Le droit à l’humour, trop d’obligations pour peu de droits
L’humour en publicité est une arme à double tranchant. Souvent utilisé pour marquer les esprits, il repose sur l’exagération et l’accentuation de traits qui peuvent être jugés inappropriés. Selon Agnès Maqua, avocate spécialisée en droit des médias et du divertissement, cette liberté est fortement encadrée par une série de régulations et de codes. Mais, au final, est-ce une bonne chose ?
La liberté d’expression et la créativité en sont les premières victimes. Elles se retrouvent cadenassées. Les créatifs se trouvent donc face à un défi constant et actuel : comment être percutant tout en respectant des limites souvent floues ?
L’humour à la limite des principes
L’humour publicitaire se trouve souvent sur une « ligne rouge » entre créativité et respect des principes éthiques et juridiques. Certains publicitaires flirtent avec cette limite, prenant le risque d’être sanctionnés par des organismes de régulation.
Un exemple marquant est celui de Lidl. La marque a diffusé une publicité caricaturale sur RTL et Nostalgie, mettant en scène des hommes et des femmes échangeant des propos très stéréotypés et genrés au sujet du sexe opposé. L’objectif de cette campagne était humoristique, en jouant sur des caricatures et en accentuant certains traits pour provoquer un effet comique.
Autre article sur les campagnes qui posent problème et qui parle de lidl : https://pub.be/fr/ces-publicites-outrageantes/
Le problème ? En accentuant les stéréotypes, une publicité humoristique peut facilement frôler ou même franchir des limites importantes, comme celles liées au sexisme, à la discrimination ou à d'autres grands principes éthiques.
Dans ce cas précis, la publicité de Lidl a été soumise à l'examen de deux organismes régulateurs : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et le Jury d'Éthique Publicitaire (JEP). Tandis que le JEP n’a pas jugé nécessaire de la réprimander, le CSA, plus strict sur la question, a décidé de la sanctionner.
Comment expliquer une telle divergence d’opinions au sein d’un même pays ? Selon Agnès Maqua, cette différence d’interprétation illustre la « zone grise » dans laquelle évolue l’humour publicitaire. Cette zone grise met en lumière les défis auxquels sont confrontés les annonceurs, qui cherchent à marquer les esprits tout en respectant les cadres éthiques et juridiques.
Cette affaire souligne la sensibilité croissante de la société et des associations de protection face aux dérapages potentiels. Bien que ces organismes jouent un rôle crucial dans la régulation, ils sont parfois perçus comme sévères, selon Agnès Maqua.
Cela pousse les marques à redoubler de prudence lorsqu’elles utilisent l’humour comme levier de communication. Cela signifie aussi que chaque message publicitaire doit trouver un équilibre entre la liberté d'expression, la liberté de création et d’autres droits, comme le droit à l’image, tout en s’adaptant à une société en constante évolution.
Les régulations, un frein à la créativité ?
Les dispositions d’autorégulation et l’accumulation des règles tendent à encadrer de manière stricte la publicité classique, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, mais elles n'en restent pas moins compréhensibles. Car certes, il faut cadrer l'humour, mais avoir constamment la pression des législations n’est peut-être pas la meilleure façon de favoriser la création et la liberté d’expression.
Un exemple marquant est celui de H&M, qui a fait face à une vague de critiques extrêmement virulentes pour une publicité jugée raciste mettant en avant un pull. Les conséquences ont été lourdes, tant sur le plan matériel que moral pour la marque. En réponse, H&M a dû instaurer un comité de contrôle des publicités afin de s'assurer que ses campagnes respectent les normes sociétales actuelles.
Cette démarche, bien qu’utile pour éviter les dérapages, illustre la problématique centrale : l’équilibre entre le respect des règles et la liberté créative. Si ces règles protègent contre les abus, elles peuvent également brider l’innovation et l’originalité des campagnes.
Le réel problème aujourd’hui, selon Agnès Maqua, est qu’il existe beaucoup plus de freins que de droits. Le monde de la publicité nécessite un équilibre entre les obligations et les droits mais la vérité est que cet équilibre est bancal et penche davantage vers des obligations strictes que vers un droit à la liberté d’expression ou de création.
« Pour être créatif, il faut être libre, mais cet encadrement va à l’encontre de cette liberté de création, » explique Agnès Maqua.
Le défi pour les jeunes créatifs
Pour les étudiants et jeunes professionnels, ce cadre strict peut s’avérer particulièrement décourageant. Agnès Maqua note avec inquiétude que beaucoup d’étudiants en communication tendent à s’autocensurer. En groupe, ils évitent les positions controversées, de peur de dépasser les limites imposées. Selon elle, cette tendance à « lisser » les opinions et à brider la créativité va à l’encontre de l’essence même de la publicité.
Le dilemme de la publicité humoristique est clair : si les règles sont nécessaires pour éviter les dérapages, elles ne devraient pas tuer l’innovation.
Les créatifs devraient d’abord pouvoir créer, puis adapter leurs concepts en fonction des contraintes. « Le droit ne doit pas interdire d’oser, » conclut Agnès Maqua. Le défi consiste donc à trouver un juste équilibre entre un cadre réglementaire adapté aux normes sociétales et une liberté de création qui permette d’oser et de repousser les frontières de l’expression humoristique.
- Isaure Simonneau, étudiante de l'IHECS.
Image : DALL-E