçoivent du software gratuit de notre part – sans oublier les « Microsoft Innovations Centres » où nous assurons la formation de start-ups. Je trouve très agréable de travailler dans une entreprise accordant autant d’importance à toutes ces valeurs.

LES JEUNES ONT MOINS D'OPPORTUNITÉS

Que trouvez-vous de particulièrement agréable et désagréable dans le métier d’annonceur? Ce que j’aime, ce sont tous ces nouveaux médias et toutes ces opportunités « touchpoints ». Et je ne pense pas uniquement aux médias car chez nous, cela va jusqu’au secteur retail: owned media, paid media, earned media, social media, advertising, word of mouth, tout ce que les gens disent de la marque. C’est vraiment super excitant. Il y a chaque jour quelque chose de nouveau. Je trouve très chouette d’être au milieu de tout cela et de pouvoir y contribuer. Je teste l’ensemble et j’en supporte les conséquences, même lorsque cela ne marche pas. Ce que je trouve moins bien, c’est de n’être qu’un élément dans un immense « tout » et donc de ne pas pouvoir contribuer à la détermination de la stratégie car pour cela, il faut aller aux États-Unis. C’est évidemment très personnel. J’aimerais beaucoup être aux commandes mais pour cela, je dois aller en Amérique et cela n’est actuellement pas dans mes projets, pour des raisons strictement familiales. Dans mon monde idéal, j’aimerais travailler dans un grand centre de décision implanté en Belgique. C’est évidemment très égoïste de ma part mais je regrette le fait que nous disposions de moins en moins de centres de décision dans notre pays. Ceci étant, le monde évolue et mieux vaut s’y adapter …   Photos: Luc Hilderson   Vous trouverez de plus amples informations sur « l’Advertiser Personality of the Year » sur www.apoy.be.     Qui est Saskia Schatteman? Saskia Schatteman dirige depuis 2001 le marketing de Microsoft Belgique & Luxembourg. Elle s’est forgée un impressionnant palmarès, notamment au sein des filiales Procter & Gamble de Londres et Bruxelles, chez De Lijn, où elle a dirigé le département marketing et vente ainsi que chez Telenet où elle était responsable du secteur des clients résidentiels et des petites entreprises. Elle a aussi été élue Marketeer de l’année en 2008. Saskia Schatteman a débuté sa carrière en 1990 à l’Agence Belge pour le Commerce Extérieur à Lille et Paris, où elle a mené une étude consacrée aux opportunités business offertes aux entreprises belges actives en France. Entre 1992 et 1994, elle sera product manager chez Kraft Jacobs Suchard (actuellement Mondelez) avant de remplir, de 1994 à 2005, diverses fonctions au sein de P&G Belgique, Angleterre et Irlande en qualité d’assistant brand manager pour Ariel, brand manager pour Always, Alldays & Tampax, new ventures brand manager, innovation manager fine fragrances, category leader beautycare, team leader household paper ou encore corporate marketing manager. Elle devient directeur commercial de De Lijn en 2005 avant de passer chez Telenet en 2009 en tant que vice president residential markets & small business. Elle a aussi été, de 2010 à 2011, partenaire du cabinet de consultance FV Management avant d’être chargée en 2011 de toutes les activités de marketing de Microsoft Belgique et Luxembourg.     Les bureaux Microsoft   Au niveau international, Microsoft collabore avec des « roster agencies » pour les grandes campagnes médiatiques. En Belgique, la société These Days Wunderman a contribué à « l’amplification » des campagnes et BBDO à tout ce qui touche à « l’experience marketing ». C’est Aegis quis’occupe des médias. En termes de répartition du budget de communication, 35% vont à « l’experience marketing », 25% aux médias traditionnels, 30% aux médias numériques et 10% aux « specials ».     Le jury APOY Le jury de l'Advertiser Personality of the Year était composé cette année des personnes suivantes: Chris Van Roey (UBA, président) Brice Le Blévennec (Emakina Group) Harry Demey (LDV United) Marc Frederix (Loterie Nationale) Stéphanie Van Rossum (P&G) Isabelle Ortegate (IPM) Dirk Schyvinck (Febelmag) Mark Anthierens (PUB)