Je ne suis pas le papa de la famille RTL

Media / Mon pub

Voilà douze années que Philippe Delusinne a tourné le dos à la pub pour prendre les manettes de RTL Belgique. Une rupture par rapport au management traditionnel de ces médias audiovisuels ancrés sur notre marché depuis quelques décennies. L'homme se dit passionné par son métier, au point de résister à la tentation d'aller voir ailleurs.

 

Avec ses douze années d'expérience dans le métier de l'audiovisuel, le CEO de RTL Belgique est comme un poisson dans l'eau de son aquarium, entre strass et paillettes politico-médiatiques. Depuis novembre 2011, Philippe Delusinne est seul à la barre de la filiale belge du premier groupe audiovisuel européen. Ne refusant pas les mondanités, l'homme se positionne comme un véritable chef d'entreprise, marquant celle-ci de son empreinte sociale et profitant allégrement du strapontin qu'elle lui offre. Même s'il se félicite de connaître la plupart des « visages » travaillant sous son toit, il réfute clairement le terme de « famille » qui colle à l'enseigne RTL en Belgique. Très organisé, ce Flamand francophile est bien conscient que cette année 2014 est stratégiquement importante pour son groupe, présent dans toute l'Europe, sauf dans la partie nord du pays.

Etre le manager de RTL, c'est le job idéal?
Quand l'actualité des dernières semaines m'envisageait sous d'autres cieux (ndlr. à la tête de Belgacom), ma présence ici donne la réponse. Oui c'est un job idéal! Moi qui ai passé 20 années dans la pub, où la plus grande agence que j'ai gérée ne dépassait pas les 100 personnes, RTL est une petite grande entreprise avec quelque 700 personnes. Il y a donc encore une dimension humaine qui me permet de connaître tout le monde et en plus, c'est la taille idéale pour avoir des ressources tout azimut. Après avoir dit aux gens « achetez ces produits», je suis là pour leur dire « écoutez, regardez nos médias. » Même si l'expression est peut-être galvaudée, RTL ce sont de belles boîtes. C'est une entreprise qui a une histoire, construite par des pionniers. Elle a des valeurs. Quand j'ai été nommé à sa tête, le groupe avait pour objectif que je transforme l'entreprise spontanée en véritable entreprise industrielle, en préservant ses valeurs. Nous avons mis tout le monde sous le même toit, avec un back office commun. Nous avons réuni tous les métiers. Le mien réside dans l'organisation, faire travailler des gens et veiller à ce que ces personnes bénéficient des meilleures conditions pour exercer leur métier.

La pub ne vous manque pas?
J'ai travaillé avec les meilleurs créatifs et accounts dans les meilleures agences, que ce soit chez Publicis, chez Mc Cann ou chez Y&R. C'est un métier fantastique, qui est de plus en plus dur aujourd'hui, qui est discrédité sur sa valeur contributive dans l'économie générale... J'ai fait le tour de la question à l'époque, donc la pub ne me manque pas. Ce qui me passionne dans mon métier actuel, c'est d'attirer tous les jours l'attention des gens pendant 228 minutes quotidiennes en télé et près de 300 minutes en radio. Nous les informons, divertissons et c'est passionnant.
En 2002 quand je suis arrivé j'ai eu une grosse discussion avec le management de RTL Group qui souhaitait outsourcer toute la production de RTL.
Seriez-vous tenté par un autre job après RTL?
En Belgique je ne vois pas quelle entreprise me permettrait de m'épanouir autant qu'à RTL et ceci à tout point de vue. Les gens qui m'entourent sont de très haut niveau. Il y a de grands défis. On ne parle plus de stratégies mais de guérilla quotidienne. L'arrivée de Netflix, une chaîne Telenet... Tous les jours, il y a du nouveau.

