Les annonceurs sont perdus

Les annonceurs se sentent perdus - Bruno Liesse - pub9-2012

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Agences et annonceurs manquent de transparence

Oui, les annonceurs reconnaissent les qualités d'adaptation et la flexibilité des agences. Oui, ils apprécient qu'elles ne fassent pas de la créativité gratuite et qu'elles se diversifient. Oui, ils estiment leur capacité à les inspirer. Mais malgré tout, ils relèvent de nombreuses faiblesses dont les agences de communication n'ont pas forcément conscience. C'est ce que dévoile la dernière analyse de Deep Blue.
Bruno Liesse (Deep Blue): "Dites ce que vous faites aux annonceurs et faites ce que vous dites!"

·        Les annonceurs manquent de repères dans un marché hyper-fragmenté
·        Le manque de clarté dans les coûts serrent les budgets
·        Les agences doivent soigner leur organisation
·        Une incompréhension mutuelle déjà soulignée par Greenhouse BBC et PUB

Le constat de la dernière étude de Deep Blue est clair: les agences de communication ne comprennent pas réellement les attentes de leurs clients. Mais si ces derniers s'en plaignent, ils ne le font pas face aux agences et manquent clairement de franchise au moment de remplir les régulières évaluations! À tel point que les agences ne se rendraient pas compte de leurs faiblesses sans ce type d'étude.

Reprenons. Deep Blue a mené ces derniers mois une vaste recherche sur les tendances de l'industrie belge de la communication et du marketing. Inside central: l'incompréhension mutuelle déjà mise en lumière par l'enquête Greenhouse BBC-Pub* de 2008 qui révélait qu'agences et annonceurs ne parlaient pas le même langage. 20 agences – tant des spécialistes de l'activation, des boîtes online que de « grosses machines » – ont souscrit à l'étude complète en fournissant les noms de 3 à 5 de leurs principaux clients. Ce sont donc au total 56 interviews sur-mesure qui ont été menées en face-to-face avec les cadres décideurs des entreprises indiquées. Ils ont dû parler des agences avec lesquelles ils collaborent et de leurs manières de faire. En parallèle, une évaluation quantitative a visé 170 managers et seniors via des formulaires en ligne, de façon à en apprendre davantage sur la notoriété des agences, leur pénétration et leur réputation.

À la recherche de strategic planners
Première révélation: Les annonceurs sont parfaitement au courant que les tarifs-horaires des agences belges sont nettement moins importants que ce qui peut être demandé chez leurs voisins. Ils assurent d'ailleurs ne pas vouloir revoir leurs budgets à la baisse dans les prochaines années, à la seule condition qu'ils aient accès à davantage de clarté, d'argumentation dans le détail des devis... Et qu'on leur démontre l'efficacité des campagnes pour lesquelles ils paient. Il faut croire que le manque de gouvernance dans la gestion des budgets – reliquat de l'âge d'or des publicitaires où l'on ne leur demandait pas de rendre des comptes – a amené au raidissement actuel. Mais en réalité, personne ne pense qu'à la marge les agences sont chères.
C'est que les annonceurs font dorénavant de moins en moins confiance à leurs interlocuteurs. Ils se sont sentis floués à maintes reprises et font état de nombreux manques auxquels les agences de communication ne répondent pas.

Mais quels sont ces manques? Si l'on résume, toutes les critiques formulées à l'égard des agences relèvent essentiellement d'une cruelle absence de strategic planning. « Il y a aujourd'hui en Belgique moins de cinq agences équipées en strategic planners et qui font payer pour ce service. L'immense majorité ne le fait donc pas, alors même que les annonceurs sont plus que jamais à la recherche de conseillers en stratégie dignes de ce nom » synthétise Bruno Liesse, directeur de DeepBlue. Cependant, cette fonction a un coût. Les annonceurs reçoivent donc le retour de leur désinvestissement absolu et relatif: diminution du volume des budgets et pression sur les marges.

En manque de repères
Ce n'est pas tout. Crises à répétition et montée du digital ont accéléré la fragmentation du marché. Pour attirer la clientèle, toutes les agences proposent de tout. Elles multiplient les services et se lancent dans le digital, sans vraiment en connaître les techniques. Tant et si bien que les annonceurs admettent se sentir complètement perdus, en total manque de repères. Surtout qu'ils ne peuvent plus se référer à des agences-pilotes.
Les annonceurs confient leur budget "communication" à 4,5 partenaires en moyenne.

