Le marketeer doit créer le futur

Le marketeur doit créer le futur - intro beeld - pub9-2014

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Voilà presque trente ans que Nils van Dam jongle avec le portefeuille de marques d'Unilever, bien que celui-ci se soit quelque peu dégarni au fil du temps – 400 marques désormais, contre 1.600 il y a dix ans. Tant d'années qui lui ont fait assister aux défis et transformations de l'entreprise, devenue aujourd’hui plus centralisée et plus orientée durable.

Chez les géants des FMCG, il y a ceux qui quittent après quelques années de service, un bon bagage marketing en poche... et puis il y a ceux qui restent, saisissant l'opportunité qui leur est offerte de gravir les échelons en interne. Nils van Dam est du deuxième groupe, à un détail près. A peine son diplôme d'ingénieur commercial décroché à l'Université d'Anvers, il se fait happer, consentant, par Unilever. Il reste à son service pendant treize ans, avant de vouloir retrouver ses racines belges. Après quelques détours, entre 1997 et 2003, par Interbrew (l'actuel AB InBev) et le bureau d'études de marché Censydiam, il y revient pourtant, rappelé par l'entreprise en sa qualité de spécialiste es-margarine. Il faut dire qu'il avait largement occupé le terrain de la matière grasse lors de son premier passage dans la maison et avait accompagné des recherches sur la margarine chez Censydiam. Nils van Dam accomplit avec brio la mission qui lui a alors été confiée et la logique d'évolution reprend son cours. En 2009, il devient responsable du marketing pour le Benelux... Jusqu'à être nommé country manager deux ans plus tard.

Vous êtes entré chez Unilever fraîchement diplômé. Vous voilà au poste de Country Manager. C'était l'objectif?
C'est assez habituel chez Unilever de suivre un parcours à travers plusieurs marques, plusieurs catégories, plusieurs pays. Finalement, mon parcours est assez classique. Pendant mes études, honnêtement, je rêvais de travailler chez Unilever. J'avais peut-être aussi Procter&Gamble en tête, mais je trouvais que les valeurs d'Unilever correspondaient davantage à ce que je suis dans la vie. Quand je suis entré, le groupe comptait encore six sociétés différentes, chacune avec un comité de direction, un patron et presque chacune avec sa propre usine, sa propre force de vente. L'entreprise laissait beaucoup de liberté à ses équipes, leur donnait la possibilité d'exprimer leur créativité, il y a avait quelques règles mais on pouvait en sortir. C'est toujours vrai aujourd'hui, mais c'est plus centralisé. C'est plutôt la combinaison entre le travail local, régional et global qui est intéressante aujourd'hui...
J'avais effectivement l'ambition d'être un jour directeur général d'une des sociétés du groupe, comme beaucoup de gens qui entrent chez nous d'ailleurs. On cherche à embaucher les talents: moi-même, j'essaye de recruter dans le top 20 des étudiants qui sortent chaque année des universités. Ce sont donc logiquement des personnes qui présentent le potentiel de grimper dans la société.

FINALEMENT, MON PARCOURS EST ASSEZ CLASSIQUE

C'est un passage obligé pour réussir dans le monde du marketing?
Il n'y a rien d'obligatoire. Mais Unilever fait partie des quelques écoles fantastiques dans le monde du marketing, ou du business en général. Unilever est la meilleure, sur un pied d'égalité avec que P&G. Dans de telles entreprises, on apprend beaucoup, on a vite des responsabilités, on a la possibilités de jouer avec des budgets importants. La plupart des autres entreprises belges préfèrent des gens un peu plus expérimentés, qui sont en milieu de carrière. Si nous suivons cette philosophie de donner leur chance aux plus jeunes, c'est parce qu'il y a 50-60 ans, les formations en marketing n'existaient pas. Unilever et P&G ont inventé le marketing! On a continué avec ce principe par ce que ça fonctionne bien: ça crée un réseau solide et une unité dans la mentalité de l'entreprise, on peut facilement bouger d'un pays à l'autre, on retrouve toujours la même philosophie.