ON NE NAIT PAS A RTL

Avez-vous l'impression d'appartenir à la grande famille RTL?
J'adore la question car j'ai été un temps iconoclaste en contestant le terme de famille. Dans une famille, il y a des rapports affectifs et émotionnels tellement importants que sa famille, on ne la quitte jamais. RTL est une expérience, un plaisir de vie qui peut durer cinq ans comme 30 ans pour certains. Il y a une vie avant et une après. Je n'aime pas le terme famille RTL pris dans le sens émotionnel, où l'on serait éternellement liés, pour toute une vie. Par contre, il existe dans cette maison un climat relationnel entre les gens, parce que le rythme de travail est exigeant. Nous travaillons sept jours sur sept. Il y a donc de réelles proximités affectives, mais je ne suis pas le papa de la famille RTL. J'aime les valeurs qui sont véhiculées chez RTL, des valeurs d'entraide, de solidarité, de respect, mais c'est avant tout une entreprise. La famille on y naît et on y meurt. RTL on n'y naît pas et on y meurt pas.

2014 UNE ANNEE DECISIVE

2014 sera-t-elle l'année du puzzle enfin complété pour le groupe RTL, avec une participation dans SBS?
RTL est le premier groupe audiovisuel européen, qui n'est pas présent dans une région riche, intéressante et proche de nous. Je ne dis pas qu'elle nous tend les bras, mais qu'elle nous attire. Nous avons eu quelques velléités, des tentatives avortées. Le marché global des médias est en pleine effervescence, il suffit de regarder Sanoma et les résultats de SBS, qui ne sont pas à la hauteur de ce qu'ils espéraient. Nous sommes intéressés par la Flandre et 2014 pourrait être une année décisive, pour autant que les conditions soient réunies pour y entrer. Il y a aussi une vérité économique qui dit qu'il n'est pas possible dans un marché de six millions d'habitants d'avoir trois opérateurs qui cohabitent de façon harmonieuse. Quand j'entends Telenet qui voudrait être le quatrième opérateur en Flandre... Je pense qu'il n'y a pas de place pour trois opérateurs sur le marché publicitaire en Flandre. C'est pour ça que si nous devons entrer en Flandre, ce serait en partenariat avec Medialaan ou SBS. Chacun doit remplir son rôle, nous sommes broadcaster. RTL n'a jamais opéré des investissements inconsidérés, nous manifestons toujours un intérêt industriel réaliste.

Etes-vous fier du chemin que vous avez fait parcourir à RTL?
Fier n'est pas le mot, mais heureux, après ces douze années de travail. Oui heureux parce que 700 personnes ont accepté de revoir un mode de fonctionnement, leur façon de travailler, certaines sont aujourd'hui managers. Pour mesurer la bonne santé d'une entreprise, il y a des paramètres. Chez nous c'est notamment l'audience, qui est au rendez-vous. Ensuite, il y a la qualité du travail accompli. Et enfin, notre progression économique.

Ca demande un grand investissement personnel?
Je suis très organisé et je laisse peu de place à l'improvisation, ce qui me permet de faire beaucoup de choses et fait dire à certains que je suis un peu maniaque, ce que j'assume.
Je me lève entre 5h30 et 6h45 tous les jours, sauf le dimanche où je suis debout à 7h. Je ne me couche pas avant minuit-une heure du matin. Je dors peu mais je m'offre quelques micro siestes. Je suis tellement organisé que je peux m'offrir de l’oxygène en dehors de mon métier de base, comme l'opéra ou le golf que je pratique à 8h30. Je n'ai plus d'enfants à la maison. J'ai 56 ans et une épouse qui s'occupe admirablement bien de notre vie privée, je peux donc me consacrer parfaitement à mon boulot. Quand je rentre chez moi, je suis en vacances. Ma priorité reste ma famille, même si je consacre beaucoup de temps à mon boulot. A la maison, je suis un enfant désemparé. Je ne sais pas où sont les plombs, comment on réserve un voyage privé... Je suis le dernier enfant de la famille.

