J’me voyais déjà en haut de l’étiquette

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C’est la quête de toute les marques aujourd’hui: se rapprocher de leurs consommateurs. Elles revendiquent une approche « customer centric », où l’utilisateur gagne en importance par rapport au produit. Quitte à prendre sa place. Et parce qu’il faut encore et toujours lui prouver cette prise en considération, plusieurs labels ont fait appel ces derniers mois à une stratégie maintes fois éprouvée par le passé: la personnalisation de masse. Ou comment céder l’espace de son étiquette au public.
Sur le principe, rien de neuf. Mais il semble que les marques aient décidé de remettre la personnalisation au goût du jour et de faire de 2013 l’année des étiquettes individualisées. C’est Nutella qui a ouvert le bal en permettant à ses adeptes belges de commander gratuitement une étiquette à leur nom ou surnom. Le tout s’est fait via une application Facebook créée par Social.Lab, avec la collaboration de Providence et FMCG Publicis. Charlotte, Noa, Mamour et consorts ont ainsi reçu leur appellation grimée en noir et rouge sur un autocollant labellisé Ferrero, qu’il reste à positionner sur un bocal. L’action était discrète, uniquement indiquée sur les pots de pâte à tartiner, mais les réseaux sociaux ont fait le reste. L’équipe derrière le profil Facebook de Nutella Belgium a régulièrement ravivé l’information, des posts qui ont à chaque fois récolté centaines de « likes » et de commentaires. D’ailleurs, si l’objectif de cette activation était d’augmenter le nombre de fans de la page, il a largement été atteint: la communauté est passée de 40.000 à 100.000 fans en quelques semaines et dépasse, après quatre mois d’action, les 200.000 membres! Des fans qui, qui plus est, ont été nombreux à partager des photos d’eux et « leur » pot.

Nous confions notre communication aux consommateurs. Gaetan Van de Populiere
Procédé similaire chez Heinz. A l’approche des barbecues d’été, la marque lance mi-mai « Offrez une bouteille de rouge originale à un bbq ». Elle efface donc son inébranlable mention « tomato ketchup » pour la remplacer par des messages inventés par ses adulateurs. « Keep Calm and Ketchup », « Propriété privée de Basil », « Thibault né le 03/07/2013 » ou encore, tout simplement, « Victoria » sont envoyés via Facebook ou directement imprimés en magasin auprès d’équipes promotionnelles. Une différence cependant: les consommateurs doivent acheter leur flacon de sauce tomate au prix habituel. Peu de relais sur les médias sociaux. L’engouement est nettement moindre. De son côté, Sunlight, gel douche d’Unilever, s’essaye aussi à la chose mais sous la forme d’un concours. Par le biais de la plate-forme Yunomi, la marque promet 1000 étiquettes personnalisées aux gagnants. Enfin, toujours dans le même thème, M&M’s Belgique propose sur son site de transformer ses dragées. Exit les traditionnels jaune, orange, rouge, vert, bleu et marron; l’internaute choisit ses couleurs parmi une palette, tape le texte ou envoie la photo qu’il veut voir apparaître sur les bonbons, choisit un packaging, et voilà un cadeau ou un souvenir sur-mesure... marqué du « M » de la marque sur une face des chocolats. Là aussi, la démarche est payante.
LA DIMENSION COCA-COLA
Mais s’il y a bien une marque qui a exploité l’idée à l’extrême, c’est Coca-Cola. Le projet, conçu par Ogilvy Sidney, est né en 2011 en Australie où la boisson jouit d’une popularité plus limitée que dans nos contrées. L’objectif est naturellement d’augmenter les ventes: + 4% cette année-là. Alors, fin avril, la campagne « Share a Coke » est lancée en Belgique (et dans une dizaine d’autres pays européens) quand des bouteilles aux étiquettes singulières remplissent les rayonnages. Coca-Cola a en effet recensé auprès de l’Institut National des Statistiques les 150 prénoms les plus courants du royaume. Ceux-ci se substituent au célèbre logo sur les bouteilles PET 500 ml de Coca-Cola, Coca-Cola Zero et Coca-Cola Light. Les autres conditionnements portent quant à eux les mots « Me », « You », « Friends », « Family » et « Love ».
Début mai, les actions marketing débutent. Sur la toile, le compte Twitter #shareacoke entre en piste, stimulant les échanges et renvoyant au site dédié qui renseigne les 150 prénoms présents dans les commerces. Votre prénom ne s’y retrouve pas? Aucun problème, des machines spécialement prévues à cet effet sillonnent le pays pour imprimer les noms plus rares ou les demandes particulières (« Marry me ») sur des stickers à coller sur les canettes. Les files devant ses « imprimantes » sont partout interminables.
La personnalisation n'a jamais mieux marché qu'aujourd'hui. Jean-Claude Jouret

