Les agences média en métamorphose

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Dans son ranking annuel, l'UMA – United Media Agencies – se réjouit de la stabilité du chiffre d'affaire total 2013 par rapport à l'année précédente. Pour la croissance, il faudra encore attendre. Il faut dire que les agences médias sont à un tournant de leur existence. La globalisation de l'économie n'est naturellement pas étrangère à leurs développements et mutations. Mais l'élément-clef de la machinerie reste la numérisation du nombre d'opérations.

PUB a réuni autour de la table cinq représentants d'agences média qui occupent, selon l'un ou l'autre critère, le top 5 du classement de l'UMA. Le gratin du secteur en somme, qui aborde 2014 avec une relative confiance. Sylvie Irzi, managing director d'Initiative, pressent « une année du même niveau que 2013, sans gros changements de budgets. Certains clients font des choix radicalement différents, mais nous restons dans les mêmes enveloppes de budget. Donc, à moins évidemment qu'on perde des clients, je ne vois pas de gros mouvements de ‘ billing’ qui indiqueraient que 2014 se révèle plus compliquée au bout du compte. Et possédant un portefeuille de clients majoritairement nationaux, j'ai une vue assez claire des mois à venir. » Il faut dire qu'au contraire des agences de publicité, les agences médias, de part les types de contrats dont elles bénéficient, présentent une certaine inertie. « Les agences médias, ce sont des porte-avions, » illustre Bruno Liesse, managing director de Carat. Si bien que « nous disposons déjà – moyennant les forecasts imposés par nos clients en début d'année – d'une vision à 80-90% de notre chiffre 2014. » Même son de cloche chez François Chaudoir, ceo de Space: « Les seuls bouleversements peuvent venir de clients qui passent d'une agence à l'autre. Et nous savons pour quels clients il reste des points d'interrogation, du fait du contexte politique, économique, international... » Puis, si « cette partie variable apparaît plus difficile que ce qu'elle a été en 2004 ou en 2005, » complète Hugues Rey, ceo de Havas Media Brussels, « elle n'est pas pire qu'en 2012 ou qu'en 2013. »

LE POIDS DU REPORTING

Des agences sereines donc, malgré que le reporting – moins celui vers le réseau que celui demandé par les annonceurs – alourdisse largement la charge de travail. « J'imagine bien que les clients sont soumis également à pas mal de pressions, mais il arrive qu'ils chargent leur agence média d'examiner de l'information alors que celle-ci pourrait très bien être traitée en interne, » remarque Stijn Cox, Head of client services & strategy pour Omnicom Media Group Belgium. « Chez Space, le rythme du reporting client est quelque chose que nous appréhendons quand il s'agit de l'international, » reconnaît François Chaudoir. « C'est clair que tout cela parait drôlement organisé par rapport à la manière dont on gère les attentes des clients locaux. C'est beaucoup plus chronophage, ça demande plus d'agilité... Mais cela fait partie de la gestion des cadeaux qui nous sont offerts par ailleurs. »

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NOUS DEVENONS LE POINT D'ENTRÉE PRINCIPAL POUR LES ANNONCEURS. Stijn Cox

Evitons de généraliser: « Dans l'ensemble, mes équipes ne se plaignent pas d'un over-reporting pour les clients. A quelques exceptions près où, oui, ça devient effectivement affolant! Mais impossible à amoindrir parce que ces demandes proviennent du global, » confie Hugues Rey. « A un point tel qu'on peut parfois se demander ce qu'ils vont en faire! » intervient Bruno Liesse. « Il y a toujours eu des névrotiques du data, qui se sont parfois déplacés vers le digital, qui courent après les données sans nécessairement comprendre à quoi elles peuvent être utiles. Données qui, d'ailleurs, ne servent quelquefois à rien. Aujourd'hui, les 'road maps', les 'dashboards' sont très à la mode. Pourtant, ce ne sont pas des outils interprétables, c'est plus du contrôle que du tracking. Cela vient sans doute d'un certain climat, lié à la période de 2000 à 2009 où le manque de gouvernance de certaines entreprises a fait que – un peu comme les scandales alimentaires – il faut de la traçabilité. Alors on croit qu'on a le contrôle quand on a les données... mais en fait c'est franchement du temps perdu. »

