{INTERVIEW} ARIF HAQ (TWENTYFIRSTCENTURYBRAND) : « RENDEZ LA CRÉATIVITÉ ENNUYEUSE »

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Fait intéressant du jour : Arif Haq, director of brand learning chez TwentyFirstCenturyBrand et maître de la créativité chez D&AD, est une bénédiction pour Heineken, où il est encore loué pour ses idées novatrices.

Autre fait à noter : Arif Haq arrive en Belgique, grâce à Creative Belgium. Pour ceux qui ont apprécié la keynote d'Orlando Wood lors de l'UBA Media Date, c'est une bonne nouvelle. Wood nous a montré l'efficacité prouvée de la créativité en communication. Mais comment y parvenir exactement ? La réponse sera donnée le 17 octobre à Creativity Decoded,Haq présentera sa fameuse « Creative Ladder », un outil d'évaluation qu'il a développé pour Heineken et qui est désormais utilisé par les plus grandes marques mondiales.

Pour ceux qui hésitent encore à s’inscrire, lisez cet entretien que PUB a réalisé avec Arif Haq sur le pouvoir de la créativité.

QU’ENTENDEZ-VOUS PAR CRÉATIVITÉ ?

Arif Haq: « Dans mon travail sur la créativité professionnelle, je fais la distinction entre deux catégories : la créativité appliquée et la créativité opérationnelle. La créativité appliquée est la forme la plus évidente, celle que nous associons souvent à un copy soigné ou à un beau design. C’est le domaine des directeurs artistiques, des D&AD Awards et du goût créatif raffiné.

La créativité opérationnelle, en revanche, est plus comportementale, liée à une manière artistique de penser. Elle concerne l’honnêteté, la conscience de soi et la volonté d’échouer souvent pour finalement découvrir ce qui fonctionne vraiment. Ce comportement est courant chez des personnes qui ne sont pas toujours perçues comme « créatives ». Prenez par exemple des dirigeants d’entreprise qui prennent des décisions cruciales à long terme avec des informations très incomplètes – quoi de plus créatif que cela ? Depuis dix ans, je forme et conseille des personnes dans ces deux formes de créativité, et les deux sont tout aussi fascinantes. »

QUELLES ERREURS FRÉQUENTES LES MARQUES COMMETTENT-ELLES LORSQU’ELLES TENTENT D’IMPLÉMENTER LA CRÉATIVITÉ À GRANDE ÉCHELLE ?

Arif Haq: « Une erreur commune des marques est de se concentrer sur le travail « sexy » et « inspirant », tout en négligeant l’aspect « ennuyeux » et administratif. Promouvoir la créativité avec des études de cas impressionnantes ou des conférenciers externes est utile dans de petites équipes, mais pour de grandes organisations, c’est le travail « ennuyeux » qui permet de faire évoluer la créativité. Des éléments comme : quel est notre langage commun pour la créativité ? Comment organisons-nous les réunions de prise de décision créative ? Quels sont les critères pour juger une idée bonne ou mauvaise ? Ces éléments peuvent paraître ennuyeux, mais c’est précisément eux qui permettent à la créativité de s’étendre à grande échelle.

Sans ces systèmes en place, une équipe peut parfois produire un travail brillant grâce à quelques individus exceptionnels, mais ne pourra pas reproduire ce succès de manière cohérente. Il y a une citation brillante de l'auteure de science-fiction Octavia E. Butler que je cite souvent : « Oubliez l’inspiration. L’habitude est plus fiable. » Mon objectif est donc de rendre la créativité plus « ennuyeuse », c’est-à-dire répétable, prévisible et évolutive. »

QUEL ÉTAT D'ESPRIT UN ANNONCEUR DOIT-IL AVOIR POUR CRÉER DE BONNES CAMPAGNES AVEC UNE AGENCE ?

Arif Haq: « Le terme « partenariat créatif » devrait disparaître – ce n’est pas un partenariat. Une des parties paie littéralement l’autre, donc il est clair où se trouve le rapport de force. Cette relation implique que le client doit créer un environnement de sécurité psychologique, où les talents créatifs sont motivés et nourris. Cela signifie également rédiger de bons briefings, donner du temps aux équipes créatives et fournir des retours de qualité avec empathie pour le processus créatif. Certains clients comprennent cela, mais beaucoup montrent par leur comportement qu’ils ne respectent pas vraiment leurs équipes créatives. »

 

PEUT-ON CALCULER LE ROI DE LA CRÉATIVITÉ ?

Arif Haq: « C’est une grande question ! Voici plusieurs réponses :

  • Laissez les experts répondre : Je laisse cela aux spécialistes comme Les Binet, Peter Field ou Grace Kite. Je vous recommande de consulter leurs travaux.
  • Inverser la question : Quelles sont les conséquences de l’absence de créativité ? Selon une étude récente, les campagnes peu créatives coûtent environ 10 millions de livres aux entreprises.
  • Exemple pratique : L’un des meilleurs exemples est la campagne « Diamond Shreddies » au Canada en 2008, qui a fait augmenter la part de marché de 18 %.
  • Ne pas être trop créatif : L’industriel Raymond Loewy appelait cela le principe MAYA : le plus avancé possible, mais encore acceptable. Les marques doivent équilibrer la nouveauté et la familiarité. »

COMMENT UNE AGENCE CRÉATIVE PEUT-ELLE SE DÉMARQUER EN 2024 ?

Arif Haq: « C’est difficile. La consolidation par les grands groupes laisse penser que les agences sont peu différenciées. Mais voici quelques idées pour se distinguer :

  • Évitez les vidéos sur votre page d’accueil : Optez plutôt pour un graphique ou un diagramme. Montrez que vous savez associer créativité et données.
  • Apprenez des meilleurs : Nils Leonard d’Uncommon a dit un jour : « Arrêtez de demander l’autorisation aux autres pour réaliser vos rêves. » Uncommon crée son propre financement pour produire ses idées.
  • Ayez un point de vue clair : Je dis souvent aux agences : si vous n’avez pas de point de vue, à quoi servez-vous ?
  • Ne demandez jamais à un client d’être courageux : Les marketeurs ne sont pas des pompiers. Il est de la responsabilité de l'agence d'expliquer ses idées de manière logique pour que le client voie l’opportunité plutôt que le risque. »
Photo : Marc-Sethi