« La créativité est un sport d’équipe »

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La créativité est un bien précieux dans le monde de la publicité. Maintenant qu’il est de plus en plus facile d’éviter les messages publicitaires, les esprits créatifs doivent être encore plus percutants qu’auparavant. Mais cela fonctionne-t-il réellement ? Afin de canaliser leurs tourbillons d’idées, ils sont entourés ou supervisés par un creative director. « En tant que directeur, il faut accompagner les membres de son équipe, et non chercher à s’illustrer soi-même. »

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Le creative director endosse la responsabilité finale de toute production créative d’une agence publicitaire. Mais quelle description soporifique ! Heureusement, les intéressés peuvent fournir une bien meilleure explication. Dieter De Ridder (Air) : « J’essaie de donner des ailes à mes équipes créatives. Le plus important, c’est de les inspirer, de les laisser rêver. Dans le même temps, je dois être bon vendeur, je dois pouvoir convaincre les clients de nos idées. Je combine coaching, people management, vente et pensée stratégique. »

Kristof Snels (LDV) : « En dehors du suivi et de l’accompagnement de l’équipe créative, ma tâche consiste à veiller sur la stratégie d’une marque. »

Pieter Staes (These Days) : « Je dois identifier les bonnes idées et les améliorer. Dénicher les perles. Si une équipe créative s’égare, je dois la ramener sur la bonne voie. Le creative director est un spécialiste des solutions innovatrices. »

Accompagner l’équipe

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Si on demande à un jeune de douze ans ce qu’il veut faire plus tard, il ne répondra pas « directeur de création ». Comment en êtes-vous arrivés à votre poste ?

Kristof Snels : « Je ne connais pas un seul directeur de création qui n’ait pas fait ses armes au sein d’une équipe créative. Dans le monde de la publicité, il faut d’abord gagner ses jalons. Si par la suite, vous avez envie d’investir votre énergie dans les autres, ce métier est tout indiqué. En tant que directeur, il faut accompagner les membres de son équipe, et ne pas chercher le succès personnel. »

Pieter Staes : « J’ai étudié la publicité à Saint-Luc à Anvers. Presque tous les jeunes directeurs de création ont un parcours similaire. Au cours de leurs études, ils se sont orientés vers la publicité. Autrefois, vous pouviez directement devenir directeur de création grâce à votre expertise acquise dans d’autres domaines, mais cette époque semble être révolue. »

Dieter De Ridder : « Dans ce cas, je suis bien une exception. J’ai étudié le management de la communication. Lors de mon premier emploi à part entière, j’étais journaliste pour Klasse, le magazine jeunesse publié par le gouvernement flamand. J’ai eu la chance d’arriver au bon moment, à savoir lorsque la revue se trouvait dans une impasse. J’ai eu l’occasion de relooker le magazine. J’ai découvert les ficelles de la publicité en mettant sur pied quelques campagnes de sensibilisation pour les jeunes. Par la suite, j’ai travaillé pour des agences de publicité, écrit des sketches pour Woestijnvis – la rubrique « Vaneigens » dans l’émission « Man bijt hond » – imaginé et développé des émissions pour Bruno Wyndaele et travaillé pour Bart De Pauw, mais au final, je suis retourné à la publicité. »

Le secteur de la publicité est dominé par la culture de la réunion. Avez-vous encore le temps de laisser libre cours à votre créativité, ou courez-vous de réunion en réunion ?

Kristof Snels : « Les réunions vont de pair avec la mise au point d’idées créatives. Lorsque je m’assieds autour d’une table avec notre équipe créative pour exposer des idées, nous laissons suffisamment de place à la créativité. Mais pour être honnête,,aujourd’hui, je suis bien plus souvent en réunion qu’auparavant, à l’époque où je faisais partie d’équipes créatives. C’est le lot du directeur. »

Pieter Staes : « Pour moi, les réunions ne posent aucun problème. La réunion est le moment idéal pour insuffler un nouvel élan aux idées des esprits créatifs. Ce sont justement les moments intéressants de ce travail. »

Dieter De Ridder : « Une des premières règles que j’ai instaurées chez Air avec mon collègue Joeri Van Den Broeck, c’est qu’un briefing ne peut pas durer plus d’une demi-heure. Je compare parfois les réunions avec le fait d’avoir des enfants. Tout est question d’organisation. En s’organisant bien, on peut aussi consacrer suffisamment de temps à l’originalité. »

Une tension saine

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Est-il vrai qu’il règne une constante tension entre les équipes créatives et les account managers au sein des agences publicitaires ? Les esprits créatifs veulent voler de leurs propres ailes, tandis que les account managers doivent leur imposer des règles.