DES SERVICES ELARGIS

Les agences média d'aujourd'hui ne sont clairement plus les mêmes que celles d'hier. Elles se sont notamment considérablement diversifiées. « Un must! » résume Sylvie Irzi. « C'est une adaptation à la vitesse de l'économie et du fonctionnement de nos clients. La diversification ne se fait pas uniquement dans le digital; elle va plutôt dans la digitalisation et la refonte de tous les médias. » Une évolution naturelle en somme, qui accompagne celle des clients. « L'erreur serait de croire que nous avons diversifié parce que nous n'étions pas capables de produire de la valeur ajoutée sur notre core business, » éclaircit Hugues Rey. « La réalité, c'est que le monde a changé: il y a un tas d'activités qui n'existaient pas il y a 10 ou 12 ans. Et nous sommes dorénavant également présents sur ces activités. » Des activités finalement pas si éloignées que cela du métier originel de l'agence média puisque « notre USP, c'est d'établir des connexions entre une marque et un consommateur, » rappelle François Chaudoir. « Après, il s'optimise à différents degrés de technologie selon qu'on fait de la télévision, de l'événementiel, etc. »

LA STRATÉGIE SE BASE PLUS SUR LA RÉFLEXION MÉDIA QUE SUR LA RÉFLEXION CRÉATIVE. Bruno Liesse

Mais dans cette optique, n'assisterons-nous pas, à moyen terme, à un retour des agences média au sein des agences? « Il n'est pas question d'absorber l'un ou l'autre. L'on parle davantage de collaboration, d'intégration, d'orchestration... » détaille Sylvie Irzi. « De nos jours, la majeure partie des outils de planning, ou en tout cas leur utilisation vers le client, se trouve nettement plus au niveau de l'agence média qu'au niveau de l'agence créative. » De plus, les agences de communication combinent désormais un large éventail de disciplines. « Avec une majorité d'acteurs qui sont des spécialistes crédibles et compétents dans ce qu'ils font, » insiste Bruno Liesse. « Mais en Belgique, le secteur se fragmente tellement qu'il n'est plus si évident de croire que les agences above-the-line généralistes, par exemple, possèdent encore le lead sur les stratégies de comm', sur les marques ou sur la compréhension du consommateur. Il y a un vrai changement: les responsables above-the-line sont devenus des experts parmi d'autres, au même titre qu'un web developer, qu'un organisateur d'événements ou qu'un média planner, sans plus. » Et les agences média, elles aussi, se voient amenées sur de nouveaux terrains: « Nous devenons de plus en plus le point d'entrée principal, » observe Stijn Cox. « De plus en plus de clients, de très gros clients, s'en remettent à nous pour des conseils beaucoup plus poussés, ou leur fournir un service, comme l'adaptation d'une stratégie au territoire belge. Nos départements de recherche dépassent maintenant amplement les questions purement médias. D'ailleurs, on arrive de plus en plus souvent avec des informations que les clients n'ont pas obtenues de leur agence de comm'. » C'est là une transformation majeure: l'agence média, jadis simple centrale d'achats, se retrouve maintenant à la table stratégique. « Si pas avant, au moins en même temps que l'agence créative, » précise Sylvie Irzi. « Avant de penser à la 'big idea', on va d'abord déterminer qui on doit toucher pour vendre quoi et comment, pour ensuite mettre en place toute la stratégie. »

DES COMPETENCES A VALORISER

La profession change indubitablement. Parce que les canaux et points de contact se complexifient, parce que le consommateur se comporte différemment et que le contexte économique évolue. « Nous sommes tous en transformation constante depuis des années. Si les compétences changent, c'est parce que les attentes des clients changent et nous avons bon espoir de valoriser ces compétences, » rappelle François Chaudoir. Autrement dit: « A partir du moment où l'on répond à des attentes supplémentaires, le défi c'est d'être rémunérés correctement, » soulève Hugues Rey. « Ce n'est pas si évident parce que nous venons d'un métier où l'on a appris à vivre avec une concurrence des prix et une intervention du 'procurement' qui a pu, par moment, être démesurée par rapport aux enjeux, nos interlocuteurs évaluant le prix sans pouvoir juger complètement de la qualité ou du travail. » Pourtant, même certains départements marcom des clients fustigent cette approche par les chiffres. « Au sein même de la structure annonceur pour laquelle ils travaillent, certains parlent de gestapo du procurement, » raconte Bruno Liesse. « Nos contacts abondent donc dans notre sens. Le souci, c'est à nouveau le manque de gouvernance passé. En découvrant la façon dont des contrats avaient été établis ou comment certaines agences facturaient leurs prestations, les responsables des achats ont fait rappliquer les audits. Cela a également contaminé les services média. On n'en a pas mal souffert, soumis à des analyses croisées de certaines modalités d'achat qui sont totalement improductives. »

