Inventer le média de demain
48 heures pour inventer le média de demain, c’est le défi un peu fou que lançait Romain Saillet aux journalistes, développeurs, designers et entrepreneurs ces 24, 25 et 26 mai à Bruxelles. Retour sur la première Medialab Session en Belgique.
L’idée de la Medialab Session vient de Nantes. On la doit à Romain Saillet, passionné de nouvelles technologies et de nouveaux médias, producteur/journaliste (My Web Generation), fondateur de Lahoda Prod et bien entendu de la Medialab Session. Le principe de cette dernière: mutualiser les compétences de journalistes, développeurs, designers et entrepreneurs pour qu’ils créent ensemble, en 48 heures, des projets médias innovants. Projets qui sont évalués, au terme du weekend, par un jury d’experts. Une espèce de Startup Weekend, donc, mais centré sur une thématique précise.
"UN PRODUIT D'ÉDITION RESTE UN PRODUIT"
BENOIT LIPS
Benoit Lips (Evolene): « Sur le web, la plupart des éditeurs n’ont opéré qu’une simple transposition d’un contenu écrit pour un support papier. Ce modèle a ses limites. »
À l’heure où les médias traditionnels connaissent une crise profonde et peinent à se réinventer, la formule est plutôt séduisante. Ce weekend-là, à Bruxelles, journalistes et communicants avaient d’ailleurs répondu à l’appel. « Il s’agit surtout de réfléchir et d’expérimenter », précise Romain Saillet: l’objectif n’est pas tant de « révolutionner les médias » en 48 h que de prendre conscience de l’énorme potentiel d’innovation du secteur et de l’explorer, en groupe. « Je crois beaucoup au pendant », poursuit-il. Un changement profond de la culture des médias est en train de s’opérer et la Medialab Session a pour ambition d’amener les participants à une réflexion sur cette transformation; une question trop peu soulevée à son avis.
TROIS PILIERS À RESPECTER
Pour les participants, il s’agira d’articuler la réflexion autour de 3 piliers. La ligne éditoriale: quelle « histoire » raconter, sur quel(s) support(s), avec quel format d’écriture? « Sur le web, la plupart des éditeurs n’ont opéré qu’une simple transposition d’un contenu écrit pour un support papier. Ce modèle a ses limites, » commente Benoit Lips, Consultant Digital Strategies (Evolene) et parrain de l’édition bruxelloise. « Internet a cette spécificité de pouvoir exploiter d’autres formats de restitution de l’information. Une possibilité est, par exemple, d’imaginer un traitement vidéo de l’info.» Une piste justement explorée par Patrick Séverin avec son projet L’Autre Liège.
Le business model: un aspect trop souvent négligé, mais pourtant essentiel. « La question du modèle économique doit être envisagée suffisamment tôt dans le processus de réflexion, car elle touche à l’indépendance même du média, à sa dynamique,» avance Romain Saillet. « Indépendamment du contenu et de la vocation que l’on veut y mettre, un produit d'édition reste un produit,» rappelle Benoit Lips. Après une masterclass sur le sujet, les candidats se frotteront au Business Model Canvas. La gestion de la communauté: le « lecteur » est aujourd’hui devenu contributeur, acteur. Que lui apporte-t-on? Comment l’intégrer au média? Quelle sera sa place? Autant de questions transversales essentielles à la réflexion sur les médias de demain.
L’art du Business Model Canvas par l’équipe du projet Union
La MEDIALAB SESSION DE BRUXELLES
Hasard du calendrier, cette première édition de la Medialab Session à Bruxelles coïncidait avec le Startup Weekend. Résultat: sur les 13 participants, très peu de développeurs et de designers. L’exercice a donc été adapté en conséquence: au lieu d’attendre des candidats un prototype avancé à la fin du weekend, l’accent a été mis sur le storytelling et la gestion de la communauté. La session débute le vendredi soir par quelques conseils de Damien Van Achter, digital sherpa à la tête de Nest’Up et l’un des mentors, et de Benoit Lips. Après une séance de brainstorming visant à élargir au maximum les idées des participants aux possibilités en matière d’innovation média, les porteurs de projet présentent leur idée. 5 propositions sont retenues.
Les équipes se forment. Elles travailleront intensément tout le weekend afin de présenter leur projet le dimanche soir à un jury d’experts issus du monde des nouveaux médias et de l’entreprise. Pour les accompagner, des mentors – digital sherpa, professionnels actifs dans les médias numériques, consultants en storytelling, innovation, développement de nouveaux modèles économiques… – qui partageront leur expertise, bousculeront les candidats, les feront douter, repenser leur projet… « Le rôle du mentor, c’est avant tout d'aider les entrepreneurs à se poser les bonnes questions,» résume Damien Van Achter. « Je pense qu’il est fondamental de faire en sorte que la réponse vienne d’eux, d’autant que je n'ai pas forcément la réponse aux questions que je leur pose.»
