SOS marketing en péril

SOS marketing en péril - Jean Cornet - pub11-2013

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Le marketing traverse une crise grave. Plusieurs études pointent du doigt le manque de confiance qui règne dans le secteur, aussi bien du côté des marketeers eux-mêmes que de leurs dirigeants. Et tirent la sonnette d’alarme: il est temps de réagir! Le secteur a peut-être davantage changé ces deux dernières années qu’au cours des cinquante précédentes. Mais il devient plus que nécessaire de prendre son courage à deux mains et d’affronter la situation.

Jean Cornet: "Les marketeers se sont aussi laissés griser par les réseaux sociaux. Ils ont convaincus leur direction de s'y lancer, arguant que c'était gratuit et qu'on pouvait tout mesurer"
Pessimisme. C’est le mot-clé qui domine les résultats du « Yearly Marketing Survey 2013 ». Chaque année, depuis dix ans, The House of Marketing réalise un coup de sonde parmi les marketeers du pays: comment ces derniers perçoivent-ils l’avenir de leur métier? Et cela fait deux ans de suite que le « Marketing Confidence Index » stagne à un niveau historiquement bas. Principalement en ce qui concerne la taille des équipes et l’importance des budgets, que les professionnels du marketing s’attendent à voir encore diminuer. Les médias sociaux, le ROMI (Return On Marketing Investment) et le marketing mobile ne cessent également de les tracasser. Sans parler de la complexification croissante de la discipline, tant au niveau des données accessibles – l’impressionnant « Big Data » – que de la démultiplication des canaux de consommation. « Nous nous trouvons dans une réelle spirale négative, » analyse Jean Cornet, managing consultant pour le centre d’expertise. Si bien que les marketeers semblent tout simplement résignés, se contentant de cette situation où « il faut toujours faire plus avec moins ».

MARKETEERS ET CEO'S DOIVENT DISCUTER DU PROBLÈME. Jean Cornet
Face aux craintes exprimées par sa communauté, The House of Marketing s’est demandé si ces perceptions étaient partagées par les patrons d’entreprises. En collaboration avec la BMMA (Belgian Management and Marketing Association), elle a interrogé en juillet dernier 45 CEO, 45 dirigeants de sociétés de tailles et de secteurs différents, un échantillon représentatif du marché belge donc. Tous ont été questionnés sur la vision qu’ils avaient de leurs départements marketing: Celui-ci est-il aussi efficace qu’escompté? Quelles sont les compétences qu’ils en espèrent et qu’ils jugent nécessaires? 18 aptitudes ont ainsi été passées au crible, de la capacité à rendre une marque cohérente à la rapidité d’adaptation aux mutations, en passant par l’innovation, l’analyse de divers scénarios ou encore l’intégration d’aspects environnementaux et sociaux. Conclusion? Aucun des interrogés ne considère le marketing comme essentiel, mais plutôt comme « modérément important »; quant à la performance… elle est clairement en-dessous de leurs attentes! La seule compétence qui se démarque est « l’analyse stratégique du marché », soit un fondamental du marketing de l’ordre du passif. En comparaison, les marketeers eux-mêmes considèrent les mêmes 18 aptitudes en moyenne légèrement plus importantes que les patrons, mais sont beaucoup plus sévères que ces derniers quand il s’agit d’évaluer l’efficience! Ainsi, s’il y a un doute à ne pas avoir, c’est qu’une crise de confiance est bel et bien présente.

