Les nouvelles formes de Greenwashing, rencontre avec Kathrin Hartmann

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Le 24 octobre 2019, PUB organisera la deuxième édition de sa conférence Orbit by PUB autour de la communication durable. Cette année, l’évènement sera entièrement consacré au #changement ! Un constat: Les industriels semblent investir plus de temps et d’argent à «verdir» leur image plutôt qu’à changer profondément leur manière de produire. Beaucoup d’entreprises veulent se responsabiliser mais sans que ça ne leur coute trop d’argent et c’est là tout le problème. Voitures électriques, huile de palme labellisée bio, commerce équitable... ces produits permettraient de sauver la planète. Vraiment ? Il s’agirait pourtant d’une pratique dangereusement populaire et qui se complexifie : le Greenwashing ou éco-blanchiment. La journaliste allemande Kathrin Hartmann enquête sur ce phénomène depuis dix ans. Nous l’avons rencontrée.
Le Greenwashing, ce n’est qu’une question d’image ?
Pas seulement. Il s’agit aussi de pousser le consommateur à acheter des produits en lui faisant croire qu’ils sont bons pour la planète, d'abolir la critique des consommateurs et de la société et il s’agit aussi de faire croire aux politiques : « vous ne devez pas nous prendre en compte, vous ne devez pas nous gérer, nous le faisons volontairement et nous pouvons le faire mieux que les politiques à travers une  loi. » Et cela fonctionne très bien !

Ci-dessus, la bande annonce du documentaire, The Green Lie, réalisé par Werner Boote avec la participation de Kathrin Hartmann, directement inspiré de son dernier livre qui enquête sur les stratégies de greenwashing des entreprises. Sortie officielle du film en Belgique le 13 février.

Certaines entreprises se tournent sincèrement vers le durable. Comment faire pour que le consommateur ne perçoive pas ces efforts comme du greenwashing ?
Il ne s’agit pas de bonnes et mauvaises entreprises. Tout est question de lois et de règlementations. Certaines entreprises sont responsables en effet. Elles n’ont pas de chaines d’approvisionnement aux quatre coins du monde et ne se servent pas de ressources du Sud. Celles là peuvent produire durablement. Mais quand nous parlons de grandes entreprises telles que Nestlé, Bayer, Unilever, BP,… Elles sont toutes les mêmes ! Elles suivent la même structure et dépendent de la politique, des lois qui ne les considèrent pas responsables si elles portent atteinte aux droits de l'homme ou nuisent à l'environnement. Rappelez-vous l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh ( ndlr La Catastrophe de Dacca qui a provoqué la mort de près 1200 personnes) … Aucune des entreprises occidentales qui y faisaient confectionner des vêtements  n'a été tenue pour responsable. Elles n'ont même pas eu à payer d'indemnité. Elles l'ont fait volontairement mais l'industrie textile n'a pas changé du tout.
 

« Rappelez-vous l’effondrement du Rana Plaza…
Aucune des entreprises occidentales
qui y produisent n'a été tenue responsable. »

 
Unilever, Nestlé, Bayer,… des entreprises exemptes des lois ?
Oui, elles sont au dessus de la loi. C’est plus une question de pouvoir que d’éthique. Unilever est mon meilleur exemple car j’ai enquêté sur cette entreprise pendant des années. J’ai fait énormément de recherches et je me suis rendue sur certaines de ses plantations en Indonésie. Le patron d'Unilever, Paul Polman, prétend que son entreprise " est la plus grande ONG du monde." Sachez cependant que pour produire des aliments prêts à consommer comme la soupe en poudre, Unilever utilise huit millions de tonnes de matières premières responsables de la destruction de la moitié des forêts chaque année dans le monde. En effet, Unilever dépend de trois matières premières qui sont responsables de la moitié de la déforestation : l'huile de palme, le soja et le bœuf. Il n’existe pas de bonne façon de produire ces matières premières en si grande quantité. Par exemple, les monocultures d’huile de palme en Malaisie et Indonésie, uniquement pour Unilever, sont deux fois plus grandes que Tenerife. C'est de la folie. D’autant que les produits qu’ils nous vendent par la suite ne sont pas franchement excellents pour la santé !

« Unilever utilise huit millions de tonnes
de matières premières responsables de la destruction
de la moitié des forêts chaque année dans le monde. »

 
Pouvez-vous citer quelques entreprises qui sont convaincantes en matière de développement durable ?
Des entreprises réalisent certains projets. Elles ne mentent pas. Elles sont impliquées dans des projets avec des ONG, travaillent avec les communautés locales. Mais seulement dans une certaine mesure afin que cela ne nuise pas à leur profit. Cela n'apporte au final pas de changement fondamental. Ces projets, même s'ils sont excellents ne sont rien en comparaison avec la destruction qui est en train de se produire. Bien sûr, si vous allez sur la page de garde de Monsanto ou Unilever, vous avez l’impression d’être sur un site des Nations Unies (ils promettent de respecter les 17 objectifs des Nations Unies). C’est ça le plus dangereux, c'est que ces entreprises travaillent avec des programmes environnementaux, avec les Nations Unies... C'est difficile de voir ce qui se passe. Je me préoccupe de Greenwashnig depuis dix ans maintenant et il y a dix ans, il s'agissait juste d'Igloo prétendant sauver les océans en faisant la publicité d'un don au WWF. Aujourd’hui, il y a tellement de nouvelles formes d'éco-blanchiment….
Ces entreprises, depuis dix ans, réagissent-elles à vos critiques ?
Pas du tout. Ca ne les blesse pas. Je ne suis pas la seule à dénoncer ça. De grosses ONG le font aussi, l’ont fait avant moi et le feront encore. Beaucoup de preuves démontrent leur violation des droits de l’homme et la destruction de forêts. Et cela se déroule depuis près de 20 ans. Unilever par exemple cofinance la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO). Or l'huile de palme durable n'existe pas. Et de toute façon, depuis cette initiative, la déforestation se poursuit et augmente même. Je ne crois pas en l'action volontaire des entreprises, je pense qu’il faut des lois. Vous savez, il est très facile de voler la terre des petits agriculteurs indigènes, parce que la situation des droits fonciers est très difficile en Indonésie. Et c'est facile d'exploiter les gens. Nous parlons ici d’esclavage moderne. Et j'ai été témoin de ça. J'ai même vu des enfants exploités au travail, dans des plantations qui étaient celles de fournisseurs pour Unilever et certifiées RSPO.

« J'ai vu des enfants exploités  dans
des plantations certifiées RSPO qui étaient
celles de fournisseurs pour Unilever. »

 
L’unique solution, pour vous, passe par les lois ? Les politiciens sont-ils trop faibles ?
C’est aussi une question de mode de vie… Nous devons trouver un système qui empêche la production de matières premières en trop grosse quantité. Certaines entreprises sont vraiment sérieuses... Elles veulent changer, mais elles disent qu'elles ne peuvent pas le faire parce qu'elles perdraient tellement de profits. Les politiciens font partie du système et subissent l'influence énorme des lobbyistes, c'est vraiment une question de pouvoir. C'est une très vieille histoire. En Allemagne par exemple, notre industrie menace toujours la politique "si vous nous réglementez, il y aurait une énorme perte pour le pays, nous allons supprimer de l’emploi, etc." C’est du chantage ou au moins une excuse face à la question du changement. La politique dit que la société n'est pas prête à changer mais c’est par peur de perdre les élections.
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