QUATRE HEURES HORS DU TEMPS

Jouer au golf, c'est plus par plaisir ou pour le business?
C'est un pur plaisir. J'étais joueur de tennis et de hockey; j'ai été sérieusement opéré du dos en 1996 et me me suis mis au golf, car c'était compatible avec mon état physique. Les gens avec qui je joue n'ont rien à voir avec mon métier. Le golf est passionnant parce que je passe quatre heures hors du temps. C'est le seul moment de la semaine où je n'ai pas mon portable près de moi. Le golf est un jardin privé, comme ma famille. Ma vie est très structurée, le travail, ma famille, le golf, mes amis...

PAS DE MICROCOSME ELITISTE

Pourquoi êtes-vous vice-président du club B19? Etre membre d'un cercle, c'est utile?
A la demande de deux amis, Paul Buysse et John-Alexander Bogaerts. Ils étaient à la recherche de quelques parrains pour dynamiser leur club. Il y a une vraie pétulance dans un cercle comme celui-ci, c'est très différent du Cercle Gaulois, qui est le plus beau cercle historique du pays. Je ne suis, par ailleurs, plus membre du Cercle de Lorraine, pour des raisons liées à son propriétaire. J'ai eu la chance dans la pub et à travers mon métier aujourd'hui de bénéficier d 'une surface sociale démesurée par rapport à la taille de l'entreprise. Je n'ai donc pas besoin de faire de grands efforts pour rencontrer des gens. Ma présence dans un cercle n'a rien de professionnel. C'est différent que d'être membre de la BMMA ou d'autres associations publicitaires nécessaires à l'activité que l'on mène.
Ne vous sentez-vous pas en décalage avec le public de RTL?
Je ne pense pas. C'est un lieu commun qu'il faut combattre. RTL est leader, son audience est tellement large qu'elle touche énormément de gens: urbains, campagnards, de classes sociales modestes ou élevées. Un JT de 19h avec 700.000 téléspectateurs concerne tous les publics. Lorsque je donne une conférence, je demande à l'assemblée qui a regardé Place Royale samedi dernier. Cinq, six mains se lèvent sur une centaine de personnes. Je leurs dis que je trouve ça étonnant, car statistiquement ils devraient être entre 25 et 30 à avoir vu l'émission. Et si je demande qui a regardé Arte, j'ai 25 mains qui se lèvent, or on aurait dû en avoir trois ou quatre. Au fil de la conférence, en installant un climat d'amitié, je repose la question: qui a vu Place Royale les deux dernières semaines? J'ai alors 35 mains qui se lèvent. J'explique alors la grande différence qu'il y a entre le déclaratif et le comportemental. Les gens disent ce que le consensus social voudrait qu'ils disent. Ca m'irrite au plus au point d'entendre dire que RTL est une chaîne populaire. Quand on a le public qui est le nôtre, avec le nombre de gens qui nous regardent, que ce soit pour une émission de variété, un film, une série ou un journal télévisé, je peux dire que nous touchons tous les publics. Quant à la vie que je mène, je vais voir les matchs d'Anderlecht, je joue au golf, je ne suis pas dans un microcosme élitiste.

PASSIONNE PAR LA POLITIQUE

En communauté française, vous êtes trois patrons de l'audiovisuel politisés et marqués à gauche. Est-ce que ça signifie que cette relation est importante pour préserver les intérêts du média?
La politique m'a intéressé dès l'âge de 15, 17 ans. Je n'ai pas d'étiquette politique; je suis un citoyen consciencieux qui vote et ce que fais à ce niveau n'a rien à voir avec mon métier. Quand je travaillais dans la pub, j'ai œuvré pour le parti socialiste, quelques élus libéraux et également beaucoup pour Elio Di Rupo en début de carrière. C'est un ami et le terme n'est pas galvaudé. Mais j'ai aussi des amis dans d'autres partis politiques notamment au nord du pays. Le dimanche matin, j'aime bien accueillir les hommes politiques pour un petit déjeuner, avant qu'ils passent à l'antenne. J'estime que la maison RTL est reconnue pour son objectivité.