En parallèle, une campagne TV diffuse les réponses de jeunes belges à qui l’on a demandé avec qui ils partageraient un Coca. Et des exécutions outdoor – réalisées à l’international par Leo Burnett – sont affichées, 73 différentes selon les prénoms célèbres dans l’une ou l’autre localité. En fait, tout le matériel promotionnel, canal par canal, est adapté, personnalisé. Comme les autocollants à afficher en vitrine de bar qui portent le nom de l’établissement en question. Ou, autour des terrains de football, ces boards qui portent les prénoms des Diables Rouges. Ou encore, exclusivité belge, les « sharing cups » de cinéma, soit ces grands gobelets qui se divisent en deux et invitent à « share a coke with your date ». La campagne joue également sur les Top Topicals du moment, en distribuant des canettes « Papa » pour la fêtes des Pères ou en customisant virtuellement le trône du Roi lors de l’annonce de son abdication. Les employés de la multinationale mouillent, eux aussi, le maillot en allant à la rencontre de la population dans différentes villes pour partager un verre avec elle. Et ces mêmes équipes ont pu diffuser leur propre message sur un bandeau traversant les pages de journaux belges, les 19 et 26 juillet. Du marketing de la personnalisation donc, mais à l’échelle industrielle, que le public ne cesse d’alimenter en partageant expériences et photos.
LA PUB PAR LE CONSOMMATEUR
Au mois d’août, 50 noms supplémentaires sont imprimés. Avec soutien en télévision, en outdoor et en digital. Une décision prise suite au succès de la campagne. « C’est la première fois que Coca-Cola met à ce point sa communication et son produit entre les mains des consommateurs, » explique Gaetan Van de Populiere, Marketing Director Coca-Cola Belgique et Luxembourg. « Ce sont eux qui sont maîtres de son succès ou de son échec, peu importe le budget que nous y consacrons. » La publicité ne passe clairement plus seulement par des affiches, mais par les personnes. Encore faut-il lui donner l’impulsion d’agir dans ce sens.
Toute la campagne est partie d’un consumer insight clair: « Si les consommateurs aiment montrer leur appartenance à un groupe, ils tiennent également de plus en plus à se démarquer à l’intérieur de ce groupe, » détaille Gaetan Van de Populiere. « C’est particulièrement typique de la génération actuelle, la génération Y, qui cherche toujours à affirmer son identité propre. » Ces jeunes, nés avec le marketing, se montrent en effet beaucoup plus critiques que leurs aînés et s’avèrent donc plus difficiles à toucher. « Pas question de leur mentir. Nous devons être vrais pour qu’ils croient en nous et qu’ils acceptent de partager autour de notre marque. » Et donc leur montrer que, si, réellement, Coca-Cola a de l’estime pour eux. La preuve: elle les met au premier-plan, en tête d’étiquette. Ces canettes et bouteilles customisées répandues dans les commerces servent alors de graines pour faire germer les histoires. C’est la stratégie du « liquid and linked », le storytelling selon Coca-Cola. Soit semer des éléments de contenu qui donnent envie de construire une histoire, qui incitent à la conversation et à l’interaction. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé: alors qu’aucune communication n’est encore réalisée à propos de ces sodas personnalisés, les consommateurs se mettent déjà à jouer avec les produits, créant des phrases et postant à tout-va sur les réseaux.

POUR MARQUES FORTES UNIQUEMENT
De là à dire que la personnalisation des produits est la panacée? De nombreuses fois expérimentée, « c’est une recette qui généralement fonctionne… mais qui n’a jamais mieux marché qu’aujourd’hui! » analyse Jean-Claude Jouret, Président de la section Publicité et Communication commerciale à l’IHECS. D’abord d’un point de vue technique. Si jusque dans les années ’80, la production de masse prévalait, les industriels se sont progressivement mis à viser des segments de marché plus petits, entrevoyant le potentiel du « one-to-one ». Et désormais, le savoir-faire technique autorise la mise en œuvre à grande échelle de ce procédé, pour autant que l’entreprise en question soit capable d’en assumer un certain coût. Ensuite, il semble que la customisation réponde parfaitement aux mentalités qui priment dans la société actuelle. « Internet a habitué le consommateur à pouvoir s’exprimer en tous lieux et circonstances, alors pourquoi pas sur des étiquettes? » Tendant à l’égocentrisme, ce dernier revendique aussi d’être considéré comme un être individuel, d’être valorisé. Voir son prénom affiché partout et intimement mêlé à une célèbre marque, c’est lui offrir son quart d’heure de gloire. Les réseaux sociaux lui fournissent les moyens d’exhiber un peu plus ce statut et d’assouvir ce besoin de plus en plus pressant d’exister, d’être un « people », remarquable parmi ses pairs. Une association parfaite donc. Et rien de plus normal que plusieurs marques surfent sur cette vague: « Le marketing est une discipline sociologique. Il se base sur les comportements, fait tout pour répondre aux désirs, aux besoins, aux attentes du moment, » rappelle Jean-Claude Jouret.
Néanmoins, ne peut s’essayer à ce genre d’opération qui veut. Il est nécessaire d’être une marque forte, largement connue pour, d’une part, se permettre de changer son visuel et, d’autre part, représenter une communauté à laquelle tout le monde veut être associé. Par ailleurs, est-ce un hasard si Coca-Cola, Nutella ou même M&M’s ont toutes les trois toujours joué sur le rituel du partage, du bon moment passé entre amis ou en famille rassemblés autour de leur bouteille, pot ou paquet? Cet ADN particulier colle parfaitement avec le phénomène pré-cité du « moi parmi les autres comme moi » et place automatiquement ce type de campagne sous de bonnes augures. D’ailleurs, Gaetan Van de Populiere concède: « Avec un produit comme Coca-Cola, la question n’est pas de savoir si une initiative marketing sera un succès, mais quelle ampleur ce succès prendra-t-il. »