Leur avis sur la Medialab Session
Sacha Waedemon: « La Medialab Session m’a permis de faire des rencontres intéressantes, de voir un peu plus clair sur les attentes des investisseurs et de réaliser à quel point il était important de bien préparer son pitch (rires). Et puis, ça m’a conforté dans l’idée que le projet était réalisable, même si les coachs m’ont bien fait comprendre qu’il était ambitieux. La Medialab Session et les autres projets m’ont aidé à voir plus loin. J’entrevois d’ailleurs la possibilité d’une collaboration avec le projet Press for More, qui partage les principes de tagging et d’algorithme. Et bien entendu, la superbe collaboration avec Alexandra va se poursuivre. Enfin, je trouve ça génial que tout ça se soit passé dans le cadre de mon école. »
Alexandra Römer: « J’ai rencontré des gens qui, à mon avis, ont deux cerveaux supplémentaires tant j’en ai appris à tous les niveaux. Je suis ravie, après autant d’années de métier, de ressentir une telle joie, une telle fierté d’appartenir à un nouveau projet, même si je le reconnais, ma route est faite de ce genre de défis. Quelle belle opportunité. Et quelle fierté de travailler aux côtés de Sacha, qui m’a fait profiter de ses idées modernes, de ses connaissances des nouveaux médias et de son énergie incontrôlable. J’appelle cela le choc des générations. »
S.Z.
"AIDER LES ENTREPRISES À SE POSER LES BONNES QUESTIONS"
DAMIEN VAN ACHTER
AND THE WINNER IS …
Vient enfin l’épreuve du jury, que remporte Target’Art. Ce projet, porté par Sacha Langlois, 22 ans, étudiant à l’ECS, avec le concours d’Alexandra Römer, attachée de presse et responsable des relations publiques chez Télé Bruxelles, vise à créer des liens entre les consommateurs d’événements culturels à l’aide d’une plateforme web et d’une application mobile référençant ces événements et permettant aux utilisateurs de les commenter et d’interagir. En récompense, Target’Art bénéficiera d’un accompagnement par la plateforme de crowdfunding KissKissBankBank.
"IL S’AGIT SURTOUT DE RÉFLÉCHIR ET D’EXPÉRIMENTER"
ROMAIN SAILLET
Romain Saillet (Medialab Session): « La Medialab Session permet en 48 heures de gagner 6 mois de travail. »
Quant aux participants qui n’ont pas gagné la Medialab Session, ils n’ont pas pour autant perdu leur temps: ils repartent avec une idée éprouvée, l’avis de professionnels des médias, un réseau, des questions – parfois des réponses – par rapport à la réflexion menée pendant le weekend et des outils pour continuer à expérimenter. «La Medialab Session permet en 48 heures de gagner 6 mois de travail, » conclut Romain Saillet. À la fin du weekend, tous étaient déterminés à faire aboutir leur projet.
Des initiatives telles que la Medialab Session ont le mérite de fournir de véritables laboratoires de recherche d'où émergera peut-être le média de demain, ou, en tous cas, de tout mettre en œuvre pour défricher le terrain. Et si l'idée du siècle n'émerge pas de cette édition, elle le fera peut-être lors de la prochaine.
De l’importance du digital
Consciente de l’importance des nouveaux médias, la European Communication School (ECS) – qui accueillait la Medialab Session de Bruxelles – a mis en place voici trois ans un Master en Communication Digitale, un programme d’un an associant cours théoriques (1 jour/sem.) et stages en entreprise (4 jours/sem.). Et pour les étudiants, bien souvent, ces stages débouchent sur un contrat; les profils présentant un tel niveau d’expertise étant encore (trop) rares. L’objectif: préparer les étudiants au travail en agence média, dans la consultance digitale, en agence créative spécialisée ou dans les départements digitaux d’agences créatives. « Aujourd’hui, les nouveaux médias et le digital, au sens large, sont au cœur de toutes les réflexions stratégiques,» rappelle Barbara Claeys, directrice de l’établissement. « Un nouvel écosystème, avec de nouvelles règles, est en train de se dessiner et il est essentiel d’en comprendre les mécanismes.»
La formation balaie donc tous les métiers du digital et met l’accent sur les fondamentaux à maîtriser: Google (avec passage pendant le cursus de l’examen Google pour devenir un spécialiste agréé), Facebook comme site communautaire, mais aussi – et surtout – comme outil publicitaire, YouTube, les possibilités offertes par le HTML5, etc. Le tout avec une approche très stratégique: le but étant, pour les étudiants, d’être capables, au terme du cursus, de construire un raisonnement stratégique par rapport à un plan digital et de pouvoir se positionner comme un(e) expert(e) vis-à-vis d’un sujet très spécifique (p. ex. gestion des crises sur les médias sociaux, SEO des pages Facebook) présenté, à la fin de l’année, à un jury de professionnels.
Barbara Claeys (ECS): « On travaille avec des experts qui évoluent avec le média et constituent un véritable baromètre du marché. »
Une approche stratégique d’autant plus nécessaire que si les étudiants d’aujourd’hui utilisent ces médias tous les jours, ils ne se rendent pas forcément compte de l’importance de la réflexion, en amont, pour pouvoir les exploiter intelligemment à profit commercial. « Ils ont beau avoir un smartphone au bout des doigts en permanence, utiliser Facebook et Twitter, l’intelligence stratégique par rapport à ces outils n’y est pas forcément encore, » observe Philippe Deltenre, Digital Strategist chez Mediabrands et coordinateur pédagogique du programme. Les atouts de la formation: des cours dispensés uniquement par des professionnels de la communication en exercice et une grande flexibilité du programme par rapport aux évolutions du marché. « On travaille avec des experts qui évoluent avec le média et constituent un véritable baromètre du marché. Si on observe l’émergence d’une thématique particulière, on adapte immédiatement les cours en conséquence,» explique Barbara Claeys.