Pieter Staes : « L’account manager est la plaque tournante d’une agence publicitaire; il doit faire concorder les intérêts du client et les souhaits des équipes créatives. Il est en quelque sorte coincé entre le marteau et l’enclume. Si l’équipe créative exprime une opinion particulière et le client est d’un autre avis, l’account manager doit jouer le rôle de médiateur, arrondir les angles et rester ferme. Cela peut créer des frictions. »

Kristof Snels : « Il règne effectivement une tension saine, mais nous poursuivons tous le même objectif de mettre sur pied la meilleure campagne possible. L’account manager tient compte des exigences du client. Cependant, l’esprit créatif ne veut pas se soumettre à des contraintes telles que les échéances. C’est justement en tenant compte des souhaits des différentes parties que l’on arrive au meilleur résultat final. »

Dieter De Ridder : « Vous pouvez avoir l’idée la plus originale du monde, cela ne fonctionnera pas sans stratégie. Ce que je veux dire, c’est qu’on a besoin de différentes personnes avec différents talents pour réussir à vendre une campagne. La créativité est un sport d’équipe. »

Les téléspectateurs et les internautes peuvent éviter ou contourner les messages publicitaires grâce à de simples manipulations. Vous devez donc faire preuve de plus en plus d’originalité pour attirer leur attention. Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour les équipes créatives.

Pieter Staes : « Il faut vraiment mériter l’attention du spectateur ou du lecteur. Il n’est pas évident de faire regarder une annonce publicitaire jusqu’au bout. Certains grands acteurs internationaux tels que Geico misent sur l’idée de rendre les cinq premières secondes du spot publicitaire intrigantes, dans l’espoir d’éveiller la curiosité du spectateur. Ce nouveau contexte rend notre travail plus difficile, mais aussi particulièrement stimulant et intéressant. »

Dieter De Ridder : « Il y aura toujours besoin de créativité. Certes, vous pouvez passer les publicités, mais les grandes marques aux budgets élevés nous bombardent et nous touchent tout autant qu’avant avec leurs produits et leurs slogans publicitaires. »

Un travail assidu

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Est-il facile de convaincre les clients de l’importance des idées créatives ?

Dieter De Ridder : « Cela dépend du client. Une organisation à but non lucratif à petit budget donnera plus facilement carte blanche à une équipe créative qu’une multinationale avec plusieurs niveaux de décision et des budgets publicitaires de plusieurs millions d’euros. »

Pieter Staes : « Les marketing managers de la vieille école ne s’écartent pas facilement de leur mode de pensée classique, mais la plupart des marques vont habituellement dans notre sens. »

Kristof Snels : « Il est important de bien connaître le client pour pouvoir évaluer jusqu’où on peut pousser l’originalité. Nous devons comprendre les valeurs de la marque. Dans tous les cas, nous essayons de défendre nos idées. Si cela nous semble utile, nous présentons des propositions qui poussent le client en dehors de sa zone de confort. »

Les agences de publicité aiment faire étalage des prix qu’elles ont gagnés. Une médaille de plus au palmarès des équipes créatives, mais quelle est l’importance réelle de ces prix ?

Pieter Staes : « Les prix prolifèrent, mais les distinctions importantes, comme les CCB Awards, l’Eurobest, le Festival européen de la créativité et le Cannes Lions, sont réellement bien vues. Ceux qui prétendent que les prix n’ont aucune importance mentent. Lorsque votre travail fait l’objet de l’attention internationale, vous attirez plus facilement de nouveaux clients et de nouveaux projets.

Dieter De Ridder : « Les prix donnent un élan formidable à une équipe créative. Ils lui donnent de l’énergie pour les trois années suivantes. C’est bon pour l’agence, pour les esprits créatifs, mais aussi pour le client, qui peut dès lors s’attendre à un travail particulièrement assidu de la part de son agence publicitaire. »

Kristof Snels : « Et n’oubliez pas que, pour un publicitaire créatif, les prix sont très intéressants pour le CV. »

Petit étang

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Excellent lien avec notre dernière question : pourquoi est-il si difficile de garder les esprits créatifs longtemps au sein de la même agence ? Ils changent de poste plus souvent que n’importe qui d’autre.

Kristof Snels : « La demande de talents créatifs est plus élevée que l’offre. Les meilleurs reçoivent des propositions dans tous les sens. C’est un peu comme dans le football. »

Pieter Staes : « Nous avons besoin d’un grand afflux de talents créatifs. On pêche avidement dans un petit étang. Ceci explique les nombreux changements de postes. Et cela crée une situation ambiguë, car on espère que nos équipes créatives fournissent un travail incroyable, mais on ne veut évidemment pas que nos talents partent vers d’autres agences. »

Dieter De Ridder : « Si quelqu’un est malheureux au travail, on ne peut pas le retenir. Je n’en voudrai jamais à quelqu’un d’avoir quitté mon équipe pour une autre agence. J’essaie de donner aux membres de mes équipes créatives l’occasion de s’épanouir, mais je comprends tout à fait ceux qui veulent chercher ailleurs. Je pense d’ailleurs à mon propre parcours. A l’époque, je m’ennuyais après deux ou trois ans au même poste et je voulais du changement. La routine est mortelle pour tout esprit créatif. »