Vous êtes passionné par la politique, trouvez-vous normal et sain que des hommes politiques se retrouvent invités dans des programmes de variétés?
Je trouve ça normal, un homme politique n'est pas une créature différente des gens. On a par ailleurs injustement attaqué Jean-Paul Philippot, parce qu'il est étiqueté socialiste, d'avoir invité le Premier Ministre à « Sans chichis ». Je ne pense pas qu'il faille désincarner la personne de la fonction qu'elle occupe. Moi, quand un Elio Di Rupo, un Didier Reynders ou une Joëlle Milquet se montrent dans la vie, ça me paraît normal. Je pense que la limite est parfois franchie lorsqu'on invite le média dans sa cuisine, avec ses enfants. Il ne faut pas s'étonner alors qu'il pénètre dans leur jardin secret, il y a des limites. Pour le reste, je trouve ça très bien. La politique, c'est l'adhésion à des idées. On ne peut pas reprocher aux gens qui veulent être élus et qui ont un vrai projet d'être parfois à la frange des idées qu'ils défendent et la recherche de popularité. Participer aux 20 kms de Bruxelles, dire qu'on aime bien faire du vélo le week-end, se faire photographier dans une discothèque, tout ça fait partie du jeu. Je ne suis pas dérangé tant qu'on est pas dans l'excès.

Peut-on dire de vous que vous avez le bras long?
Noooon... J'ai beaucoup trop d'humilité pour avoir le bras long. Je connais simplement beaucoup de gens. Connaître des hommes politiques ne me permet pas d'avoir plus de téléspectateurs. C'est simplement plus facile pour avoir accès à certaines personnes.

Que redoutez-vous le plus: les rapports avec votre actionnariat allemand ou les critiques qui peuvent pleuvoir au niveau belge dans les médias?
J'ai une harmonie absolue avec mes actionnaires, que ce soit avec le majoritaire RTL Group, ou le minoritaire qui est Audiopress. Ils comprennent et approuvent la stratégie de l'entreprise. Ils apprécient aussi nos résultats, traduits en termes de dividendes à la fin de l'année. Il ne faut pas non plus se tromper. L'entreprise ce n'est pas que du court terme. Mon métier consiste à garantir chaque année les promesses faites aux actionnaires et aussi que ma boîte soit pérenne pendant cinq ou dix ans. Nous donnons du travail à près de 750 personnes, cela représente quelque 2.000 personnes qui vivent tous les mois grâce à l'activité de RTL. J'estime avoir un rôle important à jouer par rapport à ces gens. Il est de les faire vivre grâce à une activité industrielle comme la nôtre. Quand on doit se séparer de collaborateurs, c'est un déchirement car on sait que c'est un secteur où il n'y a pas énormément de débouchés. Je suis très sensible à cette dimension et mes actionnaires me suivent sur ce terrain. En 2002 quand je suis arrivé, j'ai eu une grosse discussion avec le management de RTL Group qui souhaitait outsourcer toute la production de RTL.

PRIORITE A L'HUMAIN

C'est l'humain qui forge la valeur d'une entreprise?
Absolument, ce n'est que l'humain. Nous n'avons pas de stock, pas de produits! Le patron d'Apple dispose de stocks qui ont une valeur. Chez nous la valeur vient de l'alchimie entre les gens. C'est elle qui crée de la valeur. Quand je suis arrivé, il n'y avait pas de département de ressources humaines. J'ai investi dans ce département, des formations, des séminaires, du training... Dans une entreprise, il y a toujours une double relation, qui est quantitative – relation employeur / employé – et qualitative, qui dépasse les heures que vous prestez et qui concerne votre engagement, qui contribue à faire rayonner la marque RTL autour de vous. C'est aussi ça qui voit nombre de collaborateurs venir spontanément travailler en cas de gros bouleversements dans l'actualité. En contrepartie à cet engagement, il faut offrir de la reconnaissance dans les conditions de travail, à travers une évolution au sein de l'entreprise, un fond social afin de soutenir les collaborateurs dans certaines situations. Sans être paternalistes, ces gestes démontrent que RTL est là quand il le faut, parce que les gens se donnent à cette entreprise. L'humain est l'essentiel de notre activité. Nous ne sommes pas dans un monde de Bisounours où tout est merveilleux, mais dans un environnement où se répondent ouverture et rigueur.
La RTBF ce ne sont pas les gens d'en face mais d'à côté.