L'ACHAT EST LE MÉTIER LE MOINS RÉMUNÉRATEUR ET LE MOINS DIFFÉRENCIANT. François Chaudoir

Toujours en ce qui concerne la rémunération, ce n'est pas en privilégiant l'achat, le volume, que les agences média peuvent se constituer une marge bénéficiaire. « C'est même tout-à-fait contre productif, » coupe court François Chaudoir. « L'achat reste le métier le moins rémunérateur de notre industrie – même s'il est générateur, par ailleurs, de probablement plein de productivité pour le client. » Le temps où les agences média se défendaient sur l'achat est révolu. « C'est aussi l'élément le moins différenciant pour nous, parce que plus aucun client ne doute qu'une agence média ne sache convenablement acheter un plan. D'ailleurs, lors des pitches, les annonceurs nous interrogent sur toute une série de choses, dont l'achat, mais sans plus particulièrement insister sur ce point. Nous sommes beaucoup plus amenés près du conseil et de la stratégie que de l'achat pur. » Hugues Rey abonde dans le même sens: « Si vous voulez garder vos clients, vous avez tout intérêt à les gérer d'un point de vue stratégique plutôt qu'assurer du volume. C'est la bonne façon de vous assurer une relation saine, complète et à valeur ajoutée avec votre client. »

UNE BONNE STRATEGIE, CA SE PAIE

Qui dit nouveau métier, dit souvent nouveau business model. Sylvie Irzi confirme: « Ce n'est pas tout de le dire parce ça demande énormément d'investissements en infrastructures, en technologies, en ressources humaines... Cela exige donc qu'on dispose d'un peu de jus, alors même que nos marges ne sont pas énormes – quand on en a! Mais il nous faut modifier notre business model. Clairement. Nous devons penser quelque chose de plus évolutif. » Ce que Carat essaye de mettre place, « c'est de se faire rémunérer aux honoraires, à l'heure tout simplement, » explique Bruno Liesse. « Parce que tout le conseil stratégique que l'on prodigue n'aura pas de valeur si, comme pour les agences de pub dans les années '80-'90, il est offert. Le strat' planning – à distinguer du planning tactique – c'est sans doute le plus important des services parce que tout le travail qui suit en dépend. »

LE MARCHÉ BELGE EST PROTECTIONNISTE AVEC SES MÉDIAS. Sylvie Irzi

Une approche plus stratégique implique plus de traitement de données et des conseils supplémentaires, « c'est une opportunité à ne pas rater en termes de monétisation » insiste Hugues Rey. D'autant plus que, selon Bruno Liesse, « la stratégie se base davantage sur la réflexion média que sur la réflexion créative! C'est quand même un comble que, lorsqu'on est invité à participer à une réunion internationale, l'on ne soit pas rémunéré, alors même que c'est parfois l'agence média qui trouve la ‘ big idea ’ conceptuelle! Il y a donc là une vraie valorisation à apporter: soit on ne participe plus à ce genre de réunion, soit on se fait payer pour. » Le tout est donc de parvenir à un niveau de profitabilité acceptable, juste, pour le service de chacun. « N'oublions pas que c'est aussi positif pour les annonceurs que les agences médias fassent du profit, parce que c'est de l'argent qui est réinvestit pour eux, » conclut Stijn Cox.

L'AUTOMATISATION EN QUESTION

Quand on leur parle digitalisation, nos cinq interlocuteurs sont unanimes: dans le secteur de la comm', cette évolution a plus que jamais créé de l'emploi! Oui, mais les outils automatisés, tels le real-time bidding ou le programmatic buying? « La diversité de l'offre, la multitude de combinaisons possibles, les mouvements du consommateur, la rapidité à laquelle tout cela doit se mettre en place,... rendent impossible le boulot exclusivement humain, » éclaircit François Chaudoir. « Du real-time bidding intelligent, c'est très compliqué à gérer, » ajoute Bruno Liesse. « Il faut des humains avant, pendant et après. On a jamais acheté uniquement à l'économique – le contextuel, le qualitatif a aussi énormément d'importance. Même si des machines tournent, c'est quand même nous qui les pilotons, donnons des instructions et mettons des bornes. Et le but est de faire du retargeting, pas du low cost. Le real-time bidding ne fera perdre d'argent à personne à partir du moment où il est bien utilisé et dans une perspective moyen-terme. »