L’ECUEIL NUMERIQUE
Puisque le marketing est l’un des premiers domaines à faire les frais de coupes budgétaires lors d’une crise, il est probable que l’estime que les CEO’s lui accordent ne soit pas bien haute… Mais ces derniers comprennent-ils véritablement le bien-fondé de la discipline qui nous intéresse? « Au cours des entretiens, effectués dans l’anonymat via le web et le téléphone, nous n’avons jamais eu l’impression que les patrons n’étaient pas au fait de l’utilité du marketing, » témoigne Jean Cornet. « Si c’était le cas, ce serait encore plus grave! Comment imaginer que les marketeers soient vus sur le marché alors qu’ils ne parviennent pas à créer de la visibilité dans leur propre société?! » Cela dit, au vu des changements auxquels le secteur doit faire face ces derniers temps, l’on peut envisager qu’il ait été secoué et doive encore se retrouver. « On s’est laissés enfermer dans une dialectique selon laquelle le marketing et la communication s’équivalent. Or, le marketing, plus que de la promotion, c’est mettre le client au centre de tout ce qu’accomplit l’entreprise. Il est donc crucial! » E-commerce, relations avec les marques, comportements des consommateurs,… remettent en cause les manières de travailler des marketeers. Toutefois, « ils se sont aussi laissés griser par les réseaux sociaux. Ils ont convaincus leur direction de s’y lancer, arguant que c’était gratuit et qu’on pouvait tout mesurer. » Oui, sauf que dans le « Yearly Marketing Survey 2013 », 45% des sondés soutiennent que les médias sociaux doivent encore faire leurs preuves en tant qu’outils marketing. 50% estiment qu’ils ne disposent pas de suffisamment de connaissances quant aux possibilités de ces médias, et 63% déclarent ne pas connaître le ROI de leurs activités sur les réseaux sociaux! Et tout cela, alors que près de 60% d’entre-eux prévoyaient d’y investir au cours de l’année 2013. Difficile de préserver la crédibilité de sa fonction dans ces conditions.
Ces chiffres ne sont pas propres à notre marché. Adobe a également mené une étude sur le « Digital Distress: What keeps marketeers up at night? » Plus de 1.000 marketeers américains ont répondu à un questionnaire en ligne entre le 26 août et le 11 septembre 2013. Et eux aussi sont loin d’avoir confiance en leurs compétences en ligne: moins de la moitié (48 %) qui se considèrent comme des « digital marketeers » pensent être des experts du marketing numérique. La majorité des digital marketeers sondés n’ont d’ailleurs pas suivi de formation formelle en la matière et 82 % reconnaissent apprendre sur le tas. D’une manière plus générale, seulement 40 % des sondés pensent ainsi que les campagnes publicitaires sont efficace, et seuls 9 % sont absolument certains de l’efficacité du marketing numérique. Quant aux défis, toucher les clients arrive en première position avec 82%. Suivent l’incertitude de la réussite des campagnes (79 %), la démonstration de l’efficacité des campagnes (77 %) et la preuve du retour sur investissement (75 %). « Les marketeers sont confrontés à un dilemme: ils ne sont pas sûrs de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. Ils ont l’impression de ne pas disposer des bons moyens pour relever les défis du marketing numérique et trouvent difficile de suivre les boulversements dans leur domaine. Encore plus ennuyeux: personne ne peut leur dire comment tout cela fonctionne, » commente Ann Lewnes, chief marketing officer chez Adobe.

PASSER A LA (RE)ACTION
Quid des propositions pour s’en sortir? « Les marketeers qui font preuve de courage dans leurs activités et leurs investissements publicitaires numériques, qui prennent des risques mesurés et qui forment leur équipe à relever les défis, ont tous les atouts en main pour profiter au mieux des opportunités apportées par le digital, » conseille Ann Lewnes.

TOUT BON MARKETING COMMENCE EN INTERNE.
Pour sa part, The House of Marketing appelle à l’action des deux parties, les patrons comme les marketeers. Les premiers devraient avant tout réinsufler de la motivation dans leur département marketing qui montre de réels signes de fatigue. Ils doivent inspirer, jouer leur rôle de moteur et transmettre cet élan à l’ensemble de leurs collaborateurs. C’est pourquoi les observations de cette enquête ont fait l’objet du dernier cycle des BMMA lunches, au cours duquel trois CEO ont présenté les challenges du marketing de demain. Quant aux seconds, « ils doivent se reprendre en main! Arrêter d’être fatalistes et de se plaindre. Au lieu d’être nostalgiques du passé, ils devraient se demander comment récupérer la confiance perdue, et faire leur mea culpa si nécessaire, » exhorte Jean Cornet. « Pourquoi ne pas confronter le CEO? Notre étude peut être considérée comme le point de départ d’une conversation: Oser amener le sujet sur la table pour discuter de nouvelles idées et rompre avec le climat ambiant. »