Pourquoi être revenu chez Unilever?
Si j'ai quitté la société, c'était parce qu'elle souhaitait me faire faire un parcours très international. Cela ne collait pas à mes aspirations, surtout que je n'avais aucune garantie de retour. J'étais encore jeune, j'avais déjà fait trois ans au Portugal. Je voulais revenir en Belgique afin de retrouver mes racines pour ma famille. En 2003, Unilever est venu me chercher en me proposant quand même d'aller à Rotterdam. Il n'y avait pas de place en Belgique, mais ils avaient un gros défi à surmonter en margarine. Or, j'ai commencé dans le marché des margarines, où six ou sept marques occupaient des espaces dans le marché. On devait les gérer de manière à ce qu'elles deviennent complémentaires, qu'elles ne se chevauchent pas, mais qu'elles puissent toutes grandir avec leur personnalité propre. C'est cela pour moi le marketing le plus difficile, avec le plus de défis. C'est aussi celui que j'aime le plus, surtout quand les moyens sont là. Si on n'a pas les moyens, c'est bien plus difficile de gérer un tel portefeuille de marques.
Le problème en 2003, c'est que la plus grande marque de margarine Family Goodness – soit Solo en Belgique, Blueband en Hollande, Plantafin en France, Rama en Allemagne – était en déclin constant. Il y avait énormément de noms différents – plus de trente! – avec des pack designs différents, des campagnes de pub différentes,... mais tous étaient positionnés sur la même cible et présentaient les mêmes motivations. Le challenge était d'unir tout cela.
TOUT COMMENCE À PARTIR  DU CONSOMMATEUR
C'était un moment marquant de votre carrière?
C'est sans doute ce dont je suis le plus fier: avoir réussi à réaliser le turnaround de Family Goodness. Ça n'a pas été évident parce qu'il y avait énormément de pression. Plusieurs personnes avaient essayé avant moi, sans succès. En plus, à ce moment, Unilever était en train de se transformer, d'une société purement locale vers une société qui privilégiait les synergies globales avec une exécution locale. Et ce changement engendrait des résistances parce que les personnes qui travaillaient de manière globale avait du mal à comprendre les cultures, les langues, les diverses histoires de marques propres à chaque pays. Quels éléments du mix adapter? Lesquels conserver? C'était un véritable puzzle à assembler! En 2008, Family Goodness est devenue la marque d'Unilever avec la croissance la plus élevée! On a donc réussi, mon équipe et moi, à redresser la marque, et c'est sur ces bases qu'elle se bâtit encore aujourd'hui. J'ai non seulement relevé le défi, mais je l'ai aussi fortement aimé.

AU CENTRE, IL Y A LE MARKETING

Vous avez été élu Marketeur de l'Année en 2011. Qu'est-ce que cela change d'avoir cette approche marketing dans votre background?
Dans ma fonction actuelle, ce qui me reste de mon passé marketing, c'est que le consommateur est toujours au centre. C'est quasiment un réflexe qu'on se crée. C'est intéressant de voir combien le mot marketing a souvent mauvaise réputation: une large part de la population a cette idée ancrée dans la tête que le marketing, c'est « dire des choses qui ne sont pas vraies pour vendre un truc ». Pour moi, c'est l'exact opposé du marketing! Le marketing, c'est satisfaire les besoins du consommateur, et c'est parce qu'on satisfait ces besoins qu'on remporte du succès. Si on ne raconte pas la vérité ou si on ne satisfait pas correctement les besoins des consommateurs, le produit ne marchera pas. Et c'est d'autant plus vrai aujourd'hui, dans cette société si ouverte, avec des associations comme Test-Achats, des émissions comme « Volt » ou « On n'est pas des Pigeons » (ndlr: en TV, respectivement sur Eén et La Une), internet et les réseaux sociaux. Nous sommes obligés d'agir en totale transparence; nous ne pourrions pas tromper le consommateur, même si nous le voulions. La raison pour laquelle Unilever a de grandes marques, est leader dans presque tous les segments où nous sommes en compétition, c'est parce qu'on a toujours réussi à créer une relation entre le consommateur et la marque! Une relation correcte, honnête, où l'on fait ce qu'on dit. Cette philosophie change tout puisqu'elle induit que toute l'entreprise est orientée vers la satisfaction des besoins du consommateur.
On parle toujours de consommateurs, mais il y a aussi nos clients, retailers et distributeurs. C'est le même principe qu'on doit appliquer dans les relations B2B parce qu'eux aussi ont des besoins: des besoins d'entreprise, des besoins d'acheteurs, etc. Des besoins qu'on doit mettre au centre pour comprendre comment mieux les satisfaire de façon à créer un win-win et réaliser ensemble nos ambitions respectives.
Il existe des sociétés qui partent du produit ou d'une usine, qui suivent une approche « on a fait ceci, maintenant, il faut le vendre ». Evidemment, ça dépend aussi du secteur dans lequel on est actif. En ce qui concerne le FMCG, le consommateur est incontournable. Et c'est vraiment le marketing qui m'a conditionné en ce sens.

"Les informations que nous délivrent les réseaux sociaux, ce n'est qu'un angle de vue sur une réalité bien plus complexe."

De quelle place dispose le marketing dans la structure de management d'Unilever?
Le marketing occupe une place centrale. Dans le temps, c'était primordial, c'est-à-dire que le marketing était le département qui était le leader, le chef d'orchestre des choses. C'est toujours le cas, mais l'aspect de ventes – qu'on appelle « customer development » – a pris de l'importance parce nos partenaires, soit les retailers et distributeurs, deviennent de plus en plus grands, développent leurs propres stratégies, leur propre marketing. Comme nous vendons via eux nos produits doivent coller à leurs stratégies. Il est essentiel de trouver comment on peut s'aider mutuellement pour toucher le consommateur. On doit avoir un retour sur ce qui se passe avec nos marques dans les magasins pour pouvoir s'améliorer. Ils doivent nous renseigner sur les rotations de nos produits, ce qu'ils en tirent comme conclusions, qu'un produit ne plaît pas ou pas assez par exemple. La réalité devient toujours plus compliquée. En fait, dans ces sociétés-partenaires, c'est également le marketing qui prime, qui chapeaute toutes les fonctions, qui donne la direction, qui définit les priorités entre les marques. Encore une fois, tout ce qu'on fait commence à partir du consommateur.

POINTS DE VUE D'ANNONCEUR

Ce consommateur aujourd'hui, le connait-on vraiment?
Quoiqu'on en dise, le consommateur n'est pas du tout rationnel, il est surtout émotionnel avec une petite partie rationnelle, ou plutôt, où il rationalise. Beaucoup trop de gens pensent qu’il suffit de parler à cette facette rationnelle ou rationalisée du consommateur. C'est une erreur parce que le consommateur, quand il commence à rationaliser, il ne sait pas exactement pourquoi il agit de la sorte, même s'il donne une réponse qui semble réfléchie. Bien souvent, ce qu'il dit n'est pas la réalité: le consommateur ne sait pas lui-même pourquoi il adopte tel ou tel comportement.
Ce qui me frappe aujourd'hui, c'est que grâce aux technologies, on pense qu'on peut beaucoup plus connaître et suivre les consommateurs dans leurs moindres faits et gestes, sur les réseaux notamment. Pour moi, tout cela constitue seulement une couche très très superficielle; ce qui importe, c'est ce qu'il y a derrière. Comprendre les besoins profonds et créer des relations fortes, cela passe par la totalité d'une personne, qui est émotionnelle et un peu rationnelle. Les informations que nous délivrent les réseaux sociaux, ce n'est qu'un angle de vue sur une réalité bien plus complexe. Ce que les consommateurs expriment sur ces canaux, n'a que peu de valeur pour moi, sauf si on analyse les aspects profonds derrière ces contacts, ces informations cachées derrière tout ce qui est disponible. Ce ne sont pas les aspects visibles qui ont le plus de valeur, au contraire. C'est la même chose dans les études de marché: il ne faut pas espérer avoir de vraies réponses simplement en posant des questions. A chaque observation, il faut investiguer pour comprendre le pourquoi du comment. C'est naturellement essentiel pour nous d'observer le consommateur, de suivre les tendances, d'essayer de prédire ce qui va se passer... pour anticiper nos actions, tant au niveau de nos produits que de notre communication.

Et le travail du marketeur, en quoi a-t-il changé?
Le travail du marketeur se complexifie, ce du fait de trois facteurs selon moi. D'abord, c'est que tout va de plus en plus vite. Quand j'ai commencé, on faisait des nouveaux spots TV tous les deux-trois ans. Tout était testé et testable, de la tv au print, tout était relativement stable et prévisible, on avait le temps de tout contrôler avant la diffusion. Avec internet, c'est devenu extrêmement rapide, ça change chaque jour, on a des retombées en direct, il faut réagir tout aussi vite.
Ensuite, il y a beaucoup plus de manières par lesquelles atteindre le consommateur, les canaux se démultiplient et donc les éléments du mix aussi. Mais on a pas encore compris comment ces canaux sont utilisés par le public. Par exemple, quel est le mécanisme de visionnage partagés entre plusieurs écrans? Est-ce qu'il faut changer le son? L'image? Avec la télévision à la demande, qu'est-ce qui se passe? Et avec la possibilité de faire du « fast forward » sur tout? Doit-on réduire la durée des spots? Et tout cela c'est uniquement pour la TV! Il y a le web, les réseaux sociaux, etc. On a aussi de moins en moins de mesures sur les résultats du mix: pour le moment, il n'existe aucun outil intégré capable de précisément indiquer quels éléments du mix ont fonctionné, ou non. Quel est le ROI de chaque élément? Vers quel média dois-je me tourner? Est-ce que je dois acheter de l'affichage dans la rue ou près des supermarchés? Est-ce que je dois faire du sampling? Du push ou du pull sampling? Enfin, le consommateur devient de plus en plus exigeant, il veut de la transparence, le push marketing fonctionne de moins en moins. A mon avis, le pull marketing va augmenter à l'avenir, mais avec cette technique, on doit sans cesse séduire le consommateur, entretenir le dialogue, lui demander quelles sont ses envies,... Nous devons apprendre comment créer du « pull », pour remporter des succès comme la campagne « Dove Sketches » qui est pour moi le summum du pull-marketing.

NOUS SOMMES PARTANTS POUR TESTER DE NOUVELLES IDÉES.

On sait qu'on connait une période de tâtonnements... Peut-on compter sur les gros annonceurs comme Unilever pour tester et aider à y voir plus clair?
Quand on est leader et intelligent, on doit comprendre que répéter la même chose, ce n'est pas suffisant. C'est le rôles de nos marketeurs de créer le futur, et c'est la raison pour laquelle nous sommes toujours très partants pour développer des choses nouvelles avec les médias, pour expérimenter, pour être proactifs. Si le téléspectateur regarde la TV, c'est principalement pour se divertir. Alors nous devons, nous aussi, travailler à créer du divertissement. Notre devoir, c'est d'être les premiers dans tout, dans les tests également parce que si on est les premiers, le deuxième sera seulement à 30% de notre niveau – c'est une règle du marketing. Les annonceurs doivent tester... mais c'est aussi aux agences et médias de proposer des choses intéressantes!
CENTRALISER POUR CHANGER

De quelle marge de manœuvre dispose-t-on en Belgique dans un si grand groupe?
La marge de manœuvre dépend fortement de la marque et de la catégorie. Certaines sont extrêmement centralisées, du coup les décisions, point de vue marketing, se prennent au niveau global ou régional (autrement dit l'Europe). C'est le cas par exemple du lancement des déodorants « compressed »: comme il s'agit du développement d'une technologie, ça coûte de l'argent, ça demande du temps. Dans ce cas, on fait un roll-out et une adaptation de la campagne de pub pays par pays. Le plus gros du travail de l'équipe marketing est alors d'adapter la campagne au marché, de vérifier si elle cadre bien avec la Belgique, de l'enrichir éventuellement de l'une ou l'autre « touche belge » pour coller au marché et collaborer avec les distributeurs locaux pour aller dans la même direction. A côté de cela, on a Lipton Ice Tea. Même si la marque est devenue internationale avec un énorme chiffre d'affaires, c'est en Belgique qu'elle a été inventée en 1978. De ce fait, notre pays reste plus impliqué que les autres dans la création des campagnes, dans le développement du logo, dans la création d'événements ou actions particulières...

Quelle relation entretenez-vous avec les agences avec lesquelles vous travaillez?
Les quelques agences qu'on appelle « club agencies » sont sélectionnées au niveau global. On travaille donc avec leurs divisions locales, sans pouvoir choisir. Par contre, pour nos marques locales, on a nos propres agences. Et on essaye toujours de travailler en partenariat avec elles, de manière à « libérer le talent qui se trouve en elles ». Certains annonceurs croient peut-être qu'ils sont capables de tout faire, de A à Z. Dans ce cas, il vaut effectivement mieux qu'ils fassent tout eux-mêmes. Personnellement, je sais que je ne suis pas bon dans certaines choses: je ne sais pas imaginer une campagne, je ne suis pas la mode... Les agences ont des personnes qui excellent dans ces domaines. Pour bénéficier de leur talent, le tout c'est de leur accorder notre confiance, leur donner la liberté de s'exprimer, tout en les cadrant avec un bon briefing pour qu'elles répondent à ce qu'on recherche. C'est ma philosophie et j'encourage mes équipes à agir de la même façon avec les agences.
Je crois également dans les relations de long terme. Comme Unilever est une école, les employés tournent beaucoup, changent de marques plus ou moins tous les trois ans. Les agences sont alors les garantes de la marque, elles ont suivi son histoire, ont son ADN en tête, mieux que les chefs de produits qui viennent parfois d'arriver. Ce qui n'empêche pas les agences de devoir se renouveler pour être toujours au top sur une marque, pour ne jamais perdre leur côté innovant! Si on veut changer d'agence, mes équipes doivent se référer à moi. Idem au niveau mondial: il y a toute une procédure à suivre. Il faut justifier sa décision, montrer ce qui ne va pas, montrer qu'on a déjà essayé de trouver des solutions, etc. Je ne suis toutefois pas un adepte des compétitions: c'est beaucoup de frais, de stress, le travail qui en sort est rarement de la meilleure qualité... C'est pourquoi on ne fait que très occasionnellement des pitches créatifs, uniquement pour des projets énormes. Je préfère faire des pitches stratégiques parce qu'ils permettent de voir si on peut développer une bonne relation avec le management et les créatifs de l'agence. Pour moi, ça suffit parce que des personnes qui s'entendent bien produiront d'office un bon travail. Dans tous les cas, les pitches sont payés, à tous les participants.

Qu'est-ce qui a changé chez Unilever ces dernières années?
Il y a deux choses essentielles qui ont changé. La première, c'est que nous avons enfin trouvé une combinaison idéale entre le global et le local, le juste milieu. Un équilibre qui nous empêche de tomber dans les extrêmes: en étant trop global, on risque de perdre la connexion avec les consommateurs; en étant trop local, les synergies manquent et on ne transfère pas la connaissance. Avant nous étions trop local. Quand je suis revenu chez Unilever, sur la marque Family Goodness, il y avait plus de trente noms de marques avec chacun leur propre programme de développement. Autrement dit: il y avait dans trente pays, des équipes qui pensaient à de nouveaux produits, de nouvelles campagnes ou design, presque sans se consulter! Et s'ils se parlaient, c'était surtout pour défendre leurs propres idées, sans être à l'écoute des autres. Il a fallu du temps mais désormais Unilever a créé une structure qui facilite les échanges, le dialogue.
La seconde grosse modification, c'est notre mission sociale et environnementale. Unilever a toujours veillé à agir en ce sens, avec notamment le « Marine Stewardship Council » pour protéger les poissons du temps d'Iglo, ou les plantations de thé certifié durable. Mais depuis Paul Polman (le ceo du groupe depuis le 1er janvier 2009, ndlr), nous avons créé un lien entre la croissance et notre mission sociale: l'un n'empêche pas l'autre! De par notre taille, on a un impact énorme sur le monde. Deux milliards d'individus utilisent chaque jour un de nos produits. Si on réduit ne serait-ce que d'un pour cent la quantité de plastique d'un emballage... multiplié par deux milliards d'utilisateurs par jour, l'impact est automatiquement énorme! Donc notre responsabilité aussi est énorme. Voilà pourquoi nous voulons changer la chaîne totale et aller de plus en plus, dans nos matières premières agricoles entre autres, vers du 100% durable pour 2020. En 2012, on en était à 12%; aujourd'hui en 2014, on est déjà à 50% de durable.

"Paul Polman, le ceo du groupe Unilever depuis janvier 2009, a créé un vrai lien entre la croissance et notre mission sociale: l'un n'empèche pas l'autre."

Qu'est-ce qui a déclenché ce changement de mentalité?
Le fait qu'Unilever a dans son ADN ce principe: « on fait partie de la société et on veut donc rendre à la société, y contribuer ». La base était là, mais notre nouveau ceo a bien cristallisé cette idée parce qu'il est convaincu, tout comme moi, que si on ne change pas nos habitudes et notre comportement, on épuisera la planète, la planète qui sera celle de nos enfants et petits-enfants. C'est une mentalité qui va croissante dans notre société, le public est de plus en plus conscient de ce problème mais ne sait pas comment agir. Nous, dans notre mission de satisfaire ses besoins, ses envies, on lui propose des solutions qui correspondent tant à sa facette de consommateur (qui recherche le meilleur rapport qualité/prix) à sa facette citoyen (qui est pour le durable, l'écologique, etc.). Même si on est bien souvent la cible du « green paradox »: les multinationales, qui font le plus en faveur de l'environnement, sont celles qui sont accusées d'être la cause première de la pollution... Or, quand on regarde les chiffres, la plus grande part de pollution vient des déchets ménagers ou des comportements quotidiens des consommateurs.

Quels sont les KPI's pour votre entreprise et vos marques?
La durabilité est devenu un des KPI. C'est pourquoi on rend désormais un rapport annuel pour les résultats « durables » (quantité de déchets, émission de CO2, consommation d'eau, pourcentage des matières premières durables) comme pour les chiffres financiers de croissance et de rentabilité. On met ces résultats en parallèle pour trouver, à terme, un équilibre. J'aimerais que cela devienne obligatoire pour toutes les entreprises de créer cet équilibre.
UNILEVER A ÉTÉ TROP LOCAL
Pourquoi avoir réduit le portefeuille de marques?
C'était tout simplement une nécessité. Avant 2003, on avait plus de 1.600 marques. En gérer autant, c'était un travail colossal! Surtout qu'il y avait de nombreuses marques extrêmement petites, et trop peu de synergies entre elles. On a alors fait le tri, en conservant les grandes marques et celles spécifiques à certains pays, extrêmement importantes uniquement sur ces marchés-là. Tout le reste a soit été intégré dans des grandes marques, soit supprimé quand le « tail » de marque était tellement petit que ça n'avait pas de conséquence sur le chiffre d'affaires de l'entreprise. A partir de là, on a pu mettre plus de moyens derrière les grandes marques pour les faire évoluer, au lieu de disperser nos efforts sur toute une série de marques.

Être un homme Unilever
Quand il parle de ses équipes, Nils van Dam dit «  mes gens », avec quelque chose de protecteur voire de paternel dans les mots. Ses gens, il a l'air de régulièrement les conseiller, les faire profiter de son expérience. Serait-ce cela l'esprit de camaraderie entre collègues que le country manager confie tant apprécier chez Unilever? Il leur dit que le plus important, c'est de trouver le juste équilibre entre vie privée et vie professionnelle, que si des possibilités de carrière se présentent, c'est bien, mais ce ne doit pas être la réflexion essentielle chaque jour. Lui pourrait aller encore plus haut, mais ce n'est pas ce qui le pousse chaque jour. Nils van Dam rappelle qu'il y a beaucoup de chose à accomplir en Belgique et dans le Benelux (il est membre du board Benelux) et que pour le moment, il est heureux ainsi.

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Photos: Luc Hilderson (Image4You)