L'AUTOMATISATION MET EN AVANT LA VALEUR RÉEELLE DES MÉDIAS. Hugues Rey

Face aux éditeurs frileux de recourir à ces nouveaux procédés, Hugues Rey rassure: « Si on utilise mal ces outils, c'est-à-dire pour acheter plus et moins cher, alors on risque de détricoter le paysage médiatique. Mais si le système est correctement paramétré, on arrive à pouvoir différencier les prix en fonction des situations et de l'individu, on devient capable d'interconnecter la réalité de ce qui se passe chez l'annonceur, de ses médias et de ses points de vente propres... Et on met encore plus en avant l'utilité des médias et leur valeur réelle! Le challenge est donc de trouver la vertu dans le modèle. » D'autant plus que ces outils sont déjà en place: depuis la fin mars, Havas Media Brussels teste son système de programmatic buying en Belgique. « Le problème, c'est que les discussions à ce sujet n'ont pas lieu d'être, » tranche Sylvie Irzi. « Nous gérons un business qui cherche la connexion à un consommateur au travers de médias que nous achetons. Pour cela, nous avons besoin d'outils. Hier, c'était un optimiseur TV; aujourd'hui, c'est un outil d'achat programmatique automatisé qui ratisse large, qui permet d'être le plus précis possible avec le meilleur coût possible – ce qu'un humain ne sera jamais capable de faire. Je ne pense donc pas qu'il y aura un problème de volume. Peut-être un problème de monétisation de ce volume pour les régies, problème qu'il faudra résoudre. » Des questionnements qui ne sont pas sans rappeler celles qu'ont provoqué l'arrivée du « coût au clic » dans notre pays. Sylvie Irzi analyse enfin: « La Belgique est un marché qui a tendance à être protectionniste quand il s'agit de ses médias. Les décisions sont fermées et ne vont pas dans l'intérêt de l'écosystème dans lequel fonctionnent ces médias. Si nous n'avons plus les volumes de médias locaux, nous aurons encore les volumes de players internationaux qui les compenseront parfaitement, avec peu d'impacts pour l'annonceur. La Belgique n'est pas la seule dans cette situation. Même un Facebook peut se planter s'il n'a pas une vraie volonté d'innovation. Bougez pour développer d'autres choses! »
Des agences algorithmiques
Aujourd'hui, il n'est plus possible d'assurer la planification d'une campagne média à la main. L'instantanéité de l'internet, son flux tendu, contraint tous les acteurs du secteur à confier une partie croissante de leur « ancien » know-how à l'intelligence artificielle et algorithmique de nouveaux programmes. On pourrait craindre que cette technologie entrante balaye notre édifice média, simplement parce que les coûts de la vente mondiale d’espaces publicitaires n’a aucune mesure avec la tarification appliquée dans un petit pays comme le nôtre, ce qui permet d'ailleurs de rétribuer médias, travail… D'un autre côté, pourquoi ne pas plaider pour un réveil du marché et une prise en main du meilleur de ces technologies, intégrées dans un éco-système efficace pour tout le monde? Si l'approche Ad Exchange est intéressante, certains médias s'en préoccupent pourtant. Que dire alors du programmatic buying? Christine Brone, consultante média et ex-managing directeur de Carat, ne s'en inquiète pas. « C'est un développement positif que nous n'avons pas à craindre. Ce type d'achat finira également par faire son apparition dans les médias classiques, non digitaux. Mais on aura toujours besoin de spécialistes locaux dont le rôle consistera plus à analyser et interpréter. Cette manière d'opérer demande à la fois du courage de la part des médias, mais aussi des annonceurs. Le programmatic buying est plus ciblé et donc plus efficace. »
Un manager, fin analyste des médias audiovisuels, nous confie cependant: « Si on ne réagit pas les médias seront aspirés dans un trou noir! ». Et se pose la question: « Va-t-on laisser les agences médias devenir les banques de dépôt de l'argent des annonceurs et des banques d'investissements pour leur propre compte? » Car derrière des choix opérés par des algorithmes, il y a naturellement un gros business en jeu. Celui-ci passe par des négociations au centre desquelles la question du juste prix devra trouver réponse. Actuellement, les attentes des annonceurs reposent sur trois axes, souligne Christine Brone: « Ils cherchent des partenaires qui peuvent les aider à accélérer leur centralisation interne afin d'avoir une meilleur maîtrise sur leurs coûts et revenus; en créant des économies d'échelle et en mettant en place les bonnes pratiques. Leur agenda digital prend une place importante sur le plan marketing. Celui-ci est décidé au niveau des quartiers généraux mais les structures locales doivent en répondre en minimisant les risques média. Et last but not least, centraliser l'achat média dans un réseau pour répondre à des objectifs financiers devient une priorité et signifie que l'achat média reste un levier important. »

Ph.W.