Le ROI pour vendre son marketing
Pour consolider la confiance dans le marketing, pourquoi ne pas s’appuyer sur son ROI? C’est en tout cas l’approche qu’ont développée Nadine Lino, managing director de l’agence Lusis Communication, et Marc Delaby, coach d’affaires ActionCoach, dans leur conférence « Penser son marketing comme un véritable placement: Le ROI en marketing et communication, comment le mesurer, l’évaluer et l’améliorer ».

Nadine Lino (Lusisà: "L'âge d'or où nous pouvions dépenser presque sans se poser de questions est révolu. Il va falloir s'y faire"

Marc Delaby (House of Marketing): "Selon moi, trop peu de responsables marketing mettent en place des outils de mesure de ce que leur rapporte leur marketing. Et trop peu d'agences qui font la démarche de le calculer pour leur clients"

Le choix de ce sujet ne doit évidemment rien au hasard. « Nous assistons à une désillusion, un désengagement envers le marketing et, finalement, à une sorte de crainte d’y investir, » témoigne le business coach. « Une des raisons qui explique cette attitude est, selon moi, le fait qu’il y a encore trop peu de responsables marketing qui mettent en place des outils de mesure de ce que leur rapporte leur marketing. Et trop peu d’agences qui font la démarche de le calculer pour leurs clients. » Pourtant, le ROI pourrait intervenir comme un argument pour décrocher des budgets supplémentaires. « Tout bon marketing commence en fait en interne: le marketeer doit vendre son idée au directeur financier ou à son dirigeant. Or parler chiffres, c’est parler le langage de ceux-là même qu’il doit convaincre! » insiste Marc Delaby. Il ne faudrait donc plus hésiter à aborder le sujet du rendement des campagnes, « surtout que des outils, des logiques et de nombreux indicateurs existent pour faire le lien entre, par exemple, le nombre de clics et les bénéfices engrangés par une action. Et c’est d’autant plus vrai lorsque c’est d’e-communication qu’il s’agit. » Nadine Lino continue: « Dans le contexte actuel où les budgets sont de plus en plus serrés, évoquer l’efficacité d’une campagne marketing est devenu inévitable… voire évident! Aux Etats-Unis, le ‘return on investment’ est systématiquement pris en compte, et ce depuis toujours: les marketeers ne peuvent pas utiliser un dollar sans se justifier. Chez nous, l’âge d’or où nous pouvions dépenser presque sans se poser de questions est révolu, il va falloir s’y faire. »
Prouver qu’une action fonctionne, résultats à l’appui, ne peut que booster la discipline. Pour l’oratrice, le sujet reste cependant sensible chez certaines agences qui considèrent qu’agir de la sorte, « c’est scier la branche sur laquelle on est assis ». « Les agences devraient se positionner davantage comme des accompagnatrices. Il faut également encourager les équipes de marketing interne à aller à la chasse aux données, à les encoder et les communiquer. Cela doit devenir une habitude, une étape obligée d’un processus rodé. » Bien entendu, c’est un système qui se construit sur le long terme: plus des informations sont disponibles, plus riche est l’analyse et plus celle-ci peut servir les actions suivantes. « D’accord, le marketing n’est pas une science exacte et il n’existe pas de recette miracle qui permet de réussir à tous les coups. Mais nous pouvons facilement éviter de répéter les mêmes erreurs en ‘monitorisant’ un maximum. » Nadine Lino souligne enfin: « les départements marketing, communication et commercial sont étroitement liés: ils doivent absolument travailler main dans la main. Je forme également mes créatifs et graphistes à intégrer une attitude plus marketing: dorénavant, il est primordial qu’eux aussi réfléchissent en termes de cible, de message et d’efficience. » Des recommandations que PUB avait déjà évoquées suite à « AAROME » (Advertisers & Agencies Return on Marketing Effort), une enquête menée en 2009 (!) avec Greenhouse/BBC.