En effet, l'on assiste à un paradigme de type shift: Les agences se déclarent d'être ouvertes à tout, être capables de répondre à toutes les demandes et refusent de se positionner clairement afin de ne pas se fermer de portes. C'est ainsi que les agences below prétendent pouvoir faire du « above » alors que ce n'est pas le cas. Ou que les agences digitales refusent d'être étiquetées comme agences online. Quant aux agences above-the-line, elles ne veulent plus être considérées comme telles parce que cela tend à les enfermer dans une catégorie. Du coup, elles se lancent elles aussi dans le digital. Mais de ce fait, le lien automatique entre le fait de s'occuper de l'above-the-line et d'être tant le gardien de la marque que le gestionnaire de la stratégie ne se fait plus. Et les annonceurs se noient dans la jungle de ces agences, peut-être devenues trop nombreuses.
Etude quantitative online: "Parmi les agences suivantes, lesquelles connaissez-vous? Même uniquement de nom?"

La critique se fait encore plus acerbe en ce qui concerne les projets online. La plupart des actions de ce type ne sont présentées avec aucune stratégie digitale à proprement parler. On promet aux annonceurs – parce que cela fait partie de leurs demandes – d'augmenter leur nombre de fans, de views ou de revisiter leur site web, mais sans leur indiquer quel sera le return de tels agissements. C'est clair: les clients réclament plus d'informations quant au ROI et aux mesures d'impact. De même, les agences non-spécialisées font souvent appel à des sous-traitants pour régler les aspects techniques et l'exécution de certaines actions, principalement digitales. Et alors même que les agences cachent ces pratiques aux annonceurs, ceux-ci disent n'avoir rien contre... À condition d'être mis au courant! Ils réclament donc davantage de transparence. Transparence des coûts, des résultats mais aussi des problèmes techniques qui pourraient survenir.
Etude quantitative online: "Avec quelles agences travaillez-vous ou avez-vous déjà travaillé?"

Des agences organisées et conseillères
En perte de référents, les annonceurs acceptent de travailler avec différents partenaires (4,5 en moyenne, cfr. graphique). Pourtant, si cette réaction n'est pas bénéfique aux publicitaires, elle n'est pas non plus évidente à gérer pour les annonceurs. Ils doivent faire face aux conflits de politique commerciale entre les différentes boîtes avec lesquelles ils travaillent, tout en risquant de perdre de la cohérence au niveau de leur marque et de leur communication. Autre tendance liée à ce manque de repères: de plus en plus d'agences commencent à s'attribuer des compétences de communication en interne.
C'est ainsi que l'on découvre que les annonceurs attendent avant tout d'une agence qu'elle remplisse le rôle de conseiller. Qu'elle soit un guide vers les différentes actions à mettre en œuvre (est-il, par exemple, intéressant pour nous de nous lancer dans le digital?), tout comme les boîtes dites intégrées. Mais aussi qu'elle les oriente vers les sous-traitants champions en leur domaine, et ce même au moment de l'étape créative. L'agence de référence garderait le lead, en s'assurant que le briefing de base soit respecté par l'ensemble des partenaires.
Précisons: Les annonceurs ne remettent absolument pas en cause le potentiel créatif des agences. Ils s'intéressent bien plus à la question de savoir si celles-ci sont bien organisées au travail et si elles disposent de process internes pour contrôler leurs projets. Sur ce point, les audits de forme prennent du sens puisqu'ils aident les agences à progresser au niveau de leur organisation, ce que préfèrent les annonceurs.

La transparence avant tout
Tout cela est d'autant plus difficile que les agences sont soumises à la pression des procurements et directeurs généraux qui exigent du résultat, à celle de la responsabilité des investissements médias... Mais aussi à celle de leurs actionnaires qui cherchent toujours à payer moins. Et c'est certainement une des causes de la juniorisation des équipes publicitaires. Cela a malheureusement des conséquences sur le travail accompli parce que les jeunes, s'ils coûtent moins chers, n'ont pas la même connaissance des pratiques. D'où de propositions trop nombreuses de campagnes infaisables dans les budgets, délais et législation imparties. Et cela aussi énerve les annonceurs.
« L'on doit commencer par avoir affaire à des annonceurs beaucoup plus francs et directs, de manière à ce que les agences se rendent compte de leurs faiblesses. Ils doivent aussi se montrer plus structurants, moins passifs vis-à-vis de l'évolution nécessaire des agences, » conclue Bruno Liesse. De leur côté, les agences ne doivent pas se restreindre à réaliser de belles et grandes campagnes; elles doivent aider les annonceurs à mettre de l'ordre dans leur organisation interne et leur flux de communication en se montrant pragmatiques, précises et transparentes. En bref, « qu'elles disent ce qu'elles font et qu'elles fassent ce qu'elles disent ».

* Greenhouse BBC a changé son nom et seappelle maintenant Narroway.