Le secteur du jeu vidéo : un univers d'entraide et de collaboration

4schools / Innovation / News

Jean Gréban est passionné par les jeux vidéo. Il travaille au sein de l’association Walga et nous explique comment l’entreprise soutient ce secteur depuis 2015 en Belgique. Nous allons voir comment retenir les talents locaux et comment les studios locaux peuvent se démarquer dans un marché mondial très compétitif.

Jean Gréban

Jean Gréban

Pouvez-vous présenter Walga et parler de ses objectifs ?

Walga est une association qui a été créée en 2015 par des studios pionniers en Wallonie, à Charleroi, Mons et Liège. Environ une vingtaine de studios ont été établis en Wallonie. Ce qui manquait à l’époque, c’était de la reconnaissance pour le secteur. Nous avons en effet remarqué qu’il y avait un problème d’emploi, car le secteur n’était ni soutenu ni financé, et donc, les jeunes diplômés s’expatriaient pour pouvoir travailler. Walga est né dans le but d’avoir plus de reconnaissance et de moyens pour le secteur.

La première étape quand l’association a été créée, c’était de faire la cartographie de tous les acteurs impliqués au niveau du jeu vidéo et de réfléchir à une stratégie. L’idée était de rassembler toutes entreprises et porteurs de projets ayant un intérêt pour les jeux vidéo, et qui nécessitaient un accompagnement.

Ma prochaine priorité, c’est de structurer l’écosystème et de renforcer nos formations pour développeurs de jeu, notamment avec notre master en jeux vidéo à la haute école Albert jacquard à Namur, mais également dans deux hautes écoles en province du Hainaut et dans la province de Liège. On y retrouve des cours plus techniques, plus créatifs, des cours de programmation, de game design, et même de business et marketing. On a effectivement besoin de ces compétences dans les équipes de jeu car il faut être capable de négocier des contrats avec les éditeurs et de créer un business model.

Les jeux vidéo, ce n’est pas que de l’informatique. On est une œuvre hybride entre informatique et artistique.

Considérez-vous que les intelligences artificielles telles que ChatGpt représentent une opportunité ou une menace pour le secteur ?

Je suis un optimiste concernant l'évolution technologique, je ne crains pas le progrès. Cependant, je suis également sensible aux enjeux sociaux et à la diversité dans l'industrie. Les femmes sont sous-représentées dans le secteur de l'informatique et des médias artistiques, et il y a encore beaucoup de travail à faire pour les amener vers ce secteur. Nous devons montrer l'exemple en organisant des événements mixtes et en encourageant la parité homme-femme.

En ce qui concerne l'IA, je pense que nous devons l'utiliser comme une aide à l'intégration et comme un outil pour la création. Cependant, cela soulève d'autres problématiques telles que la propriété intellectuelle. L'IA se nourrit de tout ce qu'elle trouve sur internet sans respecter le droit d'auteur, ce qui pose un gros problème pour le développement de contenu. J’ai rencontré un graphiste qui a fait le test. Il a demandé à L’IA de dessiner un dinosaure dans son style, l’IA a reproduit un dessin presque identique à celui qu’il avait réalisé 6 ans auparavant, publié sur Facebook.

Vous organisez beaucoup de formations pour les étudiants pour qu’ils puissent vraiment se former, mais organisez-vous également des formations pour des professionnels qui travaillent déjà dans l'industrie ?