Quel consommateur média êtes-vous?
Je ne suis pas présent sur les réseaux sociaux, pour une question de temps et de manque d'intérêt. Je me réveille en radio. J'écoute beaucoup Bel RTL, mais en termes de playlist, ma préférée est Classic 21. Le matin avant de rejoindre RTL, j'ai parcouru cinq quotidiens, Le Soir, La Libre, De Morgen, Libération et L'Echo. Dans la journée, j'ai mes revues de presse et j'écoute de la musique classique en sourdine dans mon bureau. L'écran de télé de mon bureau est en permanence branché, sans le son, sur CNN. C'est d'ailleurs sur cette chaîne que j'ai appris en 2004 la mort de Raymond Goethals, via un bandeau en bas de l'écran. Chez moi je zappe beaucoup la télé; ma femme trouve ça insupportable.   Quand je me laisse aller, je regarde beaucoup le sport.

Pas difficile de vivre sans les réseaux sociaux, quand on voit notamment que l'affaire Luc Trullemans a débuté sur les réseaux sociaux?
J'ai une équipe autour de moi qui m'informe de ce que je dois savoir. Nous avons d'ailleurs mesuré l'importance des réseaux sociaux quand on voit la propagation de ce type de propos...

La télé idéale c'est quoi?
Est-ce qu'elle existe? Un mélange entre RTL-TVI, Club RTL et Plug RTL? Je crois que la télé idéale doit répondre aux envies et souhaits de chacun. La fidélité à une chaîne vient de la panoplie de choix qu'elle offre. Une chaîne comme RTL-TVI est très bien charpentée, c'est ce qui fait son succès. A 18h30, on leur offre un jeu comme le 71, qu'on peut prendre avec 10 minutes de retard, ce n'est pas grave. Voici 12 ans, quand je suis arrivé à RTL, ma fille avait 14 ans trouvait que Jean-Michel Zecca était bien, mon épouse qui avait 40 ans aussi, et ma mère qui en avait 70 de même. Il a le profil idéal pour un jeu qui est très fédérateur, à un moment clef de la journée. L'information est de son côté également fédératrice. Ensuite il y a les films, les jeux, les magazines, les séries... La chaîne remporte l'adhésion d'un maximum de gens. A titre personnel mon contenu idéal serait pour la moitié du temps de l'information et des sports, l'autre moité des émissions qui m'ouvrent l'esprit.

Quelles sont les grandes différences entre RTL et la RTBF?
D'abord des différences de principe, une chaîne publique d'un côté, une privée de l'autre. Elle a un cahier des charges, des missions qui lui sont imposées. Pour notre part, nous avons la liberté de faire ce que nous voulons. Quant aux différences entre les deux, je pense qu'aujourd'hui celles-ci s'amenuisent. J'ai beaucoup de respect pour Jean-Paul Philippot quand il dit que RTL ressemble de plus en plus à la RTBF, mais je pense que c'est l'inverse qui est en train de se passer. La RTBF opère un mimétisme à réaliser des programmes comme les nôtres. Nous étions les premiers à faire des jeux. Nous sommes les premiers à avoir fait du politique en prime time à 20h. Il y a encore de réelles différences à certains égards. Je n'ai aucun propos polémique à l'égard de la RTBF. Elle est sur un marché exigu sur lequel il y a de la place pour deux opérateurs différenciés. Je ne suis pas certains que le jour où on diffuse « Desperate Housewives », le choix idéal est de mettre « The Mentalist » de l'autre côté. Dans un autre domaine, nous avons une convention de collaboration entre notre Télévie au printemps et leur opération Cap 48 au mois d'octobre. Nous sommes des concurrents, pas des ennemis. La RTBF ce ne sont pas les gens d'en face mais d'à côté.

Pourquoi regarder RTL-TVI plutôt que TF1?
L'information c'est de la proximité. Quand TF1 couvre la Syrie, ils envoient des journalistes, véhiculés en voitures blindées, avec six gardes du corps. De notre côté, RTL envoie deux personnes avec caméra et casques de protection et ils font aussi de l'information. Est-ce que TF1 pourrait être plus complet que nous? Oui s'il y a quatre équipes à des endroits différents. Et pourtant, les gens vont quand même nous regarder. Pourquoi? Parce que c'est Jean-Pierre Martin, on le connaît. Il y a une périphérie autour de la chaîne qui propose une réelle proximité, informative ou séductrice. Elle existera toujours, car regarder Desperate Housewives chez nous ou sur TF1, ça ne change rien. Mais ce qu'il y a avant et après, c'est la marque de la chaîne et elle a une valeur. RTL c'est une marque, une valeur. Les gens s'y retrouvent plus facilement. C'est pour cette raison que nous conservons des speakerines. Quand, à l'occasion de notre Parade de Noël à     Tournai, 100.000 personnes se déplacent pour voir 20 chars, c'est la popularité et c'est aussi grâce à ces gens-là qu'on regarde des séries chez nous plutôt que sur TF1.

Photos: Luc Hilderson Image4You

Homme de discipline... et de sagesse

Le 15 février 2002, il crée la surprise en arrivant chez RTL. C'est que l'entreprise avait plutôt l'habitude de piocher dans son sérail, d'opter pour des dirigeants qu'elle avait vu grandir. Mais le Conseil d'Administration de RTL veut du « sang frais », certains complèteront: le CA veut aussi quelqu'un avec un carnet d'adresses politique et des qualités de lobbyiste. Philippe Delusinne, jusque là homme de pub, se convertit à la télévision. Deux métiers qui, selon lui, ne sont pas si différents: consommateurs, citoyens, téléspectateurs ou auditeurs... finalement le principe est de s'occuper des gens. Et c'est vrai qu'il les aime les gens, lui qui excelle dans le relationnel et qui se plie volontiers aux obligations sociales.

Pourtant, il n'a que peu le temps de la regarder cette tv. Ou alors sur dvd, dans sa voiture avec chauffeur. Mais encore faut-il qu'il ne profite pas du trajet pour faire l'une de ses micro-siestes, qui lui permettent de tenir toutes ces journées à rallonge. Puis il le concède: ce qui le passionne, c'est avant tout l'information. A l'Ile de la Tentation, il préfère le 13h ou le 19h... D'ailleurs, il ne manque jamais d'aller faire un tour à la rédaction de la Maison, lorgnant avec curiosité sur le travail des journalistes.

S’il n'aime toutefois pas mélanger le professionnel et son jardin privé, il explique cela par une métaphore, celle de la commode: à chaque partie de sa vie un tiroir. Boulot, golf, famille,... tout est parfaitement structuré, discipliné, à tel point qu'il dit volontiers suivre une vie de spartiate. Et cet amour de l'organisation ne date pas d'hier, lui qui a toujours eu des objectifs, des plans. « Je ne mélange pas grand-chose... Ce qui, j'espère, ne m'empêche pas d'être convivial et sympa! » C'est aussi un fana du bon mot, de la petite parole acerbe lâchée – l'air de rien – juste quand il faut. Mais pendant notre interview, il s'est plutôt contrôlé. « La sagesse sans doute. »