Nous proposons principalement des formations pour les jeunes, en sensibilisant les étudiants aux débouchés et à l'état de l'écosystème wallon et belge. Nous travaillons avec la Cité des métiers et d'autres organismes pour créer un parcours pour les étudiants. Nous organisons également des événements et des conférences pour informer sur les différentes formations, financements et accompagnements disponibles pour le secteur des jeux vidéo. On a parfois des speakers professionnels et des étudiants qui viennent partager leur expérience avec la communauté belge. Nous avons ajouté à notre programme deux journées internationales business qui ont bien fonctionné. Là, on invite à rencontrer les studios belges, organisons des meetings et des séances de pitch. Il y a également notre évènement, le Game café, au niveau local. Ce sont des moments de rencontre autour de quelques bières qui permettent aussi aux plus jeunes de prendre contact, de networker et de s’informer auprès des créateurs, qui eux, proposent leur projet, échangent et recrutent parfois. C’est important de très vite rentrer dans l’écosystème et de se faire un réseau. On est dans un secteur où l’entraide est fort présente, on ne considère pas notre voisin comme un concurrent, car chacun travaille sur son propre projet.

Quels sont, selon vous, les défis dans le secteur des jeux vidéo en Wallonie ? Et l’avenir du gaming ?

Je dirais que le premier défi est la concurrence internationale. Il est crucial pour les studios de sortir du lot, que le jeu se vende, et de toucher un tiers du marché mondial. Ça, c’est vraiment ce que moi j’essaie de faire avec l’AWEX, on ouvre de nouveaux marchés afin de toucher tous les continents. Il y a un réel enjeu sur la localisation, sur le relais marketing, et il faut aller chercher des éditeurs dans chaque région du monde, à savoir l’Amérique du Nord, l’Amérique de Sud, l’Asie et l’Europe. Cela demande plus de travail, d’où la nécessité d’avoir des profils commerciaux et marketing capables de négocier des contrats et de gérer les relations avec les éditeurs.

Un autre défi est de retenir les talents locaux et d'éviter leur fuite vers d'autres pays. Pour cela, on peut proposer un nouveau modèle de travail, en permettant aux jeunes de travailler en télétravail avec une équipe québécoise, par exemple. Cela a un avantage compétitif au studio puisqu’ils peuvent travailler sur plusieurs tranches horaires et étendre sur une journée de 8h, jusqu’à des 12-15 heures de travail.

Parfois les projets sont très risqués car ils ne sont pas réalistes, il faut donc leur ramener les pieds sur terre. J’aime bien comparer ça avec le cinéma. Le premier jeu sera rarement un succès, comme au cinéma. On commence par réaliser un court-métrage qui agit plutôt comme une carte de visite, ensuite on ira chercher des fonds pour plus de grandiose. Contrairement au cinéma, nous pouvons tester avant de commercialiser, c’est un grand atout que notre secteur a la chance d’avoir. Les phases test « Alpha » et « meta » permettent d'améliorer le jeu avant sa commercialisation en testant les mécaniques, les aspects visuels, la musique, etc. Le "meta testing" est une méthode pour évaluer la qualité d'un jeu en collectant les retours des utilisateurs et en s'adaptant à leurs attentes.

Les industries viennent-elles vous chercher lorsqu’elles ont besoin d’accompagnement, ou c’est vous qui allez les chercher ?  Vous arrive-t-il de refuser de collaborer avec certaines personnes ou industries ?

Les deux. On aide tous ceux qui ont une démarche entrepreneuriale, et qui sont prêts à accepter certaines règles. Il n’y a aucun jugement de valeurs. On est financé par le ministre de l’Économie de l’emploi, de la formation et du numérique. Ils imposent des indicateurs comme le nombre d'entreprises, de projets et d'emplois créés.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes entreprises et aux professionnels de l'industrie pour réussir dans le secteur ?

Tester son jeu rapidement et s’ouvrir à son public. Nous aussi nous appliquons ce conseil, on participe à des évènements grand public, tel que le festival Made in Asia qui a eu lieu les 3,4 et 5 mars dernier. Ce sont des opportunités pour pouvoir se confronter à notre public, car ça nous permet d’être en face à face avec les joueurs.

Le tout est donc de vraiment bien se confronter à son public, de bien communiquer sur son projet, et de se créer une communauté.

Un article de Luana van de Poele, étudiante